Octobre 1858 : Huveaune et Arc ravagent la Provence

En octobre 1858, une série d’orages très violents a ravagé l’est du département des Bouches-du-Rhône et s’est abattu sur de nombreuses communes, comme Aix, Aubagne et Marseille, et a causé d’extraordinaires dégâts.

Voici le récit qui est fait par plusieurs témoins du phénomène et rapporté par le journal Le Mémorial d’Aix:

L’Arc

Pourrières, Aix

La rivière torrentielle de l’Arc, grossie par un orage qui a éclaté du côté de Pourrières, a subi, mardi dernier, dans la journée, une crue comme on n’en avait pas vu depuis une cinquantaine d’années. Les eaux arrivaient avec une violence extraordinaire, et formaient une masse houleuse de près de six mètres de hauteur.
Aussi l’Arc, à l’étroit dans son lit, a débordé et s’est répandu sur les deux rives en occasionnant quelques dommages dans son trajet. Il y a eu des bas-fonds inondés, des terrains ravinés, entraînés ou couverts de sable et de gravier, et des arbres déracinés. La crue a été si subite que les riverains n’avaient pris aucune précaution.
Les flots charriaient des bois, des futailles, et divers ustensiles de ménage ou instruments d’agriculture.
Du côté de Trets, deux ponts ont été assez gravement endommagés. Les moulins en amont du pont des Trois-Sautets ont éprouvé quelques avaries ; l’eau a pénétré dans des magasins où était déposé du son et a emporté quelques balles de farine qu’on a rattrapées plus bas.

L’Arc au niveau de l’étang de Berre lors d’une inondation (1907). DR.

La passerelle du Coton-Rouge, qui reliait les deux bords de la rivière, a disparu. L’impétuosité du courant a renversé la pile du milieu, mais les culées ont peu souffert.
Le tablier s’est brisé en plusieurs parties ; l’une s’est arrêtée dans la propriété de M. Lauzier, l’autre a été traînée sur le rivage par le personnel de la fabrique de toiles peintes de MM. Ferrand. Enfin des portions de charpente, des poutres et des poutrelles, après avoir flotté quelque temps, ont atterri près de la Pioline. À Roquefavour, le niveau des eaux s’est élevé jusqu’à la clef de voûte de l’arche du viaduc du chemin de fer ; on a craint un moment qu’il atteignît la voie.
Le café-restaurant situé sur la rive gauche a été inondé jusqu’au premier étage et a eu quelques parties de son mobilier, telles que chaises, bancs et tabourets, enlevés par le courant.
Au hameau de Morand, à l’embouchure de l’Arc dans l’étang de Berre, les habitants ont été obligés d’abandonner leurs demeures envahies par les eaux et de se réfugier sur la hauteur jusqu’à ce que l’inondation ait cessé.
En résumé, ce débordement de l’Arc a fait peu de mal dans notre terroir. La panique avait, comme toujours, exagéré les dommages et assombri le tableau.
Mais, du côté de Rousset et de Trets, les ravages sont considérables et les pertes importantes.

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Trets

On écrit de Trets au Sémaphore, à la date du 20 octobre :
Une pluie diluvienne, accompagnée d’éclairs et de tonnerres, n’a pas cessé de tomber de dix heures à midi. Tous nos chemins ruraux et vicinaux, transformés en torrents, venaient déverser leurs eaux au milieu de nos champs et submerger notre vaste plaine. Les terres ensemencées ou disposées à recevoir les semailles ont été sillonnées en tous sens par les eaux qui enlevaient semences, engrais et terre végétale et ne laissaient sur le sol déchiré que pierres et gravier.
Trois ponts, l’un construit sur !a roule impériale n° 8 bis, de Marseille à la limite du département du Var, les deux autres sur le chemin de grande communication de Trets à Gardanne, ont été très fortement endommagés. Les éperons des piliers sont presque détruits. Les routes sont effondrées vers ces ponts et souterrainement minées par les eaux.
Nos communications avec Aix sont entièrement coupées de ce côté. On ne peut se rendre dans cette ville qu’en se détournant vers Peynier ou Rousset.
Le passage des ponts a été