La nuit du 11 juin 1909 à La Roque-d’Anthéron

Par Emmanuel-François de Florans (1877-1916)
« LE 11 JUIN1909, vers 9 h 17, me trouvant dans une des jacobines nord du château de La Roque, le vent d’orage soufflant déjà, une brusque rafale comme un cri de détresse traverse la vallée est-ouest et le cube du château, orienté sur ses quatre faces, est secoué sud-nord. […] Secoué sous le toit frémissant de ce massif castel, j’avais le choix entre la mort debout ou la descente tête première ou pieds devant par la fenêtre. J’attendis la fin dans ma chambrette. Quelques minutes après, je trouvais le village dans la rue, pierres et gens ! Je dois à mes compatriotes cette justice : le premier moment de stupeur passé, ils avaient recouvré leur sang-froid ; on se heurte, on se coudoie : « N’avez-vous rien ? Ma maison est fendue, murs et plafonds, et nous sommes sortis en courant ! Quelle peur ! Nous l’avons échappé belle ! »
Nous l’avons échappé belle, c’est vraiment le mot de la situation, car, deux secondes plus tard, La Roque n’était plus ! À tâtons, sous un ciel jaloux de ses étoiles, on visite les immeubles les plus endommagés, et cette promenade dans la pénombre a quelque chose de sinistre elle-même. De temps à autre tombe un plâtras, se détache une grosse pierre. Et c’est une panique nouvelle. La pierre faisait le bruit !

L’extérieur du château de La Roque ne laisse pas deviner les dégâts considérables dont l’intérieur a souffert. (Coll. part.)
L’extérieur du château de La Roque ne laisse pas deviner
les dégâts considérables dont l’intérieur a souffert.
(Coll. part.)

Le haut La Roque est très éprouvé : le Roquassier eut là l’impression de ce qui s’en va. Les murs antiques que les pères des anciens avaient vu debout, attestant le vieux village, sont maintenant épaves d’un passé aboli ; cinq siècles de bons services ne sauvent pas le moulin à huile de la lézarde formidable, ses voûtes énormes ne résistent point aux convulsions de cette terre qui lui prodigua ses olives ; la coquette mairie et sa blanche façade mutilée voient, l’horloge à moitié démolie, un trou béant faire office de cadran et l’aiguille, griffe muette, indiquer l’heure sinistre.La foule lentement se retire, les uns regagnent leurs maisons. Mais ces demeures qui les ont vu naître offrent-elles maintenant la solidité nécessaire ? Ne vaut-il pas mieux les déserter pour un abri plus sûr ? Alors commence l’exode vers les bastidons de la plaine. Chacun se loge où et comme il peut, chemineau du tremblement de terre, sous les hangars et dans les granges, et sur les aires, le plus déshérité pratique le camping ! La triste veillée se poursuit entre ceux qui tremblent et ceux qui prennent sur eux d’encourager. Une angoisse indicible étreint tous les cœurs. Le sinistre est-il limité à La Roque ? Nos pauvres voisins ne sont-ils pas plus durement frappés ? Enfin voici le jour qui luit… mais pourquoi cette lueur falote éclaire-t-elle le ciel blafard ? Le soleil se refuse à illuminer le lamentable spectacle. La campagne est morne. On dirait que, dès l’heure tragique, la vie universelle a suspendu son cours. L’oiseau ne chante pas. Le rossignol s’est tu. La nature prend le deuil de sa propre infortune. Quand arrivent les terribles nouvelles : Rognes, l’antique Rognes est détruit, Saint-Cannat en partie écroulé, Lambesc moyenâgeux cruellement atteint ! Effaçons-nous devant le désastre d’alentour.
Témoins historiques des âges écoulés, le pesant château de La Roque, bardé de fer sur l’assise de rochers qui filent jusqu’à Silvacanne, la vieille abbaye des moines de Citeaux, en ont tant vu passer de choses ici-bas, que la plus terrible secousse enregistrée par notre Midi vingt fois séculaire ne le a que légèrement émus : philosophie, résignation de pierres éloquentes, notre effort sera de vous imiter sans que de nous puissent être redits les vers du poètes :

Si fractus illabatur orbis
Impavidum ferient ruinae [1]… »

[1] « La voûte du ciel s’écroulerait que ses débris le frapperaient sans l’étonner. » (Horace [65 av. J.-C. – 8 av. J.-C.], III. Od. III. 7).

 

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