La vengeance d’une jeune fille sur son amant (Marseille, 30 juin 1843)

Un récit en direct des Assises d’Aix-en-Provence (30 juin 1843)

Thomas_Prichard_Rossiter_-_Magdelaine Amiel, fille d’un honnête fabricant tanneur de Marseille, avait 15 ans lorsqu’elle fit connaissance avec Baptistin Stariolo.
Ils demeuraient vis-à-vis l’un de l’autre; et, comme Magdelaine avait perdu sa mère, et que son père infirme ne pouvait lui procurer aucune des distractions que son jeune âge permettait, la jeune fille s’était liée d’amitié avec la mère et les sœurs de Baptistin et passait avec elles une partie des moments que lui laissaient les soins de son ménage.
Les deux jeunes gens s’aimèrent bientôt ; cet amour ne fut pas longtemps un mystère pour la famille de Baptistin qui, loin d’y mettre obstacle, le favorisa. Le père et la mère du jeune homme n’appelèrent bientôt plus Magdelaine que du nom de belle-fille.
Magdelaine, trop confiante dans l’amour de Baptistin céda à ses désirs ; elle devint enceinte. Il fallut alors songer au mariage ; les deux pères donnèrent leur consentement ; le jeune homme seul résista.
Il était trop jeune, disait-il : il fallait attendre. La jeune fille le pressait vivement, et, s’étonnant de sa résistance, puis de sa froideur, elle soupçonna qu’une rivale lui enlevait le cœur de son amant.
Elle apprit en effet, que Stariolo ayant fait un baptême avec une jeune fille du voisinage, lui avait, dès le même jour, fait l’offre de son cœur, offre qui avait été agréée.

Elle fit acheter par un ouvrier de son père du vitriol…

Cette nouvelle excita sa jalousie, et pour l’augmenter encore, une de ses amies lui rapporta que Baptistin avait dit à sa nouvelle conquête qu’il ne se croyait pas le père de l’enfant que Magdelaine portait dans son sein.
C’est dans ce moment qu’elle conçut la funeste pensée de se venger de son amant ; elle fit acheter par un ouvrier de son père du vitriol et, à l’heure où Baptistin rentrait chez lui à la fin du jour, Magdelaine lui jeta à la figure un verre de ce liquide corrosif.
Arrêtée bientôt après, la jeune fille avoue avec sincérité au commissaire de police le crime qu’elle vient de commettre, en disant pour se justifier, qu’elle avait voulu défigurer son amant, pour qu’il ne pût pas épouser sa rivale.
C’est par suite de ce fait que Magdelaine Amiel comparaît devant la Cour d’assises.
L’accusée qui a aujourd’hui 17 ans et demi tient dans ses bras une petite fille dont elle est accouchée dans la prison depuis un mois. Sa figure est douce et pleine d’expression.
Elle répond affirmativement à toutes les questions que M. le. président lui adresse.
Stariolo s’est porté partie civile à l’ouverture dès débats.
Les témoins appelés par l’accusation ne font que confirmer les faits avoués par la prévenue.
Stariolo fils avait fait assigner trois témoins contre Magdelaine Amiel, pour établir que cette jeune fille, avant de le connaître, avait fui la maison de son père avec un jeune homme nommé Sicard et que ce n’était que plusieurs jours après sa disparition qu’elle avait été ramenée chez son père par le sieur Benet.
Ce témoin a déposé qu’en effet il y trois ans, Magdelaine avait quitté la maison de son père pour aller chez sa sœur mariée, à Marseille, où le sieur Benet fut la chercher quelques jours après.
Le défenseur de la fille Amiel, ayant demandé au témoin le motif qui avait porté la prévenue à fuir la maison de son père, celui-ci déclare que Magdelaine ayant un excellent cœur et ne sachant rien refuser aux malheureux, distribuait à ses plus pauvres voisins les provisions de la maison, du riz, du pain, de l’huile, que son père, pour mettre un terme à une charité trop onéreuse pour lui, avait enlevé à Magdelaine la clef de la dépense et que, de dépit, la jeune fille était allée chez sa sœur.
Cette déposition, si contraire à celle que Stariolo attendait, a produit une grande sensation dans l’auditoire.
Le sieur Sicard père, ayant fait aussi une déposition avantageuse à la prévenue, le défenseur de Stariolo à renoncé à faire entendre Mad. Sicard.
La défense avait aussi appelé quelques témoins qui ont déposé des relations journalières qui existaient entre la fille Amiel et la famille Stariolo.
Me Bedarrides, avocat, a prêté l’appui de sa parole chaleureuse à la partie civile.
Me Marguery, avoué licencié près la Cour, a plaidé pour la prévenue avec un véritable talent et une émotion communicative.
M. l’avocat-général Darnis, a soutenu l’accusation.
Après une réplique de Me Bedarrides et de Me Marguery, M. le président a résumé l’affaire.
Les jurés entrés dans la chambre de leur délibération en sont ressortis quelques instants après avec un verdict d’acquittement.
Me Boucherie, avoué, a pris alors pour le sieur Stariolo, des conclusions en 3000 francs de dommages-intérêts.
Me Bedarrides a plaidé sur le mérite de ces conclusions.
Me Marguery, en sa double qualité, a repoussé cette demande en dommages-intérêts, se fondant surtout sur le préjudice considérable que la conduite de Stariolo faisait éprouver à sa cliente qui restait chargée d’un enfant.
Le ministère public a conclu dans le même sens ; seulement il a demandé la condamnation de la fille Amiel et de son père, aux frais pour tous dommages-intérêts.
La Cour, après en avoir délibéré, les a condamnés à 400 francs de dommages-intérêts envers la partie civile et aux frais.
  • Source : Le Mémorial d’Aix, n° 67, 2 juillet 1843.
  • Illustration : Spilt Milk, Thomas Pritchard Rossiter (1818-1871), détail