Construction d’une bastide à Villemus – Lettre de Forcalquier à Aix-en-Provence (13 novembre 1814)

  • Sources : Archives personnelles de l’auteur.
  • Photographie : © Jean Marie Desbois, 2001.
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Une lettre, écrite le 13 novembre 1814 et dont l’adresse indique : « Monsieur de Garidel, ancien magistra, à Aix (Dépt des Bouches du Rhone). » Le document comporte deux pages écrites lisiblement et avec une orthographe de belle qualité.
L’expéditeur, M. Aubert, écrit de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) à destination d’Aix-en-Provence, à un notable qui se fait construire une bastide à Villemus (Alpes-de-Haute-Provence). Aubert est visiblement maître-d’oeuvre et Garidel souhaite être mis au courant des avancées. Le maçon, un certain Turcan, a réalisé un très bon travail, même si un détail mérite d’être revu.
Ce document est passionnant car il nous plonge dans le domaine de la maçonnerie et nous éclaire sur la façon dont étaient construites les bastides de Haute-Provence au début du XIXe siècle.
Forcalquier, le 13 9bre 1814
Monsieur,
D’après la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire de Villemus en date du 6 9bre dernier, je me suis transporté audit Villemus quelques jours après mon arrivée de Sisteron. Je fis avertir votre chargé d’affaires pour qu’il fut présent à la vérification de votre bâtiment, afin d’avoir avec lui une conférence particulière, dans laquelle il m’a assuré que Turcan avait exactement suivi les ordres qu’il avait reçu de moi lors de ma dernière visite, avant mon départ pour Sisteron. J’ai ensuite fait la vérification de chaque article. J’ai reconnu que Turcan s’était assez bien conformé aux clauses et conditions de chaque article du devis relativement aux matériaux. Les cloisons sont bien faites et solides, le plâtre blanc est beau et bien employé. Les planchers sont bien faits et bien carrelés; Turcan a employé, d’après ce que votre chargé d’affaires m’a dit en sa présence, quelque peu du mortier pour ébaucher les anses paniers. Ce mélange avec du plâtre ne nuit point à la solidité de l’ouvrage lorsque l’emploi en est fait à propos. L’escalier est bien fait, la rampe est solide. Enfin, dans tout votre bâtiment, il n’y a qu’un seul article qui mérite d’être censuré : c’est le lait de chaux passé au pinceau sur les parois des murs de la cage de l’escalier, qu’il n’est pas bien uni. Cet article est peu de chose. C’est à vous à l’admettre ou à le rejeter, si vous n’en êtes pas content.
doc4Turcan a posé les pitons des alcôves et ceux des fenêtres, les tourniquets des contrevents et le gond de la porte de l’une des chambres des domestiques. Le tout s’est fait en ma présence, car je ne suis parti que lorsqu’il n’y a plus rien eu à faire.
Ledit Turcan fait une réclamation relative au temps qu’il a été obligé d’employer lui-même pour équarrir les bois de l’escalier et les poutres des planchers, qu’il évalue à dix francs. Votre chargé d’affaires a dit en ma présence qu’il était vrai qu’il lui avait dit de le faire, attendu qu’il ne pouvoit alors avoir un charpentier pour faire ces équarrissages et qu’on lui en tiendrait compte. Je pense que la demande de Turcan peut se compenser avec l’article des parois des murs de la cage de l’escalier qui a été mal fait.
J’ai révisé et corrigé le rôle du serrurier, après m’être assuré des nombres et des longueurs. Quant au poids des pentures [?], j’en étois assuré d’avance, puisque j’avois eu soin de prendre une note des différentes pesées. Vous trouverez ci-joint un état que j’ai fait moi-même et duquel j’ai donné connaissance au serrurier.
Je suis fâché que vous n’ayez point approuvé les pentures de la porte d’entrée. J’ai cru bien faire en suivant les intentions de feu M. Detaud et les miennes. J’ai l’honneur de vous observer que la qualité de fer que j’ai fait employer est celle dont on fait usage pour les principales fermetures d’un bâtiment, non seulement pour soutenir le poids, mais encore pour leur conservation. Quant aux arcs-boutants, je conviens qu’ils sont un peu trop forts ; le serrurier les avoit fait à mon insu. Je les examina au moment qu’on étoit venu les prendre pour les porter à Villemus. Cela fut cause que je consentis à les laisser tels qu’ils étoient, pour ne point retarder la pose de la fermeture, qui ne gagnait rien, n’étant point en place. J’ai cru devoir laisser en place ces mêmes arcs-boutants, attendu que les cramps [?] des anneaux qui les soutiennent sont longs et très solidement scellés dans le piedroit de la baie de la dite porte et, pour les enlever, il faudrait nécessairement dégrader le dit piedroit. D’ailleurs, l’économie ne pourroit consister qu’à sept ou huit livres fer, car il faut que tout soit la proportion. Si, d’après mes observations, vous persistez dans l’intention de les faire enlever, je vous prie de m’en faire part.
L’indemnité que je retiens pour frais de plan, de devis et de direction des ouvrages dont je suis chargé, et suivant l’usage, est de cinq pour cent de toute la dépense. Vous n’en paierez pas plus, quoique votre bâtiment soit à deux lieues de ma résidence.
J’évalue en total la dépense de votre bâtiment à 5 720 francs pour le vingtième, ou 5 %
286 francs
Reçu 150
Reste du 136
J’ai l’honneur d’être avec respect
Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

[AUBERT]

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