Deux frères ensevelis (Saint-Firmin, 7 mai 1864)

Une tragédie en montagne

Le 8 mai 1864 était un dimanche. Au matin de cette triste journée, une nouvelle atteignit Gap (Hautes-Alpes), nouvelle selon laquelle deux ouvriers puisatiers avaient été pris par un éboulement de terrain, dans une montagne du Valgaudemar, sur la commune de Veynes.
Alerté immédiatement, le préfet, accompagné de l’ingénieur de l’arrondissement, se rendit sur les lieux, pendant que le Procureur impérial se hâtait, de son côté, de s’y transporter, ainsi que le Commandant de la gendarmerie.
Les deux victimes, de la même famille, Pierre et Hippolyte Freynet, l’un âgé de 27 ans, l’autre de 23, habitaient le hameau du Villard, dans la commune de Saint-Firmin. Depuis des années, motivés par un espoir farfelu, les frères, issus d’une famille très modeste, exploraient sans relâche les entrailles de la terre, persuadés de découvrir un filon qui assurerait la fortune de la famille. Ils pensaient avoir trouvé dans une combe, au quartier de la Coste de la Croix, le lieu idéal. Avec une persévérance et une énergie surhumaines, les deux frères sondaient donc en tous sens, dans cette solitude, les flancs d’une montagne au terrain presque entièrement friable. Plusieurs galeries, creusées déjà sans succès, avaient été abandonnées ; c’était la dernière, la plus profonde, qui venait de les engloutir.

Une course contre la montre

La sœur de ces malheureux donna l’éveil. Les habitants du Villard et de Saint-Firmin accoururent. C’était au fond même de la galerie, à plus de 130 mètres, que l’éboulement s’était produit. La galerie, haute à peine d’un mètre et demi, sur 60 centimètres de largeur, ne livrait passage qu’à une seule personne. À trente-cinq mètres environ de l’éboulement, elle était plus qu’à moitié remplie par l’éboulement même, et ce n’était qu’à plat ventre, pour ainsi dire, qu’on pouvait dès lors avancer. D’un autre côté, les étais insuffisants placés par les imprudents puisatiers pouvaient laisser craindre de nouveaux écroulements.
Malgré ces obstacles et ces dangers, de braves gens pénétrèrent audacieusement dans le couloir obscur. On put s’approcher à quelque distance d’Hippolyte, qui était vivant. Il disait n’être enseveli que jusqu’à la ceinture et il parlait. Son frère, disait-il, était mort sans doute et il se trouvait sous ses pieds. Cette situation terrible anima le dévouement de tous. Des hommes se succédaient, se glissaient jusqu’au malheureux, et travaillaient avec les mains, l’usage de tout instrument étant impossible dans un espace aussi restreint.
Dès les premiers moments, le jeune vicaire de la paroisse s’était enfoncé dans la galerie pour y porter secours et encouragements.
On croyait à chaque instant s’approcher du succès, quand, après avoir dégagé les jambes, on trouva les pieds pris et serrés, d’une manière inextricable, dans le croisement d’étais brisés. Cette complication inattendue ne refroidit le courage de personne. Un des frères des victimes, gravement malade, sortit de son lit pour venir travailler à son tour. Il fallut employer la force pour le faire partir, tant il s’accrochait à l’espoir de retrouver ses frères et on le rapporta presque inanimé dans le chalet de la famille. Avertis par les soins de M. Long, un des premiers sur le théâtre du sinistre, l’ingénieur et les ouvriers de la mine du Roux étaient arrivés en toute hâte.
Mais tant de dévouement n’amenait plus aucun progrès, et les pieds du malheureux jeune homme restaient toujours fixés sous l’étreinte qui les retenait. D’un autre côté, l’air se raréfiait de plus en plus, malgré tous les essais de ventilation. On ne pouvait disposer pour cet objet d’aucun instrument spécial, le mode d’exploitation des mines voisines n’en ayant jamais exigé l’emploi.
Sur ces entrefaites, un second éboulement mit en péril un instant la vie de plusieurs travailleurs. De ce moment, le découragement commença à envahir la plupart, et, malgré les efforts des autorités locales, des chefs et ouvriers mineurs, et de la gendarmerie de Saint-Firmin, qui donnait l’exemple de la persévérance et du courage, quand le préfet arriva, le chantier ne comptait plus guère que des hommes hésitants et abattus.
La présence du chef du département, ses exhortations et ses promesses, réveillèrent le zèle et le dévouement de tous. L’ingénieur de l’arrondissement reconnut, en accord avec l’ingénieur de la mine du Roux, que les pieds d’Hippolyte et les poutres qui les serraient étaient engagés de telle sorte qu’il était désormais impossible de continuer les travaux dans les conditions voulues. Il fallait se résoudre à couper les deux jambes ou à provoquer un éboulement qui devait engloutir complètement Hippolyte Freynet et ceux qui voulaient le sauver.
On étaya le chantier autant que possible à mesure qu’on avançait. C’était un long travail, mais le malheureux Hippolyte était d’une constitution très robuste, et semblait encore avoir assez de vie. On avait même pu lui faire absorber quelques aliments. Il y avait donc encore de l’espoir.

Le drame inévitable

La nuit venue, il se mit à tomber une pluie abondante, mais le travail continuait avec la même ardeur. Le préfet, les ingénieurs, et le procureur Impérial, constamment près de la galerie, motivaient tout le monde.
À 2 heures du matin, on constata que Freynet pouvait encore parler mais que sa voix devenait plus faible. Des éboulements successifs l’avaient de nouveau enterré jusqu’à la poitrine.
À 3 heures et demie, un nouvel éboulement l’enterra jusqu’aux épaules.
À 4 heures, il ne répondait plus et il gardait sa tête inclinée, sans mouvement.
Mais le travail se poursuivait néanmoins avec activité. Mais chaque fois qu’un nouvel appel était fait au puisatier, plus grande devenait l’appréhension qu’il ne fût déjà mort.
Dans l’après-midi du lundi, le doute et l’espoir n’étaient plus permis. Il ne restait qu’à achever le déblaiement pour enlever les deux cadavres.
Le préfet se rendit au chalet de la famille Freynet, où l’attendait une scène de désolation. Le troisième frère agonisait, victime de son dévouement, et la famille en larmes n’allait plus se composer que du père et de la mère septuagénaires, de deux filles non mariées et d’un idiot. Le préfet promit à ces pauvres gens les secours du gouvernement de l’empereur.
On retira le premier cadavre le lundi dans l’après-midi, et le second dans la nuit seulement.

Des gens à ne pas oublier

Pierre Joseph Freynet avait 27 ans. Il était né au hameau du Villard et était cultivateur.
Hippolyte Freynet, lui, avait 23 ans, et était soldat au moment des faits.
Leurs parents se nommaient Joseph Freynet et Marie Richou.
Par bonheur, le troisième frère survécut malgré son état de santé vacillant.

  • Sources : L’Annonciateur, 14 mai 1864, p. 1, 2.
  • État civil de Saint-Firmin, Archives départementales des Hautes-Alpes, 2 E 148/8/1.

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