Baptême et relevailles dans la Provence de nos ancêtres

Le baptême ne pouvait par avoir lieu si l’on n’avait pris, au préalable, la précaution de bien choisir qui serait parrain et marraine. Recevoir cette charge relevait à plus d’un titre du privilège, voire de l’honneur, et amenait du bonheur à qui l’accomplissait correctement. Ne disait-on pas notamment que lou peiririnage adus lou mariage (« le parrainage amène le mariage »). On ne plaisantait pas avec cette fonction. D’autant qu’il était très mal vu de refuser l’offre; pire, cela aurait porté malheur, non seulement au parrain, mais surtout à son filleul. Il en était de même de l’empressé qui sollicitait pour lui-même la fonction de parrain. L’enfant était alors en danger de mort. Oui, cette charge ne se demandait ni ne se refusait. On la recevait, un point c’est tout !
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Parrain, marraine

Le parrain et la marraine sont d’ordinaire choisis parmi les proches parents. On respecte à cet effet un tour de rôle. Pour le premier enfant d’un couple, le parrain sera le grand-père paternel, et la marraine, la grand-mère maternelle (s’ils sont vivants bien sûr). Pour le deuxième enfant, le parrain est le grand-père maternel et la marraine, la grand-mère paternelle. Ensuite, on fera appel aux frères (les aînés de préférence), aux soeurs, voire aux cousins pour s’acquitter de la fonction.
Ces règles ne sont bien sûr pas immuables et tout le monde, au gré de ses recherches généalogiques, a pu constater des exceptions. À Fours (04), par exemple, il appartenait à la marraine de choisir son compère1.
Si les liens familiaux pouvaient varier quant au choix du parrain et de la marraine, en revanche, certaines règles ne souffraient aucune exception. On n’aurait jamais accepté comme parrain de son enfant un individu qui souffrait d’une infirmité quelle qu’elle soit, sans quoi l’enfant aurait souffert de la même tare. Borgnes, bègues, bossus, boiteux, tous ceux-là étaient exclus du parrainage. Par contre, un homme de grande taille, d’un physique agréable et présentant de grandes qualités avait toutes les chances de retenir le choix des parents. On prenait soin aussi de veiller à ce que la marraine n’était pas enceinte. Cela aurait constitué un sombre présage pour l’enfant et l’aurait voué à une vie très courte.
Parmi les nombreuses obligations du parrain et de la marraine, il appartenait à cette dernière d’offrir à l’enfant les vêtements qu’il porterait pour la cérémonie du baptême, une longue robe blanche à plusieurs rangs de dentelle. Le parrain, lui, offrait une chaîne en or d’où pendait inévitablement un médaillon à l’effigie d’un saint. La sage-femme recevait aussi un cadeau.

