IV. La ville comtale d’Aix-en-Provence

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La rue Espariat est particulièrement connue à Aix, étant très populeuse et riche en boutiques de tout genre. Ancienne entrée de la ville d’Aix, cette rue comprenait jusqu’en 1811 deux parties : la partie basse, nommée jusqu’au XIXe siècle rue du Saint-Esprit, et la partie haute, s’étendant de l’actuelle rue Nazareth à la place Saint-Honoré, portant au Moyen Age le nom de rue des Salins. Au temps des première et deuxième Maisons d’Anjou (période des Comtes), des greniers à sel y avaient été érigés. A partir du XVIIe siècle, des gantiers s’y installant, la rue fut dénommée rue des Gantiers (actuelle rue Marius-Reinaud). Nous y reviendrons plus loin.

"Vue de l'entrée du Cours" (détail), par Nicolas Chapuy (1790-1858). Musée Paul Arbaud, Aix. On distingue nettement la porte des Augustins sur la gauche de l'image.

« Vue de l’entrée du Cours » (détail), par Nicolas Chapuy (1790-1858). Musée Paul Arbaud, Aix. On distingue nettement la porte des Augustins sur la gauche de l’image.

Le bas de la rue Espariat était ornée, depuis 1605, d’une porte monumentale, la porte des Augustins, que les Aixois appelaient lou pourtaou rioou (« la porte royale »). Elle se trouvait à l’intersection avec la rue Paul Doumer. C’est par cette entrée que les visiteurs royaux pénétraient en ville (le roi René, son neveu Charles III d’Anjou, les rois de France François Ier, Charles IX, Louis XII, Louis XIV). Le dernier à l’avoir passée fut le duc d’Orléans, Philippe-Égalité, le 20 avril 1776.
La rue Espariat plonge sur la place des Augustins au milieu de laquelle trône une fontaine, construite en 1620 et reconstruite en 1820. A l’occasion de cette reconstruction, on la surmonta d’une colonne en granit, prélevée d’un ancien monument romain de la ville.
Les quelques dizaines de mètres qui séparent cette place et l’intersection d’avec la rue Nazareth, en remontant la rue Espariat, étaient dénommés tantôt rue des Auberges (ou des Hôtelleries), en raison du grand nombre d’auberges qui bordaient la voie (auberge du Lion, auberge du Sarrasin), tantôt rue des Augustins, en raison de la présence d’un couvent dédié à l’ordre des Augustins, situé sur la partie droite en montant.

Le couvent des Augustins remonte aux alentours de 1292. Son seul vestige est le clocher XVe qui orne la rue Espariat de nos jours. Une cage en fer forgé le surmonta à partir de 1677.
Au temps de la Ligue, le couvent hébergea Gaspard de Pontevès, comte de Carcès, grand sénéchal et lieutenant général.

La rue Espariat au début du XXe siècle. Le clocher des Augustins (XVe). DR.

La rue Espariat au début du XXe siècle. Le clocher des Augustins (XVe). DR.

