Un dépôt de plainte à Cruis (Alpes-de-Haute-Provence), le 6 juin 1891, provoqua l’intervention de la gendarmerie dans ce qui s’avérait être une affaire de voisinage.
Découverte de l’acte de vandalisme
« Ce jourd’hui 6 juin 1891 à 7h30 du matin, nous soussigné Rey François, maréchal des logis, et Béraud Calixte Joseph, gendarme à pied à la résidence de Saint-Étienne, département des Basses-Alpes,
Revêtus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs,
Rapportons qu’étant en tournée dans la commune de Cruis, le sieur Point Casimir, âgé de 38 ans, cultivateur audit lieu, nous a fait la déclaration suivante :

« Hier, 5 juin, vers 6h30 du matin, étant entré avec ma femme dans l’appartement où sont nos vers à soie, nous avons reconnu qu’il y en avait environ les trois quarts de morts. Comme nous leur avions donné à manger une demi-heure environ auparavant et qu’ils étaient très beaux, nous avons été tout surpris et, en les examinant de près, nous avons reconnu de la poudre insecticide Vicat, spécialement affectée à la destruction des punaises.
« En sortant de l’appartement, ma femme avait seulement donné un tour de clé et avait laissé la clé dans la serrure.
« Nos soupçons se sont immédiatement portés sur la nommée Fabre Vierge, veuve Manus, qui habite la même maison que nous (nous en possédons la moitié chacun) et avec laquelle nous avons des différends pour le partage de cette maison. Je me suis empressé d’aller demander aux épiciers s’ils n’auraient pas vendu de la poudre à punaises à la veuve Manus et Mme Gaubert m’a dit lui en avoir vendu ce jour-là avant 6 heures du matin un paquet de dix centimes.
Je me suis ensuite rendu chez Monsieur le Maire et lui ai fait part de tout cela. Ce magistrat s’est immédiatement transporté avec moi au domicile de la susnommée que nous avons trouvée couchée dans son lit, tout habillée. Monsieur le Maire lui ayant fait part de ce dont je l’inculpais, elle a protesté vivement de son innocence et lorsqu’il lui a demandé de quel emploi elle avait fait de la poudre Vicat, elle a soutenu ne pas en avoir acheté.
Puis, lorsqu’il lui a dit qu’il savait qu’il lui en avait été remis à l’épicerie Gaubert, elle a dit qu’elle l’avait mise dans ses cheveux et dans ses vêtements pour en détruire la vermine. Cette allégation nous a paru d’autant plus fausse qu’il n’en restait aucune trace.
La quantité de vers à soie que j’avais est de 30 grammes de graines, et le préjudice qui m’est causé par ce fait est d’au moins 300 francs, mes vers à soie arrivaient à la troisième mue. »
Les allégations contradictoires
Nous étant rendus sur les lieux, nous avons en effet constaté que presque tous les vers à soie dudit Point étaient morts et qu’ils étaient saupoudrés de poudre insecticide Vicat.
Nous nous sommes ensuite rendus chez la nommée Fabre Vierge, veuve Magnus, âgé de 70 ans, cultivatrice, née et domiciliée à Cruis, ignorant sa date de naissance, fille de feu Jean-Joseph et de Esmiol Françoise, jamais condamné. Lui ayant fait part des soupçons qui planaient sur elle, elle nous a déclaré qu’elle n’était pour rien dans cette affaire, que Point ne l’inculpait que parce qu’ils étaient ennemis, puis, nous montrant son lit, elle nous dit :
« Voilà ce que j’ai fait de la poudre Vicat que j’ai prise hier matin à l’épicerie Gaubert. »
Nous avons en effet reconnu que ce lit était fraîchement saupoudré de poudre Vicat.
Nous nous sommes alors rendus chez Monsieur le Maire. Ce magistrat nous a confirmé en tout point, en ce qui le concerne, la déclaration du nommé Point et il nous a affirmé que lorsqu’il est entré chez la veuve Manus, il avait examiné le lit de cette dernière et n’y avait trouvé aucune trace de poudre Vicat.
Nous avons ensuite visité toutes les épiceries afin de savoir à qui il aurait été vendu de cette poudre, et Mme Roche Rose, née Espitallier, nous a dit en avoir vendu hier soir une boîte de 20 centimes à la femme Paul Stéphanie, âgé de 45 ans.
Aveux et révélations

Nous nous sommes aussitôt rendus chez cette dernière que nous avons questionnée à ce sujet. Elle nous a d’abord dit ne pas en avoir acheté, puis a fini par s’exprimer ainsi :
« Hier soir, vers 4 heures, la veuve Manus est venue me prier d’aller lui acheter une boîte de poudre Vicat de 20 centimes pour détruire la vermine qu’elle avait sur le corps et dans ses vêtements et dont elle ne pouvait s’expliquer la provenance. Je suis allée prendre cette poudre et un peu plus tard, la veuve Manus est venue la prendre chez moi. »
Nous nous sommes ensuite rendus auprès de la veuve Manus que nous avons rencontrée chez Monsieur le Maire. Après lui avoir fait connaître le résultat de nos investigations, elle a avoué que c’était en effet elle qui avait empoisonné les vers à soie du sieur Point et qu’elle l’avait fait par vengeance parce qu’elle vit en très mauvaise intelligence avec lui. Elle nous a dit avoir acheté à dessein un paquet de 10 centimes de poudre Vicat à l’épicerie Gaubert et avoir épié le moment où les époux Point s’absentaient pour s’introduire furtivement dans l’appartement où étaient les vers à soie, et après les avoir saupoudrés de tout le contenu du paquet, elle était ressortie et avait refermé la porte sans avoir été aperçue.
La veuve Manus, quoique n’ayant pas une très mauvaise réputation dans la localité, nous a été signalée, avant son aveu, pour être bien capable du fait qu’il lui était imputé.
En foi de quoi, nous avons dressé le présent procès-verbal, à Saint-Étienne, les jour mois et an que dessus. »
Les recherches montrèrent ensuite que Marie Virginie Fabre, dite Vierge Fabre, était née à Cruis le 17 mars 1820, de Jean-Joseph Fabre et de Françoise Esmiol. Elle avait été veuve deux fois ; d’abord de Joseph Michel, puis de Louis Manus.
Jusqu’au mois de janvier précédent, elle était dans une complète indigence mais elle avait depuis hérité de son mari d’une partie de maison et de 400 francs.
Quant à connaître sa réputation, il fut établi qu’elle avait été « un peu légère dans sa jeunesse, mais [qu’elle était] de bonnes vie et mœurs à l’âge mûr. »
Casimir Point, quant à lui, a 38 ans en 1891 et est né à Montsalier (Alpes-de-Haute-Provence). Il a été marié avec Marie-Louise Raymond en 1875 mais il divorcera d’elle en 1888, année où il épousera Joséphine Guende, qui intervient dans cette histoire en tant que « sa femme ».
- Sources : Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence, 3 U 2/305.
Lire un article sur les vers à soie (Wikipédia)