Menaces à main armée (Aix-en-Provence, 5 décembre 1896)

L’an mil huit cent quatre vingt seize et le quatre décembre.
Devant nous Champion Hildebert, commissaire central de police à Aix (Bouches-du-Rhône), officier de police judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République.
Se présente le sieur Niel Justin, âgé de 28 ans, serrurier demeurant à Aix, rue Esquiche-Coude n° 4, lequel nous déclare :
cours-sextius-aix-panorama

« Aujourd’hui, vers deux heures de l’après-midi, je sortais tranquillement du bar Gastaud, cours Sextius en c[ompagn]ie de MM. Coueste et le garçon de M. Gibert, lorsque le nommé Laurent Charles, chauffeur à l’usine du gaz, est venu vers moi sans la moindre provocation de ma part. Il m’a dit: « Tu m’as déshonoré ».
« Au même instant, il a sorti de la poche intérieure de son veston un revolver chargé qu’il a braqué contre ma poitrine. Me voyant ainsi menacé, je lui ai saisi cette arme que j’ai remise au sous-brigadier de police.
« Laurent m’a de nouveau fait des menaces en me disant qu’il avait encore cinq francs pour acheter une autre arme et me faire la peau quand même.
« Cela provient de ce que, dans le temps, j’avais fréquenté sa femme et que ce matin nous avions des discussions ensemble au Juge de Paix, pour le faire sortir, lui et sa femme, dont je suis le principal locataire. Depuis le mois d’août dernier, je n’ai plus absolument rien dit à sa femme et je crains que cet individu ne me fasse un mauvais parti quelque jour.
« Il y a avait comme témoin M. Niel Denis, bourrelier boulevard de la République, 31. »

Et, après lecture, persiste et signe avec nous.

[Niel Justin, Le commissaire central]

Entendons M. Jouve Pierre, 31 ans, employé chez M. Gibert, droguiste, demeurant à Aix, rue des Tanneurs n°29, lequel déclare:

« Aujourd’hui, vers deux heures l’après-midi, je sortais de chez M. Richier lorsque j’ai vu le nommé Laurent en face de M. Niel Justin. Laurent envoyait sa main dans la poche de sa veste, en a sorti un revolver. Il en a menacé Niel en lui disant: «Il faut que je te fasse la peau». Niel lui a saisi cette arme qu’il a remise au sous-brigadier de police. Laurent a ensuite dit à Niel: «Ah, si je ne te fais pas la peau avec quelque autre chose».
« Un agent de police est arrivé sur cet entrefaite. Il a conduit Laurent au poste de police.
« Cet individu ne m’a pas paru être en état d’ivresse.
« C’est tout ce que j’ai vu. Niel n’a rien dit, n’a rien fait. Il n’a fait que se défendre en arrachant à Laurent son revolver. »

Après lecture, persiste et signe.

[Pierre Jouve, Le commissaire central]

Entendons M. Niel Denis, 29 ans, bourrelier demeurant à Aix, boulevard de la République 31, lequel déclare :

« Aujourd’hui vers deux heures du soir je me trouvais dans la buvette Pezet lorsque j’ai entendu une discussion devant le bar Gastaud. Je suis sorti immédiatement pour voir ce qui se passait et j’ai aperçu le nommé Laurent qui discutait sur le cours Sextius. Paraissant très surexcité, cet individu disait à mon frère devant le public: « On m’a enlevé mon arme mais j’ai encore cinq francs pour en acheter une autre pour te brûler la cervelle ».
« S’adressant à moi, il m’a dit: « J’ai promis à vos deux frères de leur brûler la cervelle et à l’heure d’aujourd’hui je vous la brûlerai à vous-même ».
« Avec le brigadier Richerme, nous l’avons conduit au bureau de police. Dans le poste, il m’a encore menacé, moi et mon frère. »

Et, après lecture, persiste et signe.

[Niel Denis, Le commissaire central]

Entendons M. Coueste Eugène, 38 ans, demeurant à Pierrevert, actuellement de passage à Aix, lequel déclare:

« Aujourd’hui, vers deux heures du soir, je sortais du bar Gastaud en compagnie de M. Niel Justin. A peine étions-nous sur la terrasse de l’établissement que sieur Laurent Charles est venu vers M. Niel sans la moindre provocation de ce dernier. Il lui a dit: «Tu m’as déshonoré. Je veux te faire la peau.» Au même instant, Laurent envoya la main à la poche de sa veste en en sortit un revolver dont il a menacé le sieur Niel. Ce dernier a saisi cette arme qu’il a remise au sous-brigadier de police. Se voyant ainsi désarmé, Laurent a dit à Niel: «Si je n’ai pas réussi aujourd’hui, ce sera pour une autre fois. La première fois que tu rentreras chez toi, je te plongerai un poignard dans le dos».
« Le sous-brigadier de police a conduit cet individu au bureau de police où nous l’avons suivi. « Je dois ajouter que cet individu était dans son sang-froid. »

Et, après lecture, persiste et signe.

[Eugène Coueste, Le commissaire central]

Procédons à la confrontation de l’inculpé Laurent et du plaignant Niel.
LAURENT. « Ce matin, je suis allé à la Justice de Paix, appelé par M. Niel pour une discussion d’argent. Ce dernier me réclame un an de loyer, soit 65 francs. J’ai donné à ma femme l’argent nécessaire pour payer ce loyer et j’ai été très étonné de savoir que ce payement n’avait pas été fait. Ce détail a donné à Niel l’occasion de prétendre qu’il servait à ma femme une pension nouvelle de 25 francs parce qu’elle était de moeurs légères. Niel m’a tenu aussi d’autres propos mais je ne puis vous le dire à présent.
« Nous nous sommes présenté à la Justice de Paix à 9 heures ce matin. Nous en sommes sortis à 10 heures et c’est à 2 heures de l’après-midi que j’ai voulu me venger de Niel qui, par ses propos, m’a déshonoré. »

  • Sources : Archives municipales d’Aix-en-Provence, I1/20 n°884
  • Photographie : Le cours Sextius, à Aix-en-Provence. DR.

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