On trouve en remontant la rue sur la partie gauche l’église du Saint-Esprit, célèbre pour avoir vu célébrer le mariage entre Mirabeau et Émilie de Covet-Marignane, le 23 juin 1772. Le lieu abritait à l’origine un hôpital pour enfants trouvés. On observera à l’intérieur un tableau du célèbre peintre aixois Jean Daret, intitulé La Pentecôte.
Nous voici à présent dans la partie haute de la rue, sur l’élégante place d’Albertas. Celle-ci tire son nom de son inventeur, Jean Baptiste d’Albertas, fils d’Henry-Reynaud d’Albertas, seigneur de Bouc et de Dauphin, qui la traça en 1745-1746, après que son père y eût érigé un superbe hôtel (1). Jean Baptiste d’Albertas connut une fin tragique, assassiné par un déséquilibré, Anicet Martel, le 14 juillet 1790, en pleine fête de la Fédération.
Sur l’emplacement de cet hôtel, avant sa construction, un dénommé Jean Agar, originaire de Cavaillon, conseiller au Parlement d’Aix, habitait une maison à la fin du XVIe siècle. Cet homme, ardent ligueur, commanda plusieurs fois les troupes levées par sa compagnie contre le service d’Henri III et d’Henri IV, notamment en 1589 au siège de Grasse après la mort du baron de Vins. « S’étant brouillé à cette époque avec la fameuse comtesse de Sault, nous dit l’historien Roux-Alphéran, il fit cacher dans le palais, de concert avec trois de ses collègues, pendant la nuit du 14 au 15 mars 1590, trois cents hommes de troupe, espérant forcer le Parlement à se déclarer contre la comtesse et faire prévaloir le comte de Carcès sur le duc. Mais les consuls et le conseiller Honoré Sommat du Castellar, chef de la faction opposée, s’étant montrés ayant à leur suite deux pièces de canon et environ neuf cents hommes qui criaient dans les rues: Vive la Messe et son Altesse! ceux qui gardaient le palais prirent la fuite; Agar et ses collègues les conseillers Pierre Puget, seigneur de Tourtour, Melchior Desideri et Arnoux de Bannis, seigneur de Châteauneuf, coururent se cacher derrière une vieille tapisserie où ils furent bientôt découverts. »
Ils furent aussitôt jetés en prison puis transférés le 7 mai 1590 au château de Meyreuil, d’où le duc de Savoie les fit sortir au mois de novembre 1591. Agar mourut le 4 septembre 1595 et fut enseveli dans l’église des Augustins, accompagné de toute la cour, des consuls et des plus notables habitants de la ville. Entre temps, la ville d’Aix avait reconnu Henri IV… Par la suite, le bâtiment passa à une famille de Marseille, les Paule, qui la vendirent après quelques années aux Albertas.
Au numéro 6 de la rue Espariat, le Muséum d’Histoire naturelle d’Aix s’abrite dans l’hôtel d’Éguilles. Au XIXe siècle, de nombreux vermicelliers aixois y travaillaient, donnant le bâtiment un bien triste état. Heureusement, les lieux furent restaurés et ont aujourd’hui retrouvé leur lustre d’antan. Cet hôtel fut bâti vers 1675 d’après les dessins de l’architecte Pierre Puget, par la veuve de Vincent de Boyer, seigneur d’Éguilles, Mme Magdelaine de Forbin d’Oppède. L’hôtel fut achevé par son fils, Jean Baptiste de Boyer d’Éguilles (1645-1709), conseiller au Parlement, amateur éclairé d’art. Il accrocha aux murs de son hôtel des tableaux de Raphaël, Michel-Ange, Andrea del Sarto, le Caravage, le Titien, Rubens, etc.
Alexandre Jean Baptiste de Boyer d’Éguilles, né dans cet hôtel le 29 mars 1708, grand magistrat, membre d’une société jésuite, fut l’objet des poursuites que le Parlement d’Aix mena contre l’ordre jésuite par un arrêté en date du 28 janvier 1763. Accusé de prévarication, de Boyer d’Éguilles fut condamné le 17 mai de la même année au bannissement à perpétuité du royaume. Ses compagnons, l’abbé de Barrigue-Montvalon, les conseillers de Coriolis, Laugier de Beaurecueil, Deydier-Curiol de Mirabeau, d’Arbaud de Jouques père, de Barrigue-Montvalon père, et de Barrigue-Montvalon fils, subirent diverses condamnations à leur tour et tous furent interdits d’exercer encore leur charge. Quelques années plus tard, le roi adoucit la peine et permit à Alexandre de Boyer d’Éguilles de retourner sur ses terres d’Éguilles pour le restant de ses jours.

 

Une anecdote citée par Roux-Alphéran concernant Alexandre de Boyer d’Éguilles après son retour à Éguilles :

On raconte qu’il [Alexandre de Boyer d’Éguilles] s’y faisait raser par un barbier qui était en même temps le chirurgien du lieu. Un jour ayant été assez fortement indisposé, il fit appeler le docteur Pontier, habile médecin et chirurgien d’Aix, en qui il avait confiance, ce qui humilia singulièrement le barbier. Celui-ci lui en fit ses plaintes, prétendant qu’il en aurait su autant que le docteur, et citant pour exemple l’opération de la pierre qu’il avait pratiquée depuis peu sur un habitant d’Éguilles.
— Tu as raison d’en tirer vanité, dit le président; n’est-il pas vrai que le malade mourut dans tes bras, sous l’opération ?
— Belle question, répondit le barbier. Le malade mourut dans mes bras, je l’avoue ; mais n’est-il pas vrai aussi que je finis par lui extraire la pierre ? (Noun aguéri la peiro !).
Le malheureux avait terminé l’opération sur le cadavre du patient !

Notes

1. En 1775, l’hôtel d’Albertas devint la propriété du fils de Jean Baptiste, Jean Baptiste Suzanne d’Albertas, qui devint, après la Révolution, préfet des Bouches-du-Rhône. Il mourut en 1829.

 

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