Fin d’une bande de voleurs (Aix-en-Provence, 16 novembre 1873)

L’an mil huit cent, etc.

Pardevant nous, Hivert Pierre Antoine, commissaire de police de la ville d’Aix, etc.
S’est présenté le sieur Buisson Jean Victor, âgé de 33 ans, journalier, né à Rones (Orne), sortant de la maison des aliénés d’Aix, lequel étant légèrement pris de boissons, nous a fait la déclaration suivante :

« Je suis sorti aujourd’hui de l’hospice, me trouvant en possession d’une somme de 10 francs qui m’avait été remise à ma sortie. J’ai rencontré, près de l’hospice, cinq individus étrangers auxquels j’ai payé à boire une partie de la soirée et, en dernier lieu, je me suis trouvé seul avec deux d’entre eux, auxquels j’ai encore payé à chacun un cigare et qui m’ont ensuite quitté. Quelques instants après leur départ, je me suis aperçu qu’une somme de 7,50 francs en pièces de 50 centimes, qui me restait encore, et mon livret m’avait été soustraits. Tous ces individus étaient en billets de logement à l’auberge Jalus, rue des Cardeurs, n°5, à Aix.»

Nous, commissaire de police, ayant fait procéder de suite à des recherches, trois de ces individus ont été trouvés à l’auberge Jalus et ont été amené en notre présence et celle du sieur Buisson qui ne les a pas reconnus pour être ceux qui étaient restés en dernier lieu avec lui, mais parmi ces trois individus, l’un d’eux, le sieur André Louis, âgé de 24 ans, fils de François Xavier et de Victorine Lamarque, né à Paris, ouvrier cordonnier, venant de Marseille, nous a fait la déclaration suivante :

« Je connais les deux individus qui sont restés les derniers avec Buisson, qui nous a effectivement payé à boire, pour les avoir rencontrés plusieurs fois à Marseille. Ce sont deux repris de justice. J’ai vu le plus âgé des deux mettre la main dans la poche de l’aliéné, en retirer son mouchoir et le lui rendre ostensiblement et avec affectation. Au même moment, j’ai trouvé à terre le livret de l’aliéné que je lui ai rendu en présence des autres, puis je n’ai plus rien vu.
« Lorsque j’ai rencontré ces deux individus à Marseille pour la première fois, ils m’ont proposé de me joindre à eux pour aller faire un coup à l’étalage, au quartier Saint-Martin ou à la place Pentagone, mais j’ai refusé avec mépris. J’ai su par le plus jeune, l’Alsacien-Lorrain, qu’ils avaient fait un coup avec un autre individu chez un marchand des environs de la place Saint-martin et que le troisième individu était sorti du magasin avec des effets d’habillement pendant que les deux autres, paraît-il, veillaient. Je sais aussi par lui que la casquette que porte en ce moment l’Endormi (le plus âgé) et qu’une chemise qu’il porte lui-même ont été volées, ainsi que son paletot qui lui a été donné par l’Endormi. Ils se sont plaints à moi que deux autres individus, dont l’un Italien, qui avaient travaillé avec eux, les avaient quittés en emportant les derniers objets volés. Ils en étaient très fâchés. Je sais aussi que ce matin, ces deux individus se trouvaient sans argent et qu’ils ont vendu un parapluie qu’ils avaient pour aller dîner, et que s’ils ne sont pas les auteurs du vol de Buisson, ils doivent être sans argent. Le plus jeune avait une montre accrochée à son gilet dans l’après-midi. »

Après de nouvelles recherches, les deux autres individus ayant été trouvés en train de dîner à la Fourmi, où ils avaient déjà fait une dépense de vingt[-et]-un sous qu’ils ont payé en présence des agents avec une pièce de un franc et cinq centimes ont été amenés devant nous et ont nié catégoriquement tous les faits qui leur étaient reprochés, le plus jeune affirmant que l’auteur du vol de Buisson était le sieur André Louis, leur dénonciateur.
Ils nous ont ensuite déclaré se nommer, ainsi que l’indiquent leurs papiers :

Michailland Claude Antoine, dit l’Endormi, âgé de 36 ans, né à Pont-d’Ain (Ain), fils de Antoine et de Françoise Bouchard, ouvrier cordonnier, repris de justice, sous la résidence de la police avec résidence obligée à Bayonne.
Schlernitzaus Adolphe, âgé de 20 ans, né à Beberskiret (Lorraine Allemande), ayant opté pour la nationalité française, fils de Joseph et de Madeleine Filsch, domestique, sans domicile fixe et muni d’un passeport de Lyon à Marseille et à la date du 5 novembre courant, repris de justice.

Une visite minutieuse ayant été faite sur ces individus et n’ayant produit aucun résultat malgré l’assurance que nous avions qu’ils étaient en possession d’une montre et d’une partie de l’argent volé à Buisson, nous les avons fait déposer dans deux violons séparés et leur avons adjoint pour compagnons, chacun à leur tout le sieur Méry Étienne qui s’était le même jour volontairement constitué en rupture de ban.
Le sieur Méry nous a fait connaître qu’il avait reçu des confidences de ses deux co-détenus, que le sieur l’Endormi, qui était très adroit, lui avait dit qu’il ne craignait rien pour ce qui s’était passé à Aix, mais qu’il avait fait de nombreux coups à Marseille et qu’il craignait d’y être conduit, ajoutant que le dernier coup qu’ils avaient fait l’avait été chez celui chez lequel il logeait mais que, cependant, il ne craignait pas d’être dénoncé par lui, parce que, s’il le dénonçait, il le dénoncerait aussi comme receleur. Il n’a pu obtenir l’adresse de ce logeur.
Quant au jeune Alsacien, ce dernier lui a dit que leur dernier coup avait été fait sur la place Vivaux, à Marseille, chez un restaurateur qui loge les marins et chez lequel ils logeaient aussi, que tous les jours ils faisaient des coups dans les magasins et qu’ils gagnaient à ce métier de 7 à 8 francs par jour, et que la montre et l’argent que nous cherchions étaient toujours en la possession de l’Endormi qui avait pu les faire disparaître lorsqu’ils avaient été fouillés.
Nous avons alors procédé à une nouvelle visite de l’Endormi dans le soulier duquel nous avons enfin trouvé la montre en argent avec chaîne en acier qu’il cherchait encore à subtiliser. Quant à l’argent qu’il ne pouvait plus cacher et que nous avions alors la certitude de trouver dans sa bouche, il a fait un effort assez violent au moment où nous lui faisions ouvrir la bouche, et il a du l’avaler malgré ses dénégations. Il nous a dit ensuite qu’il avait acheté la montre saisie sur lui, mais il n’a pu nous faire connaître le vendeur, puis il a ajouté que cinq ans de prison de plus ou de moins, ce n’était pas une affaire.
Nous avons saisi la montre, quatre porte-monnaie vides, un carnet de l’Endormi qui contient des adresses à Marseille et ailleurs et leurs papiers, pour servir de pièces à conviction, et avons fait conduire ces deux individus devant M. le Procureur de la République qui les a fait écrouer à la maison d’arrêt de cette ville.

En foi de quoi, nous avons dressé le présent procès-verbal,
Fait à Aix, etc.

  • Archives communales d’Aix-en-Provence, I1-15, n°456.