Le crime
Un assassinat suivi d’un vol fut commis à Saint-Mitre-les-Remparts (Bouches-du-Rhône), sur la personne de Magdeleine Gauthier, veuve Trouche, surnommée Misé Madoun, âgée de 78 ans. Cette pauvre femme, veuve deux fois, vivait seule dans sa maison d’habitation dans l’enceinte du village, sans autre aide que celle que ses voisins lui apportait de temps à autre. À Saint-Mitre, on savait qu’elle avait chez elle quelque économie, car elle avait plusieurs fois ouvert sa bourse pour soulager la misère de son prochain.
Le matin du 18 avril 1839, à 6 heures, alors qu’il faisait encore nuit, les assassins pénétrèrent le visage masqué dans la maison où la victime habitait seule, en faisant effraction à une croisée du rez-de-chaussée. De là, ils montèrent au premier étage où, selon toute apparence, ils trouvèrent Magdeleine Trouche endormie. Ils l’étranglèrent sans l’aide d’aucun instrument, car le cou avait été pressé de telle sorte que le lendemain on distinguait encore parfaitement l’empreinte des doigts.
Après s’être débarrassé de cette malheureuse, les assassins forcèrent le tiroir d’une commode, une espèce de garde-robe, dans laquelle elle enfermait son argent. Ils emportèrent une somme évaluée à 1 485 francs ; une autre somme de 400 francs fut retrouvée intacte dans un autre tiroir de la commode.
Suspicions
Le lendemain, la rumeur publique accusa de ce crime le voisin de la veuve Trouche, un nommé Jacques Imbert, dit Lanço-man, un maçon de sinistre réputation dans le pays, profond scélérat si jamais il en fut, et qui la veille en rentrant chez lui à trois heures du matin avait dit à sa femme, en bon provençal : « Vénen de cou… Misé Madoun… » (« on vient de tuer Misé Madoun… »).
Mais, si Imbert semblait suspect, les autorités durent considérer qu’il avait fallu deux hommes pour tuer et voler la pauvre veuve. En effet, les marques laissées sur le lit laissaient entendre qu’un homme s’était assis au pied du lit pour maintenir les jambes de Misé Madoun, pendant qu’un autre était à côté de son visage, en train de l’étrangler.
Une descente judiciaire menée par le capitaine Guirand dans la maison de Lanço-man ne donna rien, car Imbert fut arrêté, mais presque aussitôt remis en liberté, faute de preuves. Et déjà les magistrats désespéraient de mettre la main sur l’assassin quand le hasard lui donna un coup de pouce.
Arrestation des assassins
On savait dans le village que Lanço-man avait pour ami intime son cousin Antoine Imbert, dit Sigalet, qui exerçait la profession de menuisier. On voyait souvent ensemble ces deux hommes au cabaret, à la promenade et dans leurs maisons respectives.
Interrogé par les magistrats, Sigalet avoua finalement tout, le vol et l’assassinat, mais il prétendit n’être coupable que du vol, et rejeta sur Lanço-man toute la responsabilité de la strangulation. Celui-ci, arrêté de nouveau et interrogé, nia sa participation au crime. Mais les preuves semblaient enfin venir. On saisit une somme de 1485 francs qu’ils avaient cachée dans un trou pratiqué au milieu des broussailles, près de Saint-Mitre, trou recouvert par une grosse pierre.
Les deux hommes furent jetés au cachot, dans l’attente de leur procès. Derrière les barreaux, Lanço-man tenta de se suicider, mais sa tentative échoua.
Le procès
Le procès, justement, eut lieu quelques mois plus tard, le 3 juillet 1839, à la Cour d’assises d’Aix-en-Provence.
Pendant le cours des débats, Antoine et Jacques continuèrent à jouer le rôle qu’ils avaient commencé. Antoine niait tout avec une impudence et un sang froid remarquables, tandis que Jacques, le lâche, ne cessait de pleurnicher.
M. Lieutaud, substitut du procureur général, chargé de soutenir l’accusation, démontra la culpabilité des deux prévenus et la préméditation du crime. Il conclut son réquisitoire en s’adressant aux jurés : « Que la peine de mort ne vous effraye pas, Messieurs. Quelques hommes systématiques ont certes repoussé l’application de ce grand principe, mais ces mêmes hommes ont rapidement reconnu leur erreur. N’hésitez donc pas devant elle. D’ailleurs, Messieurs, vous n’êtes pas des législateurs, vous êtes des hommes à qui l’on demande de juger d’une culpabilité pour la puissance de l’exemple. Votre verdict sera donc dégagé de toute préoccupation étrangère à vos nobles fonctions. »
Maître Jassuda Bedarride présenta ensuite la défense d’Antoine. Il examina une par une les charges de l’accusation et plaida avec force pour la prise en compte de circonstances atténuantes. Il soutint notamment qu’Antoine avait pu être victime des sollicitations de son complice et qu’on avait pu abuser de son état d’ivresse. « Sans doute », s’exclama-t-il, l’ivresse n’excuse ni le crime ni le délit, mais tout au moins elle l’atténue. »
Maître Tardif, défenseur de Lanço-man, avait une tâche difficile face aux aveux de Sigalet. Cependant, il saisit l’opportunité de l’attitude des deux accusés durant les débats. Il souligna que Jacques, avec ses sourires ironiques et son impassibilité, insultait en quelque sorte la justice et avait dû être le « génie du mal », le démon tentateur de Sigalet, qui affichait une attitude humble et humiliée. Il demanda ensuite qu’une distinction soit faite entre les deux accusés.
Le verdict de la Cour d’assises
Après des répliques successives et animées entre le ministère public et Maître Bedarride, et après le résumé impartial du président Castellan, les jurés se retirèrent pour délibérer. Ils rendirent un verdict de culpabilité sur tous les chefs d’accusation, excepté celui de la préméditation pour Jacques. Ils admirent cependant des circonstances atténuantes en faveur des deux accusés. Jacques et Antoine furent ainsi condamnés aux travaux forcés à perpétuité et à l’exposition.
Les deux hommes se pourvurent alors en cassation.
L’admission de circonstances atténuantes pour ces deux individus fut mal vécue par bon nombre d’observateurs. « Deux misérables se sont introduits, au milieu des ténèbres, dans la maison d’une femme faible et sans défense, dit un journaliste présent au procès. Ils l’ont étranglée. Ils ont dérobé une somme de quatorze cents francs, et se sont enfuis. Telles sont les circonstances qu’un jury, sur son honneur et conscience, vient de déclarer atténuantes. »
Le vendredi 13 septembre, à 9 heures du matin sur la place de l’Hôtel-de-Ville d’Aix, les coupables subirent la peine de l’exposition. Si Antoine Imbert restait impassible, Jacques, lui, ne cessait de pleurer sous les quolibets de la foule.
- Sources : Le Mémorial d’Aix, 27 avril 1839, p. 2 ; ibid., 25 mai 1839, p. 3 ; ibid., 1er juin 1839, p. 4 ; ibid., 6 juillet 1839, p. 2 ; ibid., 14 septembre 1839, p. 3.
- État civil de la commune de Saint-Mitre-les-Remparts, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 202 E 561.