Enlèvement d’enfant (Aix-en-Provence, 20 octobre 1872)

  • Sources : Archives communales, cote I1, art. 15, n°38

(20 octobre 1872)
L’an mil huit cent, etc. (sic)
Pardevant Nous, Monge Hippolyte, commissaire de police, etc.
S’est présenté l’agent Sabatier, lequel nous a déclaré ce qui suit :

Des Bohémiens qui ont stationné ici quelques jours, quartier du Pont-de-l’Arc, s’étaient saisi, avant-hier, d’un jeune enfant, le nommé Gontard, âgé de onze ans. Malgré les efforts de celui-ci pour s’échapper, ils l’avaient retenu. Toutefois, ces Bohémiens étant venus en ville en compagnie du jeune Gontard, ce dernier était parvenu à égarer leur attention et s’évader. Cet enfant est revenu chez lui, tout déchiré et sans chapeau. Il dit à sa mère que c’est en voulant sortir du véhicule de ces étrangers, dont le nom et le signalement sont inconnus, qu’il avait eu ses vêtements lacérés. Avant de tomber entre leurs mains, il était muni de son cartable et de ses livres classiques qu’ils lui ont retenus.
pont-de-larc-aixNous, commissaire de police, avons interrogé le jeune Gontard Désiré, âgé de dix ans, demeurant avec sa mère, quartier de la Beauvale, au sujet des ciconstances qui ont entouré l’incident dont il s’agit et il a fait le récit suivant, qui ne concorde pas avec celui de l’agent Sabatier qui n’avait pas bien saisi la déclaration de la mère, hier, en notre absence. Voici comment s’exprime le jeune Gontard :

« Vendredi dernier1, dans l’après-midi, je venais de la maison, quartier de la Beauvale, à Aix, chez M. l’abbé Ripert, cours Sextius, qui s’occupe de mon éducation, lorsque, passant entre le portail de la Beauvale et la Poudrière, je rencontrai un Bohémien conduisant une charrette attelée d’un âne, et sur laquelle se trouvait sa femme et ses deux enfants. M’ayant approché, ce Bohémien m’invita à monter sur son véhicule. J’acceptai tout en lui observant que je descendrais bientôt à l’endroit dit la Rotonde, pour venir à Aix. Parvenu au lieu désigné, je lui rappelai mon observation, mais il me répondit qu’il me conseillait fort de rester sur son véhicule et qu’il était dans l’intention de me conduire à Marseille. Comme j’insistais pour descendre, il ajouta qu’il s’y opposait et me repoussa au fond de son véhicule. Dans cette situation, je me mis à pleurer.
« Le Bohémien entra en ville, s’engagea avec sa charrette dans la rue du Pont-Moreau2 où il s’arrêta pour acheter deux pains. Après cette acquisition, il rétrograda pour revenir au Pont-de-l’Arc où il détela son âne, tandis que j’étais toujours au fond de son véhicule, où je passai la nuit avec le Bohémien et sa famille, après avoir mangé un morceau de pain.

aix-rue-thiers-rue-pont-moreau

« Peu d’instants après notre retour au Pont-de-l’Arc, le Bohémien m’avait chargé d’aller acheter encore quelques pains chez un boulanger du voisinage, mais il ne cessa de me suivre pour me surveiller. J’ajoute qu’il n’a exercé aucune espèce de violence sur ma personne, et les déchirures de mes vêtements s’étaient produites au contact des clous qui se trouvent dans l’intérieur du véhicule du Bohémien.
« Le lendemain, celui-ci, qui voyage seulement avec sa femme et ses enfants, me conduisit en ville où nous nous rendîmes à pied et, après avoir examiné divers objets qui avaient excité sa curiosité, il m’entraîna dans la direction de la cathédrale. Là, il parut ne plus faire attention à moi et me laissa dans la rue, se dirigeant lui-même vers la porte Notre-Dame3. Je suppose qu’il me laissa après avoir réfléchi, peut-être, que ma nourriture lui coûterait trop. Quelqu’ait été le retour d’idées qui me parut alors s’opposer dans son esprit, je fus bien content de recouvrer ma liberté.
« Il est à remarquer que mes livres dont j’étais muni pour aller en classe lorsque je rencontrai le Bohémien et consistant en un De viris illustribus Romae, les fables de La Fontaine et un traité d’arithmétique, ont été déposés par le Bohémien au fond de sa charrette. Ils portent ou mentionnent mon nom: Gontard. On y trouverait aussi un sous-main renfermant un cahier de devoirs, presque terminés.
« Le signalement des enfants du Bohémien, dont une fille d’environ huit ans et un garçon de dix ans, m’échappe. Quant à celui de la mère, je me rappelle qu’elle a le nez très épaté, le teint fort pâle et qu’elle était vêtue d’une robe usée, fond blanc, à carreaux noir et jaune. Pour ce qui est du père, il est de taille ordinaire, cheveux négligés et crasseux, yeux gris, front ordinaire, visage rond, teint pâle, nez long et effilé, bouche large, vêtu d’une veste fond vert et très longue et d’un pantalon de drap Cadis, couleur marron. En ce qui concerne le véhicule, il est recouvert d’une tente en toile blanche complètement trouée et doublée d’une autre toile foncée. Ce véhicule, qui paraît ancien, révèle sur certains points et notamment aux roues des traces de peinture bleue. Il est dépourvu de plaque. »

La mère Gontard confirme le récit de son fils, en dehors des indices intéressant les signalements précités.
Comme nous n’avons pu interroger qu’aujourd’hui le jeune Gontard, il n’a pas été possible de compléter notre information.
De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal.
Fait à Aix, etc. (sic)

Notes

1. Vendredi 18 octobre 1872, deux jours avant la déclaration.
2. C’est aujourd’hui la rue Thiers.
3. En haut de l’actuelle rue Jacques de la Roque.

Images

1. Pont de l’Arc, à Aix. DR.
2. Rue Thiers, autrefois dénommée rue du Pont-Moreau. DR.

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