La ville des Tours – Une cité aixoise oubliée

eglise-notre-dame-de-la-seds-aixIl existait à Aix, jusqu’au Moyen Âge, un quartier que les documents d’archives dénomment la Ville des Tours. Ce faubourg fut habité dès l’Antiquité. De nombreux nobles y vivaient. Tombée en désuétude, ruinée par le temps, cette ville ne revint à la mémoire des hommes que peu avant la Révolution où elle reçut le nom de « Faubourg ». Mais ce n’est qu’en 1811 que le quartier fut conçu d’après un plan d’urbanisme sérieux.
Un amphithéâtre romain s’étendait sur un vaste terrain, sur lequel fut érigée l’actuelle église de Notre-Dame de la Seds, dédiée à Marie. Cette église, dont le patron n’était autre que saint Mitre1, reçut ce nom de « la Seds » car elle fut la résidence des premiers évêques d’Aix (ecclesia Beatae Mariae de Sede episcopali). On peut sans difficulté imaginer un bourg se développer à l’est de cette église. Maintes fois ruiné lors des invasions barbares, notamment en 869, plusieurs siècles de violence passèrent, donnant l’image d’une ville à la défense fragile, quoique fortifiée sans doute. Des échanges s’opéraient fréquemment entre le bourg Saint-Sauveur et la Ville des Tours. Lorsque la cathédrale Saint-Sauveur fut rebâtie en 1080, par l’archevêque Rostang de Foz et Benoît, prévôt du chapitre, ce même Benoît, résidant en la Ville des Tours, vint habiter la nouvelle bâtisse du bourg Saint-Sauveur avec six chanoines de Notre-Dame de la Seds.
Le bourg donna d’illustres dirigeants à la cité aixoise. Des syndics en furent issus (le damoiseau Isnard Duperrier et Guillaume Ricard en 1336 [de la cyté des Tours], Philippe Duperrier en 1351…) Après 1351, on ne trouve plus de mention de la ville des Tours. Selon Roux-Alphéran, c’est vers 1338 que commença le déclin de cette ville. Siège des archevêques d’Aix depuis toujours, l’archevêque Arnaud de Barchesio abandonna la résidence de ses prédécesseurs située à Notre-Dame de la Seds, pour venir se loger près de l’église Saint-Sauveur. Dès lors, la ville et son église furent abandonnée et son souvenir s’estompa. Certes, abandonner une église vouée à Marie, dont on laissait la statue dans un coin de l’église Saint-Sauveur, tourmentaient la conscience des Aixois et lorsque la peste frappa en 1521 et en 1522, on y vit un signe du courroux divin. Des témoins affirmèrent que des feux surnaturels sortirent de terre et l’on fit voeu de restaurer Notre-Dame de la Seds. Grâce à Pierre Joannis, membre d’une vieille famille aixoise, les vieilles fondations furent retrouvées et l’on rebâtit l’édifice. Il fut cédé au religieux Simon Guichard, provincial de l’Ordre, le 8 janvier 15562.
cours-sextius-aix-panoramaRoux-Alphéran cite le nom de plusieurs illustres Aixois nés dans le quartier de Notre-Dame de la Seds: Honoré Duranti (1559-1626), prédicateur, confesseur d’Henri III ; Joseph Victor Thibaud (1587-1662), prédicateur de la princesse Christine de France ; Timothée de Brianson de Reynier (Aix, 1595-Marseille,1681), religieux des Minimes ; Antoine Morel (1608-1670), auteur d’ouvrages religieux et ami de l’historien J. S. Pitton ; Gaspard Laugier (Aix, 1637-Pourrières, 1697), « intrépide faiseur d’anagrammes »; Sauveur André Pellas (1667-1727), auteur du premier dictionnaire provençal-français et Toussaint Pasturel (Aix, 1671-Avignon, 1731), poète latin et prédicateur.
Le cours Sextius reçut son nom en 1811 en mémoire de l’illustre fondateur de la ville, le général romain Sextius Calvinus. Cette dénomination résolument païenne entrait parfaitement dans l’évolution de la société qui voulait en finir avec les noms de saints, au profit de héros plus glorieux et belliqueux. Le nom de Sextius donnait une touche de prestige à un ensemble de qualité.
Le cours Sextius est aujourd’hui célèbre pour l’établissement thermal qu’il abrite. Dès l’époque romaine, les eaux aixoises étaient bien connues pour leurs vertus médicinales et leurs effets salutaires. Non loin du cours Sextius, dans la rue des Étuves, un nommé Guigon Mayne serait le créateur des thermes modernes, vers 1567. En 1705, le médecin Lauthier écrivait que selon la tradition de l’époque, il n’y avait pas plus de 150 ans que « les eaux du quartier de l’Observance servaient à faire des bains3« . En 1678, l’historien Pitton est le premier à avoir associé les thermes au nom de Guigon Mayne4.
Au XIXe siècle, le cours Sextius était, aux dires de l’historien Roux-Alphéran, « bordé de maisons de commerçants, de commissionnaires de roulage, de charrons, de maréchaux, de forgerons, d’auberges et de cafés ». Il se divise dans sa longueur en deux portions bien distinctes; la partie nord de la rue était autrefois nommée la rue Cavalette. Les sources de recensement laissent apparaître que dans cette zone vivaient de nombreux plâtriers et tuiliers.
C’est en 1811 aussi que fut dénommée la rue Vanloo, car cette rue menait au pavillon Vendôme, propriété de la famille Vanloo. Cette famille d’origine hollandaise doit sa renommée à Jean-Baptiste van Loo (Aix, 1684-id., 1745), talentueux portraitiste dont les oeuvres sont exposées dans le monde entier5. La rue Vanloo est la plus ancienne du Faubourg, elle est habitée depuis le XIIe siècle par Joseph Jean Baptiste de Suffren, seigneur de la Molle, conseiller au parlement. Celui-ci acquit le pavillon en 1737, à la mort de son propriétaire6.
L’actuelle rue du 11-Novembre portait autrefois les noms de Saint-Hippolyte, Duperrier, puis celui de rue de Guerre. Cette rue était en effet habitée par des membres de la famille de Guerre au XVIIe siècle. Une rue voisine qui n’avait pas de nom fut par la suite maladroitement dénommée rue de la Paix, par antithèse avec la « rue de Guerre » que l’on appelait de façon incorrecte « rue de la Guerre ». Le plan d’Aix de Makaire de 1869 donne d’ailleurs le nom de « rue de la Guerre ». La famille de Guerre devait se retourner dans sa tombe! A dire vrai, donner à cette rue le nom de « rue du Onze-Novembre » ne fait qu’entretenir la confusion.
La rue la plus longue de ce quartier est la rue de Célony. Ce nom lui vient de ce qu’elle était autrefois un chemin menant au hameau de Célony, terroir de Puyricard, situé sur la route d’Avignon, à environ deux lieues de là. C’était auparavant la rue de Reauville, car les terres qu’elle traversait était la propriété des Rolland, seigneurs de Reauville. Le nom de rue de la Burlière lui vient de ce que les paysans y jouaient aux boules les dimanches et jours de fête7. Sa longueur et sa régularité en faisait un terrain idéal pour les pratiquants de ces jeux.
Sur le plan de 1575, la rue est dénommée faubourg des Gipières8. Son avant-dernier nom de rue des Bourras vient de la présence des Pénitents Gris (« Bourras ») qui y établirent leur chapelle en 1677. La mission de ces religieux consistait à accompagner les pauvres jusqu’à leur sépulture et à consoler les condamnés à mort.

