I. Jean Étienne Séard. Le bagnard de Montgardin

mtgJean Étienne Séard, fils de Pierre Séard (1737-1810) et de Marguerite Astier (v. 1745-av. 1795) vit le jour à Montgardin, petit village des Hautes-Alpes, le lundi 19 juillet 1779. Il était le dernier d’une famille de huit enfants. Avant lui, ses frères et soeurs se nommaient Anne, Jean-Jacques, Dominique, Marie-Marguerite, Michel, Thérèse et Marie-Magdeleine(1). Son acte de baptême est retranscrit de la sorte :
« Jean Étienne Seard, fils naturel et légitime de Pierre et de Marguerite Astier, mariés, est né et a été baptisé le dix neuf juillet susdit an 1779, les parrain et marraine ont été Étienne Masse et demoiselle Marguerite (…) Bonnet, présents, les soussignés la marraine (…)
[signatures de P. Seard, E. Masse, Masse curé(2)] »
On peut penser que son éducation fut extrêmement sommaire car il était, selon toute vraisemblance, illettré et le demeura probablement toute sa vie. Ajoutons à cette instruction médiocre la perte rapide d’une mère, alors que le jeune Étienne n’avait que cinq ans. Comme tous les habitants de Montgardin, un village très pauvre (la réponse des communautés aux questions des membres de la Commission intermédiaire des États de la province en 1789 en témoigne), sa jeunesse se passa dans les champs à cultiver le blé et à mener paître les moutons et les vaches dans les champs. Les difficultés et les conditions de vie dramatiques entourant l’existence des gens de ces contrées incitaient les parents à se débarrasser dès que possible de bouches à nourrir, d’autant que Pierre Séard, le père, était veuf.
C’est dans cet ordre de choses qu’Étienne se maria le 16 février 1795 (28 pluviôse an III) avec la jeune Marie-Magdelaine Garcin (3) . Le compte est vite fait: Étienne avait quinze et demi! Après le consentement des deux pères, «après (…) que Étienne Seard et Marie-Magdeleine Garcin ont déclaré à haute voy se prendre mutuellement pour époux, moy je prononce au nom de la loy que Étienne Seard et Marie Garcin sont unis en mariage».
Quelques enfants naquirent de cette union, parmi lesquels Marie-Marguerite, le 26 août 1801, et Jean-Joseph, le 28 août 1808. La vie de ces cultivateurs n’est probablement pas sortie de l’ordinaire. Une instruction sommaire incita les enfants, comme leurs parents, à se livrer aux travaux des champs. Une vie simple, mais certainement heureuse, si l’on fait abstraction des misères inhérentes à la vie de tous les villageois.
Tout ce petit équilibre bascula pourtant en peu de temps…

La mort de Marie

Marie-Magdeleine, la mère, une femme habituée à la rudesse des travaux dans les champs, amoureuse de son paysan de mari, mourut après quelques années de mariage, peut-être une quinzaine d’années. Elle laissait un mari dans la douleur et deux orphelins. Dans une situation semblable, la plupart des hommes se remariaient, car l’éducation des enfants les auraient empêché de travailler toute la journée dans les champs. Étienne, pourtant, ne choisit pas cette voie. Peut-être y fut-il contraint du fait qu’il y avait à Montgardin plus d’hommes que de femmes, comme dans la plupart des villages des Alpes, et que les femmes célibataires en âge de se marier étaient peu nombreuses. Étienne demeura célibataire et l’on peut penser que son niveau de vie, de médiocre, devint vite misérable.
Que faire en pareille circonstance? Et un nouveau mariage qui n’arrivait pas.
La misère poussa un jour le pauvre homme à commettre l’irréparable.

