Il se tenait à Apt (Vaucluse) au mois de janvier une foire dédiée à saint Clair. À cette occasion, comme dans toutes les foires, on y achetait et on y vendait matériaux et ressources agricoles.
À la fin des années 1830, quelques anecdotes y eurent lieu qui méritent d’être rappelées.
Les trois frères et la mule
Trois frères, bien connus à Apt, avaient formé le projet d’acheter à la foire, pour leur service commun, une jolie mule. Ils chargèrent de ce soin important l’un d’eux, c’est-à-dire celui qui, avec raison, était le plus expérimenté des trois.
Celui-ci se rend donc sur le quai où stationnaient, selon l’usage, chevaux, juments et ânes.
Une superbe mule fixe ses regards et son choix, le prix en est débattu avec le maquignon et l’argent compté sur-le-champ.
L’acheteur se dispose à conduire chez lui la mule en la tenant par le licol. À son arrivée les deux autres frères impatients de juger la bête, se récrient en l’apercevant :
« Nous t’avions dit d’acheter une mule et tu nous amènes une ânesse !
— Bah ! et comment cela se fait-il ? répond l’autre. J’ai été trompé. En effet, ce n’est pas une mule et pourtant c’était une mule que j’ai choisie. »
Eh oui ! c’était une mule, mais comme elle suivait son nouveau maître et sans que celui-ci s’en fut le moins du monde aperçu, un malin ou un vendeur avait, dans le trajet, substitué une ânesse à la mule, en ayant coupé la courroie que le frère tenait dans la main.
Le cheval et le bourgeois
Un bourgeois se présente le jour de la foire, dans une des écuries où se trouvaient réunis les chevaux à vendre et il en marchande un.
« Vingt louis et il est à vous, dit le maquignon.
— Non, dit l’amateur, j’en offre quinze. »
Et aussitôt, les autres maquignons présents de se récrier sur cette offre qu’ils trouvent insuffisante. Aussitôt, le marchand fait signe à l’amateur de le suivre sur le quai et là, lui parlant tout bas à l’oreille :
« Je n’ai pas voulu accepter vos quinze louis, lui dit-il, devant mes confrères qui me croiraient dans de mauvaises affaires et forcé de vendre à perte, mais si vous le voulez, le marché est conclu. Je vous recommande seulement de le garder secret. »
Le bourgeois accepte et il entre dans l’écurie après avoir préalablement compté les quinze louis.
Qu’arrive-t-il ? C’est que le cheval choisi avait disparu pendant le colloque sur le quai. Les compères, c’est-à-dire les autres maquignons, s’étaient probablement entendus avec le vendeur, et force fut à l’acheteur de se contenter d’un autre cheval, non sans pester contre la ruse des marchands.
Le vieux canasson se fait une jeunesse
Un vieux cheval, un cheval hors de service et qui même avait perdu l’usage de ses jambes depuis qu’il s’était laissé choir dans un précipice d’où il avait été retiré à l’aide de cordes, fut vendu le jour de la foire à un maquignon, nous allions dire à un équarrisseur, moyennant la somme de 10 francs.
Eh bien ! ce même cheval fut revendu le même jour 250 francs et voici le singulier moyen pris par le maquignon pour rajeunir et restaurer sa bête :
Il la fait coucher dans l’écurie sur une litière de paille fraîche en ayant soin de projeter dans ses deux oreilles de l’argent vif, ce qui contribuait à lui donner un air d’agilité et de vigueur. Un pauvre acrobate, dont le maquignon était, et pour cause, le spectateur le plus assidu et le plus émerveillé, se laissa prendre à ces dehors trompeurs.
La plus grande intimité s’était établie entre nos deux hommes.
« N’auriez-vous pas besoin d’un cheval pour traîner votre baraque ou pour vos exercices ? dit le marchand à l’acrobate.
— Sans doute, répond celui-ci, mais je ne pourrais pas, vu l’état de mes finances, y mettre un grand prix.
— J’ai votre affaire, répond vivement l’autre individu. Venez voir dans cette remise un cheval que je puis vous céder à bon marché, quoique excellent. »
En effet, l’animal accroupi paraissait leste et fringant.
« Combien ?
— Cent écus.
— Oh ! c’est trop cher.
— Allons, je vous le laisse à 250 francs. »
Tope là et le marché est convenu.
L’argent est aussitôt compté et il est convenu que le lendemain le cheval partira avec la troupe et les bagages.
On le laisse la nuit dans l’écurie et quand vient le moment de partir il fallut le soulever à l’aide de deux bâtons de cornues. Il ne fut pas plutôt attelé que ses forces le trahirent et qu’il fallut renoncer au voyage. Pendant la nuit, le maquignon avait disparu, emportant les 240 francs que le pauvre danseur de corde lui avait fait gagner !
- Sources : Le Mercure aptésien, 17 janvier 1841, p. 3.