Notes

1. Selon la légende, Mitre, ouvrier agricole, vivant à Aix dans les premiers siècles de notre ère, chez le préteur Arvendus, fut accusé de sorcellerie pour avoir accompli un miracle. Il fut décapité. Il ramassa alors sa tête et la porta jusqu’à l’église de Notre-Dame de la Seds dont il devint le patron. Ses reliques furent transférées à la cathédrale Saint-Sauveur le 23 octobre 1383. On dit que la colonne droite qui soutenait son tombeau était percée d’un trou qui suintait constamment, sécrétant un liquide souverain contre les maux d’yeux.
2. Simon Guichard fut assassiné en décembre 1574 sur le chemin de Saint-Roch par des huguenots.
3. Lauthier, « Histoire naturelle des eaux chaudes d’Aix », David imprimeur, Aix, 1705, in-8°, p. 10.
4. Pitton, « Eaux chaudes de la ville d’Aix », David imprimeur, Aix, 1678, in-8°, p. 28.
5. Le second fils de Jean-Baptiste van Loo, François van Loo, né à Aix le 8 novembre 1708, mourut misérablement à Turin en 1731. Aujourd’hui oublié par la mémoire collective, il conviendrait toutefois de réhabiliter un homme « rempli de génie et de talent », selon Roux-Alphéran et sujet de nombreux éloges de son temps.
6. Joseph Jean Baptiste de Suffren était l’aïeul du bailli de Suffren.
7. « Est Burlaria locus in urbe vel extra urbem, in quo ludere solent incolae » (Ducange, Glossarium ad scriptores mediae et infimae latinitatis).
8. En provençal, gipier, gipièro désigne l’ouvrier-plâtrier. Des plâtriers étaient installés dans le quartier.

Photographies

1. Notre-Dame-de-la-Seds. © Jean Marie Desbois, 2002.
2. Le cours Sextius, Aix-en-Provence. DR.

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