Deux chevaux, deux garçons et une fourche (Aix-en-Provence, 11 juin 1874)

L’an mil huit cent, etc.
Devant nous, Jean Baptiste Finet, commissaire de police de la ville d’Aix, etc.
S’est présenté M. Olivier Maurice, 25 ans, garçon boucher chez M. Delui, rue des Marseillais, n° 7, lequel nous a déposé la plainte ci-après :
« Hier soir, je suis allé à neuf heures et demie faire boire le cheval de mon patron à la fontaine des Augustins. Je me suis trouvé à cette fontaine avec le garçon boulanger de M. Rey, rue Beauvezet1, n°6.
Fontaine des Augustins. DR.

Fontaine des Augustins. DR.

« En allant à l’écurie qui est rue Aumône-Vieille, mon cheval a caracolé. Le garçon boulanger qui passait devant moi m’a dit : « Je ne vous connais, mais vous êtes rudement bête. Vous méritez la croix pour savoir conduire un cheval. » Je lui ai répondu : « Si je ne l’ai pas, vous me la mettrez ! »
« En revenant et passant devant l’écurie de Rey, j’ai dit à son garçon : « Voulez-vous me mettre la croix ? Vous devriez être au moins un peu plus poli. » M. Rey, qui était sur la porte, m’a dit : « Passez votre chemin, vous me cassez les couilles. »
« Je lui ai dit : « M. Rey, vous n’êtes qu’un insolent. » Le garçon boulanger qui avait attaché son cheval est venu sur la porte. Je lui ai dit en lui frappant sur l’épaule : « Mon garçon, quand vous voudrez me mettre la croix, je serai votre homme. »
« Ce garçon, sans autre provocation, a saisi une fourche en fer qui était derrière la porte et m’en a porté un coup en pleine poitrine. J’ai pu parer le coup avec mon bras gauche qui a été percé au-dessus du poignet. Je me suis sauvé au galop. Le garçon boulanger m’a poursuivi la fourche à la main en criant : « Il faut que je le tue » jusque dans la rue Beauvezet. Là, voyant qu’il ne pouvait pas m’attraper, il m’a lancé la fourche qui n’a pu m’atteindre.
« Plusieurs personnes de la rue Beauvezet l’ont vu me poursuivant. »

Lecture faite, M. Olivier a signé avec nous.

Nous avons fait comparaître devant nous M. Tiran Henri, âgé de 16 ans, garçon boulanger, demeurant rue Beauvezet n° 6, lequel, après avoir pris connaissance de la plainte ci-dessus, a déclaré ce qui suit :

« Hier soir, à neuf heures et demie, j’ai amené mon cheval à l’abreuvoir. Olivier y avait aussi amené le sien. En les ramenant à l’écurie, je passai devant. Arrivé dans la rue Aumône-Vieille, Olivier a frappé son cheval qui est très mauvais et l’a poussé contre le mien. Ce dernier a essayé de s’emporter et c’est avec peine que j’ai pu le retenir au risque de me faire blesser.
« J’ai alors dit à Olivier : « Je ne sais comment on ne vous a pas décoré pour votre adresse à conduire un cheval. »
« Après avoir attaché son cheval, il est venu à mon écurie et a traité M. Rey, mon patron, d’insolent. Il m’a provoqué en me disant : « C’est toi qui veux me décorer ? » J’étais dans ce moment à secouer la litière. Je me suis approché de la porte, la fourche à la main et je lui ai dit de ne pas me toucher. M’ayant poussé, je lui ai donné un coup de fourche et, comme il est parti pour ramasser des cailloux, je l’ai suivi ma fourche à la main et, dans la rue Beauvezet, je l’ai lancée sans l’atteindre. »

Lecture faite, Tiran a signé avec nous.
Des renseignements par nous recueillis, il résulte que Marie Arnaud, épouse Mazère, demeurant rue Aumône-Vieille n° 10, a entendu Rey dire au garçon boucher : « Tu as tort. »
Elle a aussi entendu le garçon boulanger dire au garçon boucher : « Quand tu reviendras ici, il faut que je casse. »

M. Vigouroux Barthélemy, âgé de 62 ans, tailleur de pierres, demeurant rue des Tanneurs, n° 21, déclare :

« Je me trouvais jeudi soir de neuf à dix heures dans une maison en face des écuries de Rey et de Delui. J’entendis une discussion. M’étant mis à la porte, je vis le garçon de Delui qui se sauvait, poursuivi par le garçon de Rey qui avait une fourche à la main. Ce dernier a dû lancer sa fourche après le garçon boucher car j’ai entendu le bruit qu’elle fait en frappant le pavé. Il criait en poursuivant son adversaire : « Il faut que je le tue ! »
« Je ne sais comment la dispute a commencé. »
Lecture faite, M. Vigouroux a dit ne savoir signer.
De tout ce que dessus, nous avons dressé le présent procès-verbal pour être transmis à M. le procureur de la République.
Fait à Aix, etc.

Note

1 La rue Beauvezet désigne l’actuelle rue Bédarride.