Le bourg Saint-Sauveur, centre historique d’Aix-en-Provence

plan-saint-sauveur-aixLe Bourg Saint-Sauveur fut, jusqu’au milieu du XIVe siècle, une petite ville juxtaposée à la ville comtale d’Aix-en-Provence dont elle n’était séparée que par un chemin situé entre les deux remparts. C’est en 1357 que les habitants du Bourg demandèrent à ne former qu’une seule communauté avec ceux de la Ville Comtale.
Sur le plan ci-contre, la forme du Bourg médiéval apparaît nettement, circonscrite entre les rues des Guerriers, Venel, Paul Bert, Pierre et Marie Curie et des Menudières. Cette forme était issue de l’époque romaine, le Bourg étant alors un castellum. Au fil des siècles, il semble que la nécessité de s’agrandir ne se soit pas manifestée et, après les invasions sarrasines, « les enceintes furent rétablies sur les vestiges ou les fondements qui en restaient » (P.-J. de Haitze). Il faut imaginer le tout entouré d’un rempart, percé de cinq portes. La porte sud, située tout en bas de l’actuelle rue G. de Saporta, avait pour nom la Porte du Bourg, la Portale deis Escourregus ou la Portale Flagellorum, car c’est par cette porte que passaient les malfaiteurs condamnés au fouet.
On peut voir encore sur les murs des deux maisons d’angle des pierres romaines qui sont les restes de cette porte. A l’extrémité est de la rue Paul Bert se dressait la porte de la Frache; au débouché de la rue Campra, la porte d’Ancalha, à l’extrémité nord de la rue Jacques-de-la-Roque, la porte d’Ancrota, aussi appelée Bellegarde. Enfin, la cinquième porte se dressait à l’intersection de la rue Venel et de la rue des Guerriers; elle avait pour nom la porte du Puits-Chaud et coupait l’actuelle rue du Bon-Pasteur. Ce nom viendrait d’un puits d’eau thermale qui existait sur les lieux jusqu’en 1715 au moins. À cet endroit eut lieu vers 1476 une horrible exécution.
À l’exception de la place de l’Archevêché (place des Martyrs-de-la-Résistance) et de la place de l’Université, ouvertes ultérieurement, les rues du Bourg Saint-Sauveur se présentent aujourd’hui comme elles étaient au XIVe siècle et, serait-on tenté de dire, comme elles étaient au temps des Romains, au temps du castellum.
place-archeveche-aixLa place des Martyrs-de-la-Résistance n’existait pas à l’époque du dernier plan de Cundier en 1680, mais elle figure sur le premier plan de Coussin en 1741. Elle fut probablement ouverte au début du XVIIIe siècle pour dégager le palais archiépiscopal. En 1779-1780, on découvrit dans le sous-sol du numéro 24 des restes de l’antique voie Aurélienne. M. Jean Pourrière signale que, dans le sous-sol de l’hôtel de Littera (7, r. de Littera), « la voie Aurélienne est encore visible sous la forme de grandes dalles qui ferment le plafond de la cave. Mais elle fait un coude très net dans la bifurcation de la route des Alpes. C’est probablement une bifurcation constituant le début de la route romaine d’Aix à Riez ».
Sur l’emplacement de l’actuelle place de l’Université se dressait au XIIe siècle l’hôpital Saint-Michel. Plus tard, à une date non connue, une université le remplaça. Roux-Alphéran signale que celle-ci menaçait ruine en 1734. C’est vers cette époque que l’université fut réaménagée et la place, ouverte.
Toujours selon Roux-Alphéran, la première université d’Aix aurait été fondée par Alphonse Ier, roi d’Aragon et comte de Provence. Le 31 décembre 1413, elle fut rétablie par lettres patentes de Louis II d’Anjou, roi de Naples et comte de Provence. Bouyala-d’Arnaud explique que le chef de l’Université portait le titre de chancelier et était élu à vie. Le recteur, ou primicier, était élu annuellement, le 1er mai, dans la chapelle Sainte-Catherine et à la cathédrale Saint-Sauveur. Le jour de la Pentecôte, six ou huit étudiants allaient à cheval chez l’archevêque, les chanoines, les docteurs et licenciés, les officiers et syndics de la ville pour leur notifier que le recteur nouvellement élu recevrait les insignes de sa dignité le lendemain à Saint-Sauveur. Ils se présentaient ensuite aux dames (honestis mulieribus) pour les inviter aux danses et à la collation offertes au palais à cette occasion.
