Allix (†1664), humour noir et guitares

La ville d’Aix-en-Provence a longtemps attiré quantité d’artistes exerçant dans des domaines aussi divers que la peinture, la sculpture, la littérature ou encore la musique. Parmi eux, de grands noms continuent d’honorer la ville tant leur influence sur leur art leur valut les plus grands éloges.
D’autres, en revanche, ont eu le malheur de vivre en des temps où l’originalité était bien peu admise au sein d’une population prônant la bienséance et empreinte de tabous. Un dénommé Allix, dont nous ne connaissons hélas pas le nom complet, aurait sans doute aimé rester célèbre pour l’art qu’il exerçait sans doute avec talent. Malheureusement, son nom a été oublié par la quasi totalité des Provençaux et les rares qui ont entendu ce nom l’associent à celui de l’auteur d’une plaisanterie qui a mal tourné.

Allix et le squelette musicien

Charles David (1600-1636?), Joueur de guitare, estampe, à Paris, chez Pierre Le Blond, Bibl. nat. de France.

Charles David (1600-1636?), Joueur de guitare, estampe, à Paris, chez Pierre Le Blond, Bibl. nat. de France.

Né dans la première moitié du XVIIe siècle, Allix est l’exemple même du scientifique touche-à-tout de son siècle. Mathématicien et mécanicien, il est aussi mélomane et développe de grandes qualités dans le maniement de la guitare, instrument qui connaîtra un grand essor sous le règne de Louis XIV.
Allix a aussi un défaut qui ferait sourire aujourd’hui mais qui, en son temps, peut conduire au pire : c’est un provocateur doté d’un sens de l’humour noir particulièrement acéré.
Comme beaucoup d’hommes de sciences, Allix possédait en son cabinet un squelette. Une idée lui vint un jour à l’esprit.
Il plaça au cou de son squelette une guitare accordée à l’unisson d’une autre qu’il tenait lui-même dans ses mains et il disposa les doigts de l’automate sur les cordes du manche. Puis, alors que le temps était beau et doux, il ouvrit les fenêtres et même la porte de son appartement du centre d’Aix. Il se plaça dans un coin de sa chambre de manière à ne pas être vu des passants et entreprit de jouer des morceaux sur sa guitare alors que le squelette exécutait les mêmes mouvements, donnant l’impression qu’il en était la source. On imagine aisément le brave Allix se mordant les lèvres pour ne pas éclater de rire en voyant les passants choqués d’un squelette musicien et faisant un signe de croix avant de presser le pas.
Gérard de Lairesse (1640-1711), illustrations de Ontleding des menschelyken lichaams (1685), par Govard Bidloo.

Gérard de Lairesse (1640-1711), illustrations de Ontleding des menschelyken lichaams (1685), par Govard Bidloo.

La vilaine rumeur

Des bruits commencèrent à se faire entendre dans la ville au sujet de cet original qui terrorisaient les Aixois qui passaient devant chez lui. On ne disait toutefois pas que c’était l’œuvre d’un plaisantin. Jouer ainsi avec un squelette humain témoignait sans nul doute des pires perversions mentales et laissait supposer que cet Allix entretenait quelque commerce avec le Malin. C’était un temps où la population d’Aix vivait encore dans la peur de la mort et sous le joug de la superstition.
La plaisanterie devint rapidement une affaire publique et les magistrats furent avertis. Le Parlement d’Aix ouvrit une instruction contre Allix, l’accusant de magie. Le pauvre homme fut jugé en 1664 par la chambre de la Tournelle et tenta tant bien que mal de faire comprendre à ses juges que les sons de la guitare du squelette venaient en réalité de son action à lui et que ce n’était finalement qu’une question de mécanique. Quel fut le verdict ?

Innocenté ou condamné ?

Visiblement, la leçon de mécanique fut mal comprise par les juges. Allix fut condamné à être pendu et brûlé en place publique d’Aix. La sentence indiquait même que le squelette lui-même, en qualité de complice, subirait le même sort.
Le jour de l’exécution, une foule de dévots se pressa pour assister à la pendaison. Selon toute vraisemblance, les Aixois maniaient avec difficulté les notions d’humour noir.

Bibliographie

  • Pierre Bonnet, Histoire de la musique depuis son origine, les progrès successifs de cet art jusqu’à présent, éd. Aux dépens de la Compagnie, La Haye, Francfort-sur-le-Main, 1743, p. 82.
  • François-Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, vol. 1, 1866-1868, éd. Firmin-Didot, Paris, p. 75.