L’arrêté sur les femmes publiques (Marseille, 2 septembre 1828)

A Monsieur le Marquis de Montgrand (1),
Maire de la Ville de Marseille.

Monsieur le Maire,
Joseph Serpolet et Adolphe Mazze ont l’honneur de vous exposer qu’ils exploitent, le premier un café rue d’Albertas, n°25, et le second un restaurant rue Glandevès, n°29.
Que depuis l’époque à laquelle leurs établissements ont été formés, la tranquillité la plus parfaite y a régné.
Qu’ils n’ont pas commis la plus légère contravention à vos règlements, et qu’aucune plainte n’a été portée contre eux.
Que cependant le 8 de ce mois, M. le Commissaire de police Alary les a invités par écrit à comparaître le douze devant le tribunal de simple police pour s’entendre condamnés aux peines portées par la loi, pour avoir reçu dans leurs cafés des femmes qu’on dit être livrées à la prostitution publique.
Ce fait, M. le Maire, en le supposant vrai, ne constituerait pas une contravention à votre arrêté du huit janvier 1820, puisque la prohibition de recevoir des femmes de cette espèce ne s’applique qu’aux cabaretiers et aux taverniers, et que les cafetiers n’y sont pas dénommés.
Dans cette circonstance, les exposants ont recours à votre justice aux fins qu’il vous plaise, M. le Maire, ordonner que cette affaire qui a été renvoyée à l’audience du 26 du courant sera rayée du Rôle (2) .
En attendant cet acte de justice de votre autorité,
Ils ont l’honneur d’être avec un profond respect,
Monsieur le Maire,
Vos très humbles et très obéissants serviteurs et administrés.
[Serpolet] [Adolphe Mazze]

à Monsieur le Maire de Marseille,
Gentilhomme de la chambre du Roi, officier de l’ordre royal de la Légion d’Honneur, chevalier de l’Ordre Royal Constantinien des Deux Siciles
Monsieur le Maire,
Par votre arrêté du 8 janvier 1821, il était expressément défendu aux cabaretiers, taverniers et autres personnes donnant à boire et à manger de recevoir dans leurs établissements des filles publiques et à celles-ci de s’y introduire, sous les peines de police prononcées par la loi pour désobéissance aux actes de l’autorité.
Lors de la publication de cet arrêté, il n’était permis aux filles publiques, ainsi que cela se pratiquait auparavant, de ne hanter d’autres établissements publics que le Vauxhall (ou Pavillon Chinois) qui avait été expressément formé pour leur réunion afin de les tenir placées sous les yeux de la police, qui était chargée de la surveillance de cet établissement; elles y attiraient d’ailleurs d’autres individus que la police pouvait être également intéressée à connaître et à surveiller.
Mais depuis que votre arrêté a cessé de recevoir son exécution en ce qui est relatif aux dispositions ci-dessus rappelées, mon établissement a été entièrement abandonné. Il s’est formé dans les localités les plus rapprochées du Vauxhall une foule d’établissements nouveaux sous le titre pompeux de café, et sous d’autres titres plus modestes où l’on reçoit à toutes les heures du jour et de la soirée cette classe de femmes qui est ordinairement en compagnie de marins étrangers et d’individus adonnés à la débauche et, se trouvant ainsi à l’abri de toute surveillance, elles se livrent dans les rues, provoquent quelquefois des scènes meurtrières. Je ne rappellerai que celles qui eurent lieu dans les soirées des fêtes de la Pentecôte de la présente année, scène que l’on aurait pu prévenir si on eût empêché des femmes de vaquer les lieux publics qui leur étaient interdits, le Vauxhall étant même formé d’après vos ordres.
Ces nombreuses contraventions à vos règlements, Monsieur le Maire, doivent entraîner la ruine de l’établissement qui l’exploite si elles continuaient d’être tolérées, obligé de payer par abonnement des droits attribués aux pauvres et au directeur des théâtres. Je ne puis soutenir la concurrence des nouveaux établissements et je me verrai forcé de fermer le mien pour ne pas aggraver ma position désastreuse qui empire chaque jour. La modicité de mes recettes et les faibles bénéfices que me procure la vente de quelques boissons sont bien loin de suffire pour couvrir mes frais d’exploitation auquel je suis obligé d’ajouter chaque jour.
Si l’autorité locale conserve encore quelque intérêt à soutenir mon établissement par rapport aux avantages que la police doit en retirer, je prendrai la liberté de réclamer votre protection et votre appui, et de demander la répression des contraventions à vos règlements. Les abus qui se sont introduits et les scènes affligeantes qui en ont été la suite sont d’une nature trop grave pour que je ne les signale point à votre constante sollicitude pour le maintien du bon ordre.
Je suis, Monsieur le Maire, avec le plus profond respect,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
[Signature] Marseille le 23 août 1828