Avant 1895, la rue Gaston-de-Saporta portait le nom de rue de la Grande-Horloge et, plus anciennement, de rue Droite. Cette rue suit vraisemblablement le tracé de la voie Aurélienne. Les archevêques nouvellement nommés l’empruntaient lorsqu’ils allaient prendre possession de leur siège épiscopal à Saint-Sauveur. « Ce jour-là, dit l’historien A. Bouyala-d’Arnaud, tous les notables de la ville d’Aix, à cheval, se portaient à la rencontre du prélat jusqu’au couvent des minimes (Notre-Dame de la Seds). Le cortège se formait autour de lui. Les consuls et l’assesseur présentaient le livre des privilèges de la cité que l’archevêque jurait de respecter « en mettant la main sur la poictrine ainsy qu’est de coutume ». Puis le cortège se rendait à Saint-Sauveur par la rue de la Grande-Horloge, tous les corps religieux de la ville faisant la haie. »
La rue de Jouques doit son nom à Bertrand de Jouques, syndic d’Aix en 1377 et 1381, qui y vivait. Avant toute chose, précisons que ce de Jouques n’a rien de commun avec la seigneurie de Jouques. Bertrand de Jouques était un opposant à Louis d’Anjou, chef de la deuxième maison Anjou-Provence, adopté et désigné par la reine Jeanne à lui succéder. Bertrand de Jouques fut à la tête d’une conjuration, du nom d’Union d’Aix, qui ferma les portes de la ville au prince d’Anjou.
Il faut préciser que jusqu’en 1811, la bas de cette rue se nommait rue Milhaud, nom lui venant de Barthélémy de Thomas, seigneur de Milhaud, qui y possédait une maison au XVIe siècle. Le haut de la rue portait le nom de rue Riquière, du nom d’une famille qui l’a habitée aux XIVe et XVe siècles. Quant au nom de rue des Nobles, toujours en vigueur, il vient des nombreux magistrats du Parlement et de la Cour des Comptes, ainsi que des officiers de terre et de mer qui en étaient issus.
La rue de Littera, évoquée plus haut, porte le nom de Guillaume de Littera, chanoine puis prévôt de l’église Saint-Sauveur. C’est lui qui reçut le serment prêté par le roi René lorsque celui-ci devint chanoine le 29 décembre 1437. Guillaume de Littera mourut en 1440.
1-rue-adanson-aixLa rue Adanson portait jusqu’en 1840 le joli nom provençal de rue Esquicho-Mousquo (« écrase-mouche ») que l’on jugea alors « si barbare et si peu agréable à prononcer » qu’on préféra la rebaptiser du nom de Michel Adanson, botaniste né au n°1 de cette rue (photo ci-contre), fils d’un Écossais écuyer de l’archevêque d’Aix. Il faut préciser au demeurant que son nom provençal n’était plus justifié depuis 1673 car la rue fut alors élargie. Heureusement demeure dans la même veine la rue Esquicho-Coudo, toujours fort étroite au point « que les passants devaient s’y glisser en frôlant les murs de leurs coudes ».
Plus à l’est se trouvent les rues Campra, du Griffon et des Eyguesiers. André Campra (1660-1744) est né à Aix dans la rue du Puits-Neuf. D’origine italienne, c’était un musicien renommé, maître de chapelle du Roi, et dont le père turinois était chirurgien. C’est en épousant Louise Fabry en 1659 qu’il accéda à l’état de notable. La rue Campra se composait autrefois de deux rues : la rue d’Agoult (ou de Sault), dont le nom venait des d’Agoult, seigneurs de Sault, et la rue Porte-Peinte. Par la suite, c’est ce dernier nom qui l’emporta et finit par désigner l’ensemble des deux rues. La rue du Griffon, quant à elle, doit son nom à l’hôtellerie du Griffon qui s’y trouvait à la fin du XVe siècle. Le nom « Eyguesiers », lui, est celui d’une famille qui s’installa dans la rue en 1497.Dans la rue des Eyguesiers logeaient les Thomassin, seigneurs de la garde, dont le dernier membre fut aussi, au XVIIIe siècle, le dernier viguier* d’Aix. Voila pourquoi la rue fut souvent appelée Traverse du Viguier.
Le bourg Saint-Sauveur est, grosso-modo, délimité, nous l’avons vu, par les rues Venel et des Guerriers à l’ouest, des Menudières au nord, Pierre et Marie Curie à l’est et Paul Bert au sud. L’histoire de ces voies mérite que l’on s’y arrête.

