Le 30 avril 1880, Joseph Poulangeon, entrepreneur de travaux du chemin de fer, bien connu à Arles, demeurant dans la Creuse, à Secondat, sa ville natale, et âgé de 52 ans, venait de monter en train à la gare Saint-Charles, à Marseille, dans un compartiment de première classe du train express 12, lorsqu’un individu assez mal vêtu s’installa à ses côtés. Et peu après, le train se mit en marche.
Le crime
Après avoir dépassé la station de Rognac, M. Poulangeon, sans s’occuper de son compagnon de route, se coucha sur la banquette et essaya de dormir. À peine venait-il de céder au sommeil qu’il fut brusquement réveillé par une douleur aiguë dans le bas-ventre, causée semble-t-il par un coup de stylet qu’on lui avait donné.
Doté d’une taille élevée et possédant un poignet robuste, il bondit, arracha l’arme de sa blessure et se rua sur son agresseur. Une lutte terrible, corps à corps, s’engagea entre la victime et son assassin.
Ce dernier, s’apercevant qu’il n’était pas de taille pour résister, sortit précipitamment un revolver de la poche de son pardessus et fit feu sur M. Poulangeon qui eut la présence d’esprit de détourner l’arme de sa poitrine. Aussi la balle se logea-t-elle dans sa cuisse et M. Poulangeon riposta par un coup de stylet qui entama la lèvre inférieure de son adversaire.
Puis, réunissant toutes ses forces dans un effort suprême, il terrassa son adversaire et, comprimant la main qui tenait le revolver, le mit dans l’impossibilité de s’en servir.
Enfin, à 11 heures, on entrait en gare de Miramas. M. Isnard, sous-chef, ayant entendu les appels désespérés poussés dans un wagon du convoi qui venait de s’arrêter, fit signe à des hommes d’équipe et ouvrit la portière du compartiment où se trouvait M. Poulangeon dans la position décrite ci-dessus.
L’arrestation
Aussitôt, MM. Mistral et Trouy s’empressèrent de porter secours à la victime, de désarmer et de garder un œil sur son agresseur.
Après avoir questionné M. Poulangeon, le chef de gare se hâta de le faire conduire à l’hôtel Jauffret et de prévenir par dépêche la gendarmerie et le docteur Sanguin, médecin de la Compagnie à Saint-Chamas.
Arrivé sur les lieux à minuit, M. Sanguin donna les premiers soins à M. Poulangeon, dont la blessure du bas-ventre, profonde de 15 centimètres et large de 5 centimètres, était très grave. Les intestins perforés sortaient en effet de la plaie béante qu’on recousit.
L’extraction de la balle logée dans la cuisse était remise à plus tard et l’état de la victime laissait craindre le pire.
En attendant l’arrivée du parquet d’Aix, le juge de paix de Salon, assisté de M. Garot, lieutenant de gendarmerie à la même résidence, procéda au premier interrogatoire de l’assassin.
Celui-ci déclara se nommer Clovis Montel, dit qu’il avait 30 ans, qu’il était rentier et né à Bruxelles.
On fit la description du bonhomme : taille moyenne, cheveux et moustaches châtains, figure grêlée de quelque marque de petite vérole. Il portait un pardessus et un pantalon marron. Sa chemise, d’une fraîcheur des plus douteuses, était marquée de ses initiales. En un mot, l’homme ne payait pas de mine.
Sur lui, on trouva une somme de 14 francs et un ticket de première classe pour un trajet Marseille-Rognac.
On imagina donc qu’il avait eu l’intention de dévaliser, durant le trajet entre Marseille et Rognac, le pauvre M. Poulangeon, qui portait sur lui 244 francs et quinze actions de Paris-Lyon-Méditerranée de 350 francs chacune. Mais que, comme sa victime ne s’étant pas endormi aussi tôt que prévu, il avait remis le coup au moment qui lui paraîtrait propice.
Le lendemain de l’agression, MM. Grassi, procureur de la République à Aix, et Fabry, juge d’instruction, se rendirent à Miramas le lendemain après-midi.
Les tristes suites
Malheureusement, Joseph Poulangeon ne survécut pas. Après deux jours d’agonie à l’hôtel Jauffret, situé à Miramas-Gare, il s’éteignit à 21 heures environ le 2 mai.
Montel était évidemment enfermé à la prison d’Aix quand on l’avertit de la mort de M. Poulangeon. Malgré la surveillance la plus étroite dont il était l’objet, il se suicida en se pendant à la fenêtre de sa cellule, au moyen des bandes de toile qui servaient au pansement de ses blessures.
- Source : L’Homme de bronze, no 25, 2 mai 1880, p. 3, no 26, 9 mai 1880, p. 2.
- État civil de Miramas, année 1880, 202 E 953.
- État civil d’Aix-en-Provence, année 1880, 202 E 848.