Le boucher déclenche une émeute (Aix-en-Provence, 18 septembre 1791)

Sur le rapport qui a été fait au corps municipal, procès verbal relatif à une saisie de viande de cochon frais, faite le 18 de ce mois sur la place de la Maison Commune, et aux faits qui ont accompagné et suivi cette saisie, ensemble de la déposition de divers témoins ouïs sommairement sur les faits qui ont suivi la saisie, desquels procès-verbal et dépositions il résulte :
Que deux femmes vendaient de la viande de cochon frais sur la place de la Maison Commune le 18 de ce mois, que le fait de cette vente est une contravention à l’arrêté du Directoire du département du 30 avril dernier portant autorisation d’un règlement du corps municipal concernant les bouchers et bouchères, en ce qu’il est prohibé, par ce même règlement, de vendre aucune viande qui n’ait été ventée et tuée à la boucherie, prohibé encore de vendre de la viande sur les lieux et places publics et de débiter du cochon frais, si ce n’est dans le temps permis par les règlements de police ; une contravention à la loi du 27 mars dernier concernant les patentes, puisque lesdites femmes n’avaient aucune patente de bouchères, que la saisie s’opéra malgré la résistance opposée par ces femmes ;
Que peu de temps après le sieur Boyer, de Gardanne, ancien tuilier, mari de l’une d’elles, se porta à la Maison Commune, accompagné de plusieurs personnes, qu’il aborda avec fureur le gardien de service de la Garde nationale, lui porta le poing sous le menton et lui dit, entre autres propos, qu’il était heureux qu’il ne se trouvât pas présent lors de la saisie, qu’il l’aurait éventré, lui, et sa troupe,
Que, sur la plainte du capitaine aux officiers municipaux, ledit Boyer fut mandé venir dans la salle de la Municipalité et il fut donné ordre de l’arrêter en cas de refus,
aix-mairie
Que cependant ledit Boyer tenait les propos les plus séditieux, criant à toute voix : ils viendront ces foutus gueux, ces coquins, qu’ils descendent, s’ils veulent me parler, je ne suis pas foutu pour monter en haut, que plusieurs des personnes qui l’environnaient soutenaient ces propos, ajoutant qu’il fallait détruire cette b… de maison, de manière qu’il ne restât plus pierre sur pierre : ils veulent un désordre, ils l’auront ; sous peu de jours tout cela finira ;
Que, sur l’insinuation que le capitaine fit audit Boyer de l’injonction de comparaître, celui-ci répéta lesdits propos et, sur le même ton : ils n’ont qu’à descendre, je ne suis pas foutu ;
Qu’alors le capitaine de garde donna ordre aux gardes nationaux et aux soldats de la troupe de ligne présents de l’arrêter, que deux officiers municipaux, descendus dans la cour, renouvelèrent cet ordre, que Boyer fit alors de grands mouvements pour se défendre contre l’exécution, criant toujours avec jurements, répétant les mêmes propos et y ajoutant qu’il ne bougerait pas quand le diable y serait ; ces coquins veulent un désordre, ils l’auront, nous commencerons par eux ;
Que, cependant, plusieurs de ces personnes qui l’entouraient criaient : Nous on ne l’amènera pas ! Sacrée maison qui nous ennuie depuis tant de temps !
Que le capitaine de garde étant de nouveau retourné au corps municipal et voyant la continuation de ces mouvements donna ordre en descendant de retenir Boyer au corps de garde militaire, qu’il le requit de s’y rendre, que celui-ci opposa la plus grande violence à cette réquisition, que cependant il fut arrêté pour y être traduit, mais que, par des mouvements et au moyen de l’affluence de monde qui l’entourait, il parvint à se défaire des mains des soldats qui l’avaient arrêté, repoussa la sentinelle militaire contre le mur et lui jeta à bas son bonnet de grenadier ;
Que, tandis que ces faits se passaient dans la cour, un officier municipal étant resté seul dans la salle de la municipalité avec les femmes de qui la viande avait été saisie, un homme qui était avec elles tint à l’officier municipal plusieurs propos séditieux, avec des gestes menaçants et lui dit entre autres : Je vois bien que nous serons obligés de faire du tapage, ce qui ne sera point éloigné. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain ; si ce n’est pas demain, ce sera le jour d’après.
Le Conseil municipal, ouï M. le Procureur de la Commune, considérant que la conduite du sieur Boyer et des personnes qui ont soutenu les propos qu’il tenait est d’autant plus coupable, qu’elle offre à la fois et la résistance à l’autorité légitime, et le mépris de cette autorité, la violence et l’insulte contre la Gade nationale et contre la troupe de ligne employées légalement, et un fait de trouble à la tranquillité publique, avec l’intention manifeste de la troubler ;
Que tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant et se rend coupable par la résistance. (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 7.) ;
Que l’injonction de venir notifiée au sieur Boyer, l’ordre de l’arrêter en cas de refus, et sa résistance à l’exécution de cet ordre, le constituent de droit en état d’arrestation et nécessitent l’emploi de la force publique pour se saisir de sa personne ;
A arrêté :
1° de dénoncer les faits ci-dessus leurs circonstances et dépendances, et les personnes qui s’en sont rendu coupables, à l’accusateur public, à l’effet par lui d’agir en conformité de la loi, et que le procès-verbal du 18 de ce mois, et les dépositions reçues par le corps municipal, lui seront adressées par forme de mémoire.
2° de requérir M. le Commandant de la Gendarmerie nationale de faire arrêter ledit Boyer, de le remettre aux prisons nationales, servant provisoirement de maison d’arrêt et d’en aviser tout de suite l’accusateur public.
3° de requérir M. le Colonel de la Garde nationale et M. le Commandant de la troupe de ligne, de donner pour consigne à tous les postes d’arrêter ledit Boyer et de prêter main-forte à ceux qui l’arrêteront.
Le corps municipal se réserve de prononcer sur la saisie mentionnée au procès-verbal, et arrête en outre que la présente délibération sera imprimée et affichée partout où besoin sera.
  • Source : Archives communales d’Aix-en-Provence, LL75, f°151-153.
  • Photographie : Hôtel de ville d’Aix-en-Provence. DR.



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