

C’en était trop pour Mme Garcin. Elle sortit de ses gonds : « Marria, coquin… Soutiendras-tu que je t’ai pris des raisins ? » – « Mais oui, parfaitement ! Et tu les as jetés dans une haie… » Les mains sur les hanches, chacun toisait l’autre du regard, mais la veuve Garcin fut la première à bouger : « Malheureux, coquin », cria-t-elle en se baissant et en ramassant des pierres. Elle en jeta bien quatre ou cinq sur Coulet qui se contenta de crier son dépit : « Ah ! Il ne t’est pas difficile de nourrir des cochons chez toi, puisque c’est aux dépens de tes voisins… » Mais il dut battre en retraite et rentrer en toute hâte dans sa bastide, alors que des cailloux l’accompagnaient jusque dans son intérieur.
Le lendemain matin, Coulet attela son mulet et partit pour la ville d’Aix. Il lui fallait de l’aide pour faire un sort à la vieille. Son voisin avait des vignes et la veuve Garcin y avait sans doute chapardé. Ce voisin qui, par un curieux hasard, portait les mêmes noms que lui, vivait à Aix, près de la rue des Trois-Ormeaux, non loin de la place des Prêcheurs. On parlait de Joseph Coulet d’Aix pour ne pas le confondre avec le vindicatif Joseph Coulet de Puyricard.
Joseph Coulet de Puyricard, donc, débarqua de grand matin, à sept heures à peine, chez son homonyme aixois et l’assura que la veuve Garcin lui avait volé quantité de raisins. « Vous comprenez bien, cette coquine volait votre raisin. Je peux aller faire une dénonce en votre nom », proposa Coulet de Puyricard, dans sa grande générosité. Mais Coulet d’Aix était un homme sage. Il allait vérifier ce qu’on lui disait et partirait le soir même voir ses terres à Puyricard. Alors Coulet de Puyricard était parti mécontent et était allé trouver l’huissier pour le prier de consigner sa dénonce. Et, retourné chez son voisin d’Aix, il l’informa qu’il avait fait les choses pour son compte et que celui-ci verrait bien ce qu’il voudrait faire.
Or, quand Coulet d’Aix arriva à Puyricard dans la soirée, il vit que ses vignes étaient intactes et que personne n’y avait pénétré. La terre était humide et en cas d’intrusion, il y aurait eu des traces de pas. Personne de qui se plaindre, en somme. Le mardi matin, Coulet de Puyricard revint à Aix :
« Alors, ces vignes ?
— Intactes… Elle était âgée cette femme ?
— Très avancée en âge, oui. C’est une coquine qui s’occupe à voler pendant toutes les nuits les fruits de la campagne. Tellement qu’une fois, je la vis passer… » et bla bla bla…
Coulet d’Aix avait compris le genre de voisin qu’il avait à Puyricard. Quand il lui dit qu’il ne dénoncerait personne, Coulet de Puyricard partit en bougonnant : « Puisqu’il en est ainsi, on pourra vous voler tous vos fruits que je ne vous avertirai plus ! »
Mais jamais on ne vola de fruits à Coulet d’Aix sur sa terre de Puyricard…
- Photographie : Une campagne de Puyricard. © Jean Marie Desbois, 2003.