Le saccage du château des Champoléon (Chorges, 4 avril 1793)

  • Sources : Arch. dép. des Hautes-Alpes, L. 167.
« Le 5 avril 1793.
Hier, sur les deux heures après midi, toute la populace se porta autour du ci-devant château de Chorges, ayant appartenu au nommé Dreneuk (1) , émigré, et commença à enlever les grilles des basses fenêtres. Les citoyens Mottet et Allard, membres du Directoire du district d’Embrun, commissaires nommés pour la vente du mobilier qui se trouvait dans cette maison, firent de suite une réquisition au chef de la gendarmerie nationale, de donner main forte avec sa brigade ; laquelle réquisition ne produisit aucun effet ; et tous les autres moyens furent employés inutilement. Peu de temps après, la populace se porta dans l’intérieur du château, et lesdits commissaires furent avertis qu’il y avait du danger d’y rester plus longtemps et furent obligés de sortir avant d’avoir fini la vente des effets ; que, dans ce moment, on dilapida ledit château et qu’il faudrait prendre des moyens pour sauver le grand logis. Ce bâtiment serait utile pour loger la gendarmerie. Nous sommes obligés de nous retirer par raison. »
chorges1(9 avril 1793)
(Lettre d’Ardoin, procureur d’Embrun)
« Je crains que cette insurrection ne soit d’un funeste exemple dans plusieurs autres communes disposées aux mêmes mouvements. Il est important de faire punir les auteurs de pareils désordres qui ne tendent qu’à intercepter l’exécution des loys. »
(14 avril 1793)
« Ce jourd’huy 14 avril, à l’heure de midy, 1793 et le second de la République française, le Conseil général de la commune de Chorges a été unanimement affligé du désastre qui a été commis le 4 du courant, au château de Dudreneu, émigré, à la suite de la vente du mobilier […] On est pleinement certioré que sans doute il y avait des gens mal intentionnés, qui ont mal interprété la loi qui accorde aux pauvres des communautés les débris des châteaux, attendu que partie des habitants se sont portés en foule et ont pris le peu de meubles qui restait à vendre et dévasté le château, en prenant pour leur usage les pièces de bois et autres matériaux, sans qu’ils ayent pu être arrêtés par les avis des citoyens administrateurs, ni par les officiers municipaux de ladite commune.
« Le conseil assemblé, étant instruit des démarches que les citoyens administrateurs se proposaient de faire pour punir les coupables et des ordres qu’ils ont donné au juge de paix de ce lieu pour faire prendre une procédure, reconnaissant le tort qu’ont eu les habitants de se porter à de tels excès, et voulant prévenir les suites des procédures, qui comprendrait une grande partie des habitants à des peines prononcées par les lois de nos dignes représentants, et même on craindrait une émigration dans cette commune considérable: pour en éviter les suites, le conseil donne pouvoir aux citoyens Bertrand, maire, Me Souchon, notaire, Jean Baptiste Augier et Charles Chaix-Bourbon, de se transporter par devant les citoyens administrateurs du département des Hautes Alpes exposer par une pétition le danger considérable où cette procédure mènerait ; exposer que les habitants […] ont convenu que ce n’était point par malice, ni pour envie de nuire à la République […] ; qu’on leur a fait entendre la loi différemment (2), et que, de suite, les habitants qui avaient pris des meubles, les avaient rendus pour être vendus […] ; que le château était d’ailleurs au moment de s’écrouler, et qui menaçait ruine (3), que parties des tours étaient tombées ; exposer, de même, que ce village est le seul endroit où les troupes qui garnissent nos frontières puissent loger […]. »

(1) Maurice Le Long de Dreneuk, propriétaire du château, était le mari de Catherine de Martin de Champoléon. Ce château appartenait depuis 1593 aux de Bonne-Prabaud, alliés au siècle suivant aux de Champoléon. De Dreneuk fut inscrit le 20 décembre 1792 sur la liste des émigrés. Il mourut vers 1800 en exil.
(2) Une délibération communale en date du 7 juin (L.56) précise que « les dégâts commis par les habitants de Chorges au cy-devant château appartenant à Dreneuk et à sa femme […] [peuvent] n’avoir eu pour cause que l’erreur d’une fausse application du décret qui accorde aux particuliers pauvres des communes les débris des vieux châteaux […]. »
(3) Il ne reste rien ou presque aujourd’hui du château des Champoléon. En 1820, quelques pans de murs étaient encore debout. Le chanoine Louis Jacques avance (in La Grande Révolution à Chorges, Société d’Études des Hautes-Alpes, 1963, p. 16) que les pierres et bois pris au château se retrouvent de nos jours sur plusieurs bâtiments du village, « tel ce sommier de porte, dont les armoiries ont été effacées, tels ces fûts de colonne. La porte remarquable de l’hôtel Chaix, n’est-elle pas l’une du château ruiné? […] L’horloge du clocher de l’église du XIXe siècle est assurément celle de la demeure seigneuriale. »

Laisser un commentaire