L’irréparable égarement

Il y avait à Montgardin une vieille femme du nom d’Anne Bonnafoux que le décès de son mari Jean Durand avait laissée veuve à défaut de pauvre. Cet homme était un propriétaire et ne possédait pas seulement une maison, mais aussi des terres. A sa mort, il laissa des enfants mineurs. Comme cela était la coutume, la veuve trouva un cotuteur pour ses enfants à qui elle confia la gestion de leurs biens. Cet homme, du nom d’Arnoux Rougny, cultivateur demeurant à Montgardin, s’employa avec zèle à gérer les affaires de la famille et à retrouver tous ses débiteurs.
Le 4 février 1821 (4), nous le voyons comparaître devant François Davin, juge de paix à la Bâtie-Neuve, et assigner deux cultivateurs d’Avançon, Jean-Ange Ollivier et Jacques Gros. Depuis 1816, les deux hommes devaient 378 francs (5) à Jean Durand. Celui-ci mort, les deux croyaient sans doute que la dette en resterait là, d’autant que la veuve n’était pas femme d’affaire. Mais Rougny veillait, bien décidé à faire payer Ollivier et Gros, dette et intérêts. Après s’être plaint que « la récolte avait été modique l’année dernière », ils avouèrent « n’avoir aucun moyen pour se procurer dans le moment l’argent nécessaire pour payer la susdite somme ». Il demandèrent donc un délai jusqu’à la récolte prochaine.
Cet épisode illustre le fait que la veuve Bonnafoux avait probablement plusieurs débiteurs, suite aux différents prêts accordés de son vivant par son mari. Rougny faisait désormais rentrer l’argent. La dette de Gros et Ollivier fut probablement acquittée et la bourse d’Anne Bonnafoux se remplit peu à peu, tout comme celle de Rougny.
En avril 1826, une grosse somme rentra, en espèces sonnantes et trébuchantes, plus d’un millier de francs, disait-on (près de 3.000 euros) ! Le bruit courut dans le village. Sans doute revint-il à la vieille femme qui s’en effraya. Un autre avait appris la nouvelle : notre ami Jean Étienne Séard, ce pauvre veuf acculé à la misère la plus noire.
Il réfléchit certainement des jours entiers, dans ses champs, lorsqu’il rentrait à la maison avec quelques pommes de terre dans sa besace. La nuit, il ne pouvait plus dormir. Il pensait à cet argent et à la chance folle de cette maudite femme. Que ferait-elle d’une somme pareille? Elle en avait moins l’utilité que lui n’en aurait la nécessité. Un projet fou germa peu à peu dans son esprit, et Étienne, le 15 avril, décida de commettre l’irréparable…
En pleine journée, probablement à un moment où la veuve est sortie, peut-être pour aller battre son linge au lavoir, après avoir pris soin de fermer sa porte à clé, Étienne approche discrètement une échelle de la fenêtre de sa victime. Il escalade, brise un carreau et pénètre dans la pièce principale. Il n’a pas à chercher bien longtemps. Il ouvre un placard et tombe sur un véritable magot : dix-neuf pièces en or de 47,20 F chacune, une pièce en or de 40 F, sept pièces en or de 20 F, quatre pièces de 5,80 F et douze pièces de 1 F, soit un total de 1 112 F. Une fortune (6) ! Lorsque la veuve Bonnafoux s’aperçut du vol, il était trop tard. Il ne lui restait plus que ses yeux pour pleurer…
routeLa nuit arriva. Jean Etienne, tombé dans un égarement total, avait décidé de ne pas en rester là. Il parvint à convaincre deux compères de se joindre à lui. À la faveur de l’obscurité, les trois hommes se tinrent en embuscade sur le chemin qui menait de Montgardin à Chorges.
Cette route, fréquentée dans la journée, avait peu de trafic une fois la nuit venue. La végétation dense qui la bordait offrait une cache aisée à des malfrats. Lorsque Jean-Laurent Astier, un propriétaire de Montgardin, vint à passer seul, il aurait été rapidement dépouillé de sa bourse si d’autres paysans n’étaient arrivés. La victime put fuir, les voleurs aussi. Mais, sans le savoir, Jean Étienne avait été reconnu.
Et, le lendemain, la police vint l’arrêter…
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Notes

(1) Anne Séard (née le 23 mars 1761), Jean-Jacques Séard (né le 25 janvier 1764), Dominique Séard (né le 18 décembre 1766, mort la semaine suivante, le jour de Noël), Marie-Marguerite Séard (né le 20 mars 1768), Michel Séard (né le 13 août 1770), Thérèse (née le 2 mai 1773) et Marie-Magdeleine (née le 14 mars 1776). Jean Étienne (dit Etienne) est donc le huitième de la fratrie, né alors que sa sœur Anne avait dix-huit ans.
(2) Il s’agit de Joseph Masse, curé de Montgardin de 1769 à sa mort, en 1790.
(3) Marie-Magdelaine Garcin est née le samedi 19 août 1775 à Montgardin. Elle était la fille de Jean Garcin et de Marie Bonnafoux. Elle avait une sœur aînée, Anne Garcin (née le 20 septembre 1774). Huit autres frères et sœurs la suivirent: deux jumeaux naquirent le 17 décembre 1777 (il s’agissait probablement de mort-nés, car ils ne reçurent point de prénom), puis Jean Garcin (né le 15 décembre 1778), Jeanne Garcin (née le 16 avril 1781), Catherine Garcin (née le 25 janvier 1784), Pierre Garcin (né le 10 février 1786) et son jumeau Michel Garcin, et enfin Suzanne Garcin (née le 7 septembre 1788).
(4) Archives départementales des Hautes-Alpes, cote 4 U 262.
(5) Cette somme correspond à environ 970 euros (coquette somme!).
(6) Environ 2 850 euros.

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