  • La rue Venel avait autrefois pour nom la rue de la Juiverie. Son nom actuel lui vient de Gaspard de Venel, conseiller au Parlement d’Aix en 1633. Ce Gaspard de Venel, habitant le n°10 de la rue, reste dans les mémoires des Aixois comme un plaisantin au goût parfois douteux, mais dont la ville entière parlait à l’époque. Si vous voulez lire quelques-unes de ses authentiques facéties, cliquez ici. Par la suite, l’hôtel de M. de Venel fut vendu et il devint la résidence de la communauté des Filles de la Charité.
  • La rue des Guerriers se situe sur un terrain qui, avant le troisième agrandissement de la ville et l’établissement de la rue (1368), vit se réunir en 1355 les troupes levées par les États de la Provence pour aller assiéger le château des Baux, dont Robert de Duras, cousin de la reine Jeanne, s’était emparé. Le nom de la rue vient de cet événement.
  • cathedrale-saint-sauveurLa rue des Menudières est étroitement liée au commerce des saucisses et de la charcuterie en général. C’est là qu’il faut voir l’étymologie provençale de son nom. André Bouyala d’Arnaud rapporte un événement survenu en 1590 dans cette rue : « Dans le rempart qui longeait [la rue des Menudières], un souterrain fut pratiqué. A cette époque, la ville était dominée par les Ligueurs et ceux-ci engageaient le duc de Savoie Charles-Emmanuel à venir se mettre à leur tête. Mais il y avait cependant dans la ville un certain nombre de bigarrats**. Ceux-ci, pour éviter la venue du duc de Savoie, résolurent de livrer Aix à La Valette, gouverneur de Provence pour le roi et s’entendirent avec lui, en juillet 1590. La Valette devait faire approcher ses troupes et mettre le feu aux meules de blé disposées, en cette saison, sur les aires publiques en dehors des remparts. Pendant que la population irait éteindre l’incendie, les soldats de La Valette pénétreraient à l’intérieur desdits remparts par le souterrain des Menudières. Mais les Ligueurs découvrirent le complot. L’avocat François Rainaud, bigarrat et un des instigateurs du complot, fut arrêté et condamné par le Parlement ligueur à avoir la tête tranchée, ce qui fut fait le jour même, 7 juillet. On accorda toutefois à Rainaud la faveur d’être enterré dans l’église des Dominicains auprès de son père, conseiller au Parlement, «qui avait laissé bonne mémoire» ».
  • La rue Pierre et Marie Curie s’appelait autrefois la rue du Séminaire. En 1656 y fut fondé le Grand Séminaire (n° 14 et 16) par le cardinal archevêque Grimaldi.
  • Enfin, la rue Paul Bert. Celle-ci fut longtemps un chemin passant entre le rempart de la ville Comtale et celui du bourg Saint-Sauveur. Lors de la réunion des deux villes, en 1357, on démolit les remparts et la rue prit le nom de Saint-Laurent, en raison d’une chapelle dédiée à ce saint, chapelle détruite pendant la Révolution.

Notes

* Le viguier était chargé de la basse police et avait sous ses ordres dix archers (c’est-à-dire des « agents de police ») qu’on appelait « la famille du viguier ». L’office de viguier fut supprimée en 1750 et ses fonctions incombèrent dès lors aux consuls.
** Ainsi nommés parce que, bons catholiques, ils avaient cependant pris le parti d’Henri IV et étaient considérés, de ce fait, comme ayant des sentiments bigarrés.

Images

  1. Plan du bourg Saint-Sauveur © Jean Marie Desbois, 2001.
  2. La place des Martyrs-de-la-Résistance, ancienne place de l’Archevêché © Jean Marie Desbois, 2001.
  3. Le n°1, rue Adanson, maison natale de Michel Adanson, © Jean Marie Desbois, 2001.
  4. La cathédrale Saint-Sauveur, gravure de Grésy, lithographie Charavel, 1836. DR.