Deux mortes dans la campagne (Maussane, 19 juillet 1797)

mendiante
Aujourd’hui, second du mois de thermidor, l’an cinq de la République française [1], à trois heures après midi, pardevant moi, Gaspard Bartagnon [2], adjoint municipal de la commune de Maussane […], est comparu en la maison commune Jean Louis Trenquier [3], juge de paix […], domicilié audit Maussane, lequel, assisté d’André Paulet, marchand en détail, âgé de 29 ans, et de Jean Pierre Boyer [4], aussi marchand en détail, âgé de 26 ans, tous les deux domiciliés dans cette dite commune de Maussane, lequel a déclaré à moi Gaspard Bartagnon que, ayant été instruit qu’une femme avait été trouvée morte audit Maussane, quartier de la Remise [5], il s’était transporté sur le lieu et y avait rédigé le procès-verbal dont la teneur suit :« Ce jourd’hui premier thermidor an cinq de la République française, à sept heures du matin, a comparu devant nous […] le citoyen Barthélemy Moucadel [6], agriculteur dudit Maussane, qui nous a déclaré avoir trouvé ce matin à son aire [7], quartier de la Remise, et sur un tas de paille, une femme morte, ayant à son côté un jeune enfant femelle de l’âge d’environ dix mois, et a ajouté avoir vu cette femme dans le courant de la journée d’hier se plaignant d’être malade, mais qu’il ne connaissait ni son nom ni son pays, et a signé.
[Barthélemy MOUCADEL]
« Et nousdit, juge de paix, d’après la connaissance qui nous est donnée, considérant que la mort dont s’agit peut être regardée comme suspecte, nous nous serions rendu de suite avec notre greffier pour la constater sur l’aire dudit Moucadel où étant nous aurions fait visiter le cadavre par le sieur Moine [8], officier de santé de cette commune de Maussane, lequel nous aurait rapporté n’avoir reconnu sur icelui ni blessures ni contusions et qu’il présumait que la défunte eût été attaquée d’un coup de soleil, et a signé.
[MOINE officier de santé]
« Et, faisant la description du cadavre, nousdit juge de paix disons qu’il est celui d’une femme mendiante, âgée d’environ 36 ans, taille d’environ 4 pieds et […] [9], visage ovale, bouche grande, nez écrasé, couverte de haillons, ayant un mauvais corset de cadis rouge sans manche, une coiffe d’indienne rouge et un jupon dont nous ne pouvons désigner l’étoffe, tant il est rapiécé.
Disons de plus avoir trouvé auprès d’elle un enfant femelle de l’âge d’environ 10 mois.
« Après quoi, en conformité de la loi du code des délits et des peines, article 105 [10], nous avons fait appeler les personnes qui peuvent nous donner des renseignements non seulement sur l’espèce de mort dont s’agit mais aussi sur les noms et pays de la défunte.
« En conséquence, serait comparue la citoyenne Anne Arnaud [11], épouse de Barthélemy Moucadel, qui nous aurait déclaré avoir vu cette dernière avec son enfant dans le courant de la journée d’hier, se plaignant de maladie à la tête ; elle ajoute lui avoir entendu dire qu’elle avait quitté son mari à Saint-Rémy. Requise de signer, elle a dit ne savoir écrire.
« Serait également comparu Honoré Laclaverie [12], tailleur d’habits dudit Maussane, qui nous a déclaré avoir vu cette femme avec son enfant dans la journée d’hier, laquelle se plaignait d’être malade et de grandes douleurs à la tête. Il ajoute [l’]avoir entendu dire que son mari s’appelle Joseph, du lieu de Mormoiron [13]. Et a signé.
[LACLAVERIE]
« Toutes lesquelles circonstances recueillies, nous dit juge de paix, disons que rien n’empêche que le cadavre susmentionné soit inhumé dès à présent et sera le présent verbal présenté sans délai à l’officier public de la commune de Maussane, pour être transcrit dans les registres en conformité de la loi.
« Fait et dressé le présent procès-verbal sur les lieux, l’an et jour que devant. »
[TRENQUIER officier de police judiciaire]

Le deux thermidor an cinq de la République française et à l’instant où nous allions présenter le procès-verbal ci-dessus à l’officier public de la commune de Maussane, serait comparu le citoyen Joseph Rangier, cultivateur de la commune de Mormoiron, lequel nous a déclaré que le cadavre mentionné audit procès-verbal est celui de son épouse, dont le nom est Marie Dargean, de la commune de Chandolas en Vivarès [14], âgée d’environ 30 ans, et que l’enfant désigné au même procès-verbal, a provenu de son mariage avec ladite Dargean.
Le déclarant, requis de signer, a dit ne savoir écrire.
En foi de quoi, nous avons dressé le présent procès supplétif pour être intercalé avec le précédent dans le registre dudit officier public, et nous nous sommes soussignés.
[TRENQUIER officier de police judiciaire]
  • Sources : registre de l’état-civil de Maussane, 203E 404, f° 13-15.

[1] Le 2 thermidor an V correspond au 20 juillet 1797.
[2] Après sa carrière d’officier public, Gaspard Bartagnon (v. 1756-1812) est devenu fournier de Maussane sur ses vieux jours.
[3] Jean Louis Trenquier (v. 1766-1844) devint par la suite fermier de l’octroi.
[4] Jean Pierre Boyer, négociant et pêcheur, est mort à l’âge de 30 ans le 18 août 1801.
[5] La Remise est un quartier agricole situé à flanc de côteau au nord de Maussane.
[6] Barthélemy Moucadel est, à l’époque des faits, un solide vieillard de 71 ans. Il mourra âgé de 90 ans, en 1816.
[7] L’« aire » désigne un champ uni et préparé pour y battre le grain. (Dictionnaire de l’Académie française, 1798).
[8] Il s’agit de Jacques Sylvestre Moine (v. 1754-1806), chirurgien et officier de santé de Maussane.
[9] Impossible d’avoir une taille précise de l’intéressée, le texte n’étant pas lisible à cet endroit. L’indication « 4 pieds » indique que la femme mesure plus d’un mètre et 33 centimètres. Le nombre de pouces aurait permis d’affiner le chiffre.
[10] L’article 105 de la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795) stipule que « le juge de paix fait comparaître au procès-verbal toutes les personnes qui peuvent donner des renseignements sur le délit. […] Il y appelle spécialement les parents et voisins du décédé, ceux qui étaient employés à son service, et ceux qui se sont trouvés en sa compagnie avant son décès. »
[11] Anne Arnaud (v. 1732-1808) s’était remariée avec Barthélemy Moucadel après le décès de son premier mari, Georges Jaubert.
[12] Honoré Laclaverie (v. 1736-1806), fils de Jean et de Marie Gauthier, exerçait la même profession que son fils, Jean-Paul Laclaverie (1770-1858), membre éminent du conseil municipal de Maussane dans la première moitié du XIXe siècle.
[13] Mormoiron (code INSEE 84082), dans le Vaucluse, se situe à environ 10 kilomètres à l’est de Carpentras.
[14] Chandolas, dans le département de l’Ardèche (code INSEE 07053).