Le baptême

bapteme-enfantL’enfant, dominé par le démon jusqu’à son baptême, ne devait pas quitter la maison jusqu’à la cérémonie car il était alors vulnérable à tous les maléfices, et les masques (« sorciers ») risquaient de lui jeter un sort. C’est pour cette raison que le baptême devait avoir lieu le plus tôt possible, souvent le jour de la naissance, voire le lendemain. Si le parrain était alors en déplacement, on s’efforçait de lui trouver un remplaçant (le babillard). Parfois, on prenait plus de temps et l’enfant était baptisé dans la semaine qui suivait sa naissance. Bien entendu, la mère ne devait pas participer à la cérémonie ; elle devait rester chez elle jusqu’à ses relevailles.
Les habitants du village étaient prévenus par les cloches qu’un baptême allait avoir lieu dans l’église. Ces sonneries étaient probablement motivées par des considérations superstitieuses. Pour Marcel Provence, elles écartent le démon et annoncent l’entrée en chrétienté2. Si, globalement en Provence, on sonnait les cloches pour les garçons comme pour les filles, quelques coutumes locales méritent d’être signalées. À Saint-Rémy (13), on ne sonnait les cloches que pour un garçon, alors que dans le sud du département des Hautes-Alpes, il n’était pas d’usage de sonner la cloche pour l’occasion. À Arles (13), on sonnait plusieurs coups pour un garçon et trois pour une fille. Aux Saintes-Maries (13), pour certains baptêmes importants, on sonnait la plus petite des trois cloches.
Il appartenait au parrain et à la marraine de mener l’enfant du domicile de la mère jusqu’à l’église. Pour ce faire, on est toujours à pied et l’enfant est porté à bras. Il faut vraiment se trouver en haute montagne un jour de tempête de neige pour voir un berceau abriter l’enfant. Dans certains villages de Provence, c’était la sage-femme qui portait le bébé à l’église. Parfois, c’était la grand-mère, mais celle-ci était souvent aussi la marraine. Au retour de la cérémonie, c’était généralement la femme du parrain, appelée la redo (« la porteuse ») qui était chargée de ramener le nouveau chrétien à sa mère.
Pour le baptême, l’enfant était revêtu d’une longue robe blanche brodée de dentelles. On l’enveloppait dans un châle et on le coiffait d’un bonnet assorti. C’est la marraine, comme nous l’avons dit plus haut, qui offrait ces habits.
La cérémonie du baptême répondait à des règles extrêmement précises. Si on s’en écartait un tant soit peu, il était alors préférable de tout recommencer du début, sous peine de porter malheur à l’enfant. Un ouvrage de Preller va jusqu’à préciser :

« La moindre irrégularité suffisait pour qu’on recommençât toute la cérémonie ou au moins la partie de la cérémonie qu’on croyait manquée ; il suffisait d’une omission dans la prière, d’un faux mouvement de la main (…). Des incidents de ce genre ont fait recommencer jusqu’à trente fois [la cérémonie]. »

Pour s’assurer que l’enfant ne serait pas l’objet du sort d’un masque, il convenait d’écrire ses prénoms sans faute et sans rature. Si vous trouvez un acte où le prénom a été raturé, soyez certain que vos ancêtres ont dû en éprouver un frisson.
Quelques jours après la naissance, l’enfant recevait ses prénoms, que l’on annonçait à toute la famille, bien que ce fût le baptême qui les officialisait. Dans ce domaine, quelques règles se dégagent : le parrain donnait son prénom au filleul, la marraine à sa filleule. Si les parents n’y consentaient pas, ils devaient essuyer les reproches du parrain.
Toutefois, dans bien des régions de la Provence, le prénom du père était invariablement réservé à son fils aîné. Nous avons tous dans nos généalogies des lignées de « Jean, fils de Jean, fils de Jean… »
À la sortie de l’église, une fois l’enfant baptisé, le parrain devait probablement appréhender le moment car il était attendu de pied ferme par des marmots qui lui envoyaient des « Jito, peirin » («Jette, parrain»), et l’incitaient à donner des sous. Et malheur à celui qui n’était pas généreux. Ils devaient alors faire face à des insultes désobligeantes, du genre « Peirin couguou » («Parrain cocu»). Mieux valait alors que le pauvre parrain ait prévu quelques pièces ou, à défaut, quelques dragées pour contenter tout son monde.

Les relevailles de la mère

La cérémonie des relevailles trouve son origine dans la Bible. C’est dire son ancienneté. Selon le Lévitique, une femme qui venait d’accoucher restait impure quarante jours et ne pouvait réintégrer la société avant le terme de cette période.
Cette durée était beaucoup plus variable en Provence3 mais elle était tout de même scrupuleusement respectée. On choisissait le jour des relevailles avec soin. Il s’agissait de préférence d’un samedi, ou à défaut d’un mardi ou d’un jeudi, mais jamais d’un vendredi, d’un mercredi, d’un lundi ni d’un dimanche qui portaient malheur. On évitait aussi que le jour tombât un 13. La date préférée était le 2 février, jour des relevailles de la Vierge Marie.
Pour cette cérémonie, la mère se rendait à l’église accompagnée de la sage-femme, de la marraine et des femmes de la maisonnée, ainsi bien sûr que de l’enfant. Durant le trajet, la porteuse tient l’enfant de telle sorte que sa tête repose sur son bras droit. La mère est à sa droite et la marraine à sa gauche (aux pieds de l’enfant). Ce cortège féminin se dirige ensuite vers la chapelle de l’église où ont lieu les cérémonies de relevailles. Le prêtre prononce alors une messe appropriée, puis tous se mettent à genoux et brûlent un cierge. Voila la mère officiellement réintégrée dans la société.
Les relevailles, précisons-le, étaient essentielles. Elles devaient être respectées même si la mère mourait en couches. On observait alors un simulacre de relevailles, mais nul doute que si la cérémonie n’était pas faite, la défunte ne pouvait accéder au repos de son âme. Précisons que, dans l’esprit des Provençaux, une femme morte en couches allait systématiquement au paradis.
Après les relevailles, on organisait un banquet qui marquait la fin de toutes les cérémonies liées à la naissance de l’enfant. La mère y occupait une place d’honneur. Une coutume consistait à cette occasion à planter un arbre, souvent un olivier, arbre généreux et immortel, donc porte-bonheur.

Le baptême comme en parlaient nos ancêtres :
baïlo, la sage-femme.
batisme, le baptême.
bono fremo, la sage-femme (« la bonne-femme »).
coumaire, commère (nom donné à la marraine par le parrain).
coumpaire, compère (nom donné au parrain par la marraine).
jacudo, la mère de l’enfant, litt. l’accouchée.
meirino, marraine.
paire, la paire, le parrain et la marraine ensemble
pei, parrain (diminutif).
peirin, parrain.
peirinage, parrainage.
pichot, enfant.
rececioun, cérémonie des relevailles (« la réception »).
redo, nom donné à la femme qui portait l’enfant à l’église.

Notes

1. Le parrain et la marraine se nommaient entre eux coumpaire et coumaire (« compère » et « commère »). Le parrainage créait un lien familial à part entière entre le parrain et la marraine. Cela pouvait permettre, par exemple, de réconcilier deux familles ennemies.
2. Marcel Provence, B.-A., t. XXIX, 1943.
3. La période entre la naissance et les relevailles variait d’un dizaine de jours à quarante jours.

Bibliographie

BÉRANGER-FÉRAUD, « Traditions de Provence », Paris, 1885, rééd. Jeanne-Laffitte, Marseille, 1983.
ESCALLIER, Émile, « Le Folklore de la Bâtie-Neuve et de ses deux vallées », Société d’Études des Hautes-Alpes, Gap, 1987.
MONCHAUX, Marie-Claude, « Les enfants provençaux », Ouest-France, Rennes, 1978.
SEIGNOLLE, Claude, « Traditions populaires de Provence », 2 tomes, éd. Maisonneuve & Larose, Paris, 1996.
TIÉVANT Claire, « Almanach de la mémoire et des coutumes – Provence », Albin Michel, Paris, 1983.

Illustrations

1. Louis Le Nain (1593-1648), La Famille heureuse ou Le Retour du baptême, détail, 1642, musée du Louvre (Paris).
2. Pietro Longhi (1702-1785), Le baptême, 1755, Pinacoteca Querini Stampalia (Venise).

Commentaires

  1. Je viens de découvrir que nous avons les mêmes centres d’intérêts et parlons des mêmes sujets. Je regrette de n’avoir pas lu vos articles plus tôt, car cela m’aurait facilité la tâche lors de mon expo sur les différents âges de la vie, que j’ai faîte en septembre dernier. Je découvre beaucoup d’ouvrages qui vous servent de référence, que je ne connais pas encore… J’ai encore beaucoup à lire …… Merci pour ce partage sur la vie quotidienne qui est un sujet qui m’intéresse particulièrmeent. JOêlle