L’adolescence dans la Provence d’hier

avant-le-bain-bouguereauLa première communion marquait généralement le passage de l’état d’enfant à celui d’adolescent. Cette période de la vie se terminait d’ordinaire à vingt ans pour les garçons, à l’âge de la conscription, où l’on devenait un homme, à vingt-cinq pour les femmes, à la Sainte-Catherine.
À vrai dire, nous sommes peu éclairés sur cette époque de la vie qui dure pourtant plusieurs années, et peu d’auteurs des siècles passés s’y sont penchés, de manière à nous informer des traditions qui la caractérisaient. Néanmoins, quelques éléments ressortent et nous permettent de nous faire une idée somme toute plutôt précise de la façon dont vivaient les adolescents dans la Provence d’hier.

Le charivari

Depuis le Moyen Âge au moins, il s’est développé parmi la jeunesse une volonté de se réunir afin de lutter contre les injustices de la vie communale. Ainsi, soucieux de garder un certain degré de moralité parmi les individus de la communauté, la jeunesse des villages s’est arrogé d’office le devoir de « poursuivre » ceux qui faisaient montre d’un certain laisser-aller dans leur comportement. Il faut sans doute voir là l’origine de ce qu’on dénomme le charivari. Ces manifestations tapageuses avaient lieu lorsque des veufs se remariaient. Pour l’occasion, on sortait poêles et chaudrons et l’on se livrait à un véritable concert de casseroles et de sifflets, allant parfois jusqu’aux huées.
Néanmoins, ce traitement n’était pas réservé aux seuls veufs qui désiraient se remarier : les maris battus par leur femme y avaient droit, tout comme les avares, les parrains et les marraines chiches de leurs sous, les étrangers qui s’installaient au pays sans « payer la bienvenue », les femmes adultères, les ivrognes, les maris coureurs… La liste n’est pas exhaustive.
Alors que l’on réclamait de la jeunesse ordre et discipline, celle-ci ne se gênait pas pour rappeler les mêmes exigences à ses aînés.
La notion de charivari n’a jamais eu bonne presse. Il faut dire qu’elle s’accompagnait souvent de débordements, pouvant aller jusqu’au sang et il était fréquent que ces manifestations se terminent chez le juge. Ainsi, le 10 février 1758, Marie Hugou, une veuve qui venait de se remarier à Ongles (Alpes-de-Haute-Provence), fut particulièrement maltraitée à la sortie de l’église. Un témoin, Etienne Vial, 18 ans, confirme : « Ayant entendu le bruit du charivari au-devant de la porte de la maison de la veuve de Michel Jarjaye où il se serait porté pour voir ce qui se passait. Et là, il avait vu [Marie Hugou] ayant sa main ensanglantée et entendu les cris qu’elle faisait à l’occasion du mal qu’elle ressentait1… »
Pour cette raison, les autorités communales se sont souvent opposées à ces manifestations. À Ongles, notamment, des arrêts l’interdirent à maintes reprises (1534, 1544, 1616), mais à l’évidence, la loi n’était pas respectée.

Batailles rangées

william-carpenter-ralph-earlLes vertus défendues par la jeunesse menaient aussi à d’autres extrêmes. Ainsi, les notions de courage, de force, de gaillardise, portaient en étendard, en poussaient plus d’un à se livrer à de véritables batailles rangées dans les rues des villes et des villages, parfois dans un champ. Jusqu’au XVIIIe siècle, toute la jeunesse était régulièrement conviée à venir se battre pour des motifs divers, allant de la fête patronale du village voisin au tirage au sort lors des conscriptions.
Vers 1820, par exemple, une rixe entre jeunes de Saint-Rémy et d’Eyragues (Bouches-du-Rhône) dégénéra en bataille rangée et causa la mort d’un jeune, ce qui provoqua l’intervention des autorités. La cause : un pèlerinage au lieu-dit de Lagoy, à la chapelle Saint-Bonet, à égale distance entre les deux villages. Même si, en cette circonstance, les événements de 1820 semblent exceptionnels, les bagarres entre jeunes des deux villages étaient très fréquentes.

L’Abbé de la Jeunesse

Avant la Révolution de 1789, la plupart des villages de Provence avaient ce que l’on appelait un « Abbé de la Jeunesse ». C’était à proprement parler une corporation qui regroupait la jeunesse du village. Cette corporation tenait ses registres de la façon la plus sérieuse et possédait une caisse que gérait le trésorier. Elle était gérée par trois responsables qui étaient élus tous les ans à la même période par les autres membres. Le premier dignitaire portait le titre d’Abbé de la Jeunesse, le second était son lieutenant, et le troisième portait le titre d’enseigne. Il était en charge de porter l’étendard de la corporation lors de ses manifestations. Sous leur responsabilité se trouvaient trois prieurs, également élus à l’année.
Cette institution remonte au moins au Moyen Âge. Les événements évoqués ci-dessus, notamment les batailles rangées, étaient souvent organisées par la corporation. Du coup, il n’était pas rare que l’on se plaigne de ses activités, à tel point que les institutions communales durent régulièrement intervenir ; ainsi, une délibération communale du 17 juillet 1633, à Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) : « On a parlé et fait des plaintes contre l’établissement et création des Abbés (…) de ne plus procéder à ladite création, d’autant [qu’elle porte] non seulement les Abbés qui sont en charge, mais encore la jeunesse, à des débauches extraordinaires et continuelles, même aux logis et cabarets, les détournent de leurs études et vocations honnêtes et religieuses2. » Au bout du compte, le Parlement confirme la suppression des Abbés de la jeunesse dans cette ville le 30 juillet de la même année.
Dans d’autres endroits, le titre d’Abbé de la Jeunesse était remplacé par d’autres expressions : à Bédoin (Vaucluse), « prince d’Amour », à Orange (Vaucluse), « abbé de la folie », à Courthézon (Vaucluse), « roi des Vignerons », ou « roi des Bouviers », ou encore « roi des ânes ». À Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), il existait trois compagnies de la jeunesse : le Prince d’Amour pour les nobles, le Roi de la Basoche pour les bourgeois, et l’Abbé de la jeunesse pour le petit peuple des artisans et des paysans.

Notes

1. A. Lombard & M. Mathieu, « Ongles au XVIIIe siècle », éd. Alpes de Lumière, Mane, 2000, p. 29, 30.
2. C. Seignolle, « Traditions populaires de Provence », t. 1, éd. Maisonneuve & Larose, Paris, 1996.
  • Illustrations : (h) « Avant le bain », par William Bouguereau, 1900 ; (b) « Portrait de William Carpenter », par Ralph Earl, 1779.

Laisser un commentaire