[sur la même lettre, ajout du texte suivant:]
Renvoyé à M. Silvestre, commissaire de police, pour fournir des renseignements et donner son avis.
Marseille, le 25 août 1828.
[LE MAIRE DE MARSEILLE]
Le commissaire de police soussigné a l’honneur d’observer à Monsieur le Maire que les faits énoncés dans l’expédition ci-dessus sont vrais depuis que plusieurs cafés sont centrés dans les rues Albertas et Glandevès. Le Wauxall est beaucoup moins fréquentés par les filles publiques et, par suite, par les marins et autres individus fréquentant plus particulièrement les lieux de prostitution. Lorsque les titulaires de ces cafés ont demandé l’autorisation à l’autorité municipale pour ouvrir leur établissement. J’ai eu soin de signaler les inconvénients qui devaient réfuter en les autorisant
J’avais été d’avis, conformément à votre arrêté du 8 janvier 1821, de leur imposer l’obligation de ne recevoir aucune fille publique une fois autorisés. J’ai constaté le principe des contraventions; mais les contrevenants n’ont pas été poursuivis et depuis lors ces établissements sont constamment pleins de filles publiques. Le commissaire de police et les agents placés sous les ordres ne peuvent exercer la même surveillance qu’on exerçait à l’époque où toutes les filles et les individus qui les fréquentaient se réunissaient dans le Wauxall. Si cet état de choses continue, je doute que le directeur du Wauxall puisse soutenir la concurrence avec les autres établissements indiqués; à moins que celui-ci supprime le droit d’entrée établi à la porte, ce qui ne serait pas leur inconvénient.
En conséquence, d’après toutes ces considérations, je commissaire de police soussigné pense que le meilleur moyen à prendre serait d’interdire à tous les établissements formés dans les rues Albertas et Glandevès de recevoir les filles publiques. Cette mesure de police rentre parfaitement dans les attributions de l’autorité municipale et serait conforme au système légal.
Marseille, le 26 août 1828
[SILVESTRE]

MAIRIE DE MARSEILLE
Département des Bouches-du-Rhône
Nous Maire de la Ville de Marseille, Gentilhomme de la Chambre du Roi, Officier de l’Ordre Royal Constantinien des Deux-Siciles,
Vu l’article 8 de notre arrêté du 8 janvier 1821, approuvé par M. le Préfet, portant entre autres dispositions celle qui suit:
« Il est deffendu à tous cabaretiers et taverniers de recevoir dans leur cabaret ou taverne des filles publiques et aux dites femmes de s’y introduire. »
Considérant que plusieurs cafetiers, débitants de bière (3) et de liqueurs, se prévalant de ce que leurs établissements ne sont pas nominativement désignés par l’article précité, reçoivent journellement chez eux des filles et femmes publiques, d’où résultent des désordres scandaleux et des rixes qui compromettent la tranquillité des citoyens,
Arrêtons
Article 1er
Les défenses portées par l’article précité sont renouvelées en ce qui concerne les cabaretiers et taverniers, et de plus elles sont déclarées applicables à tous cafetiers, débitants de bière et d’eau-de-vie; en conséquence ils ne pourront recevoir dans leur établissement des filles ou femmes publiques, et défenses sont faites aux dites femmes de s’y introduire.
Article 2
Les commissaires et agents de police sont chargés de tenir exactement la main à l’observation du présent arrêté, et de constater les contraventions pour en poursuivre les auteurs et leur faire infliger les peines par eux encourues.
Article 3
Le présent arrêté sera soumis à l’approbation de M. le Préfet pour être ensuite imprimé, publié et affiché partout où besoin sera.
À Marseille en l’Hôtel de Ville,
Le 2 septembre 1828.
[LE MARQUIS DE MONTGRAND]

Mairie de Marseille
Division de police
Marseille, le 2 septembre 1828.
Monsieur le Préfet,
J’ai l’honneur de vous adresser à double expédition un arrêté qui renouvelle les défenses portées par l’article 8 d’un précédent arrêté du 8 janvier 1821, en ce qui concerne les cabaretiers et taverniers, et qui de plus les rend applicables à tous cafetiers, débitants de bière et d’eau de vie, et porte qu’ils ne pourront recevoir dans leur établissement des filles ou femmes publiques, avec deffenses à celles cy de s’y introduire.
Je vous prie, Monsieur le Préfet, de vouloir bien me renvoyer une des dites expéditions, revêtue de votre approbation si vous en jugez le dit arrêté susceptible.
J’ai l’honneur d’être avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le Maire de Marseille
Gentilhomme de la Chambre du Roi,
[LE MARQUIS DE MONTGRAND]

(1) Jean-Baptiste, marquis de Montgrand, maire de Marseille de mars 1813 à 1830.
(2) Registre portant l’ordre des affaires soumises au tribunal.
(3) « debitans de bierre ».
  • Sources : Archives municipales de Marseille, cote 1I 717-718-719.
  • Textes transmis par Mme Selma Caillol