Commentaires de l’abbé Constantin sur Vauvenargues (13)

Source : « Les paroisses du diocèse d’Aix, leurs souvenirs et leurs monuments. Paroisses de l’ancien diocèse d’Aix », par l’abbé M. Constantin, 1890.
Les commentaires qui suivent sont extraits du titre cité ci-dessus. L’abbé Constantin était vicaire à Saint-Remy. Certains de ses commentaires sont sujets à caution, notamment ceux qui évoquent l’Antiquité, mais ils sont néanmoins un remarquable témoignage de cette fin de XIXe siècle. Leur division par thème est nouvelle et permet une meilleure lecture.

moulin-vauvenarguesRomains et Salyens

« Le terroir de Vauvenargues a conservé un monument des deux paganismes, celtique et romain, qui ont précédé la vraie religion en notre pays ; une pierre levée1, souvenir salyen, sur le plateau qui s’étend vers Peyrolles; les ruines d’un temple (delubrum) élevé à ses dieux par le peuple conquérant, et nommé encore le Délubre.
L’existence de ce temple, celle d’un castrum, et le nom même du titulaire, le protomartyr saint Étienne, assignant une haute antiquité à cette paroisse, probablement le IVe ou le Ve siècle. »


1. Énormes pierres en forme de table, posées sur un bloc, sépultures des grands chefs ou autels pour les sacrifices humains, souvent l’un et l’autre à la fois. Celle-ci a 1,30 m de large sur 8,80 m de long. Le bloc qui le contient a 1,70 m de haut et 2,60 m de circonférence.

Privilèges accordés

« En 1004, Blitger d’Éguilles, son frère Bernard, et le prêtre Pontius donnent à Saint-Victor l’église de Saint-Sulpice de Vauvenargues, dont l’emplacement nous est inconnu. La bulle de 1082 confirme au prévôt et aux chanoines de Saint-Sauveur l’église Saint-Étienne, de Vauvenargues. Dans la liste du reg[istre] Pergamenorum, ce pays est nommé « castrum de Valle veranica. »
Lorsque, en 1206, Idefons II accorda aux Aixois le privilège de lignage et pâturage sur les terres comtales, cinq lieues à la ronde, les gens de Vauvenargues s’exemptèrent de cette servitude, en se réclamant de l’Église d’Aix dont ils dépendaient depuis un temps immémorial. Mais en 1275, l’archevêque Grimier, pour reconnaître « fidem quam (cives aquenses) habent et habuerunt Sanctae Ramanae Ecclesiae », accorda auxdits Aixois, sur les terres relevant de l’Église, les mêmes privilèges qu’Ildefons leur avait accordés sur les terres comtales. Et les gens de Vauvenargues, convaincus par leur propre déclaration, ne purent réclamer.
L’archevêque Vicedominis, ayant acquis en ce lieu le domaine de Beatrix d’Entrevènes, épouse du seigneur d’Agoult, en affecta les revenus au paiement de son anniversaire à Saint-Sauveur, 1265.
Les archevêques possédaient le droit de basse justice à Vauvenargues. Au XVe siècle, leur château seigneurial était en ruines depuis longtemps. D’après un inventaire de cette époque, copié sur un plus ancien (Arch. départ.), Olivier de Pennart céda au roi René son fief de Vauvenargues, ainsi que celui du Sambuc, que Rostang de Noves avait acquis. Il reçut en échange le jardin que le roi René possédait au midi de la ville métropolitaine, terrains sur lesquels Michel Mazarin bâtit le nouveau quartier Saint-Jean. »

Saint Labre à Vauvenargues

« Peut-on compter saint Labre parmi les pèlerins de Notre-Dame de la Victoire? C’est probable, car on a la preuve de son passage à Vauvenargues.
A son arrivée, tout le monde était en émoi. On venait de rapporter à la maison le cadavre d’un jeune homme qui, dans une chute malheureuse, s’était tué sur le coup. La mère désespérée n’acceptait aucune consolation; presque folle, elle ne parlait que de se donner la mort. On avise ce mendiant à la figure vénérable, et on l’instruit de cette grande douleur. Rien n’est bon et compatissant comme le coeur des saints. Benoît Labre pénètre dans la maison désolée; il parle à la pauvre femme un langage céleste, lui communique un peu de cette soumission à la volonté divine qui procure aux âmes l’égalité et la paix. Il ne s’en va point qu’il n’ait réussi dans sa charitable entreprise et qu’il n’ait fait redire à la chrétienne revenue à elle-même la prière des résignés: “Mon Dieu, que votre volonté soit faite”. »

La cure de Vauvenargues

« La cure de Vauvenargues, dépendant de l’archiprêtré d’Aix, était à la nomination du capiscol de Saint-Sauveur, prieur décimateur. La plus ancienne collation conservée aux archives départementales est celle faite à Antoine Garnier, en 1444. C’était un poste à secondaire. Le revenu du curé, non congruiste, était estimé 780 livres. Cette paroisse dépend maintenant de l’archiprêtré d’Aix et du doyenné de la Madeleine, 660 hab. en 1789, act[uellement] 350. Le bureau de charité, présidé par le curé, se tenait à la maison curiale.
L’église, romane, est celle mentionnée dans la bulle de 1082; l’abside paraît plus ancienne que le reste de l’édifice. Saint Sidoine, deuxième évêque d’Aix, a remplacé plus ou moins légalement saint Étienne comme titulaire, à la réouverture des églises. »

Les chapelles rurales

Saint-Lambert, au Sambuc, ancien prieuré à 90 livres de revenu, où le service dominical était fait par un vicaire de Jouques. En 1327, le Sambuc, « lieu fortifié et habité », appartenait aux dominicaines d’Aix, à qui il avait été légué par Charles II qui l’avait lui-même reçu à la mort d’Hugues des Baux.
N.-D. de Bon-Désir, au château d’Isoard, érigée au XVIIe siècle par Boniface de Séguiran et munie encore des vases sacrés dont il la dota. Il y avait la messe tous les jours, d’après l’État de 1728, dite par un chapelain qui recevait 60 écus et l’entretien. La dévotion au rosaire y florissait: « On y expose le Saint-Sacrement le premier dimanche d’octobre, et on y dit le rosaire toutes les fêtes et dimanches. » Le moraliste Vauvenargues, le cardinal d’Isoard, et l’auditeur de rote d’Isoard, mort Rome 1847, ont habité le château.
N.-D. de la Victoire, sur le mont Sainte-Victoire. Cette ascension exige des jarrets solides et de larges poumons. Victor de Laprède, le poète chrétien, l’entreprit souvent :

Que de fois dans la nuit, fuyant tout camarade
J’ai de Sainte-Victoire accompli l’escalade !
1

Walter Scott l’avait précédé. Dans son roman historique d’Anne de Geierstein, il en a donné cette très exacte description: « A cinq ou six milles de la ville d’Aix s’élève une montagne de trois mille pieds2, à la cime hardie et rocailleuse. Voyez là-haut ce monastère qui s’élève entre deux énormes rochers. Il n’y a de terrain plat que le défilé où le couvent de Sainte-Marie de la Victoire se trouve pour ainsi dire niché. Pour gravir la montagne, il faut la contourner et suivre un sentier étroit et escarpé, tantôt escaladant des rochers presque à pic, tantôt atteignant leur sommet par un long détour. On serpente à travers un bois de buis sauvage et d’autres arbustes aromatiques, pâture des chèvres, mais qui retarde beaucoup la marche du voyageur. L’heure s’écoule avant d’avoir atteint la cime du mont et de se trouver en face du singulier couvent. Sa sombre face répond à l’aspect sauvage des roches arides qui l’entourent partout, à l’exception d’un petit espace de terrain plus uni où les bons pères, à force de travail, étaient parvenus à se procurer la jouissance d’un jardin. »

Notes

« 1. Livre d’un père.
2. La croix est à 946 mètres, le pic de Saint-Serf* à 1011. »

* Le pic de Saint-Serf porte aujourd’hui le nom de pic des Mouches (1011 mètres). (Note de J. M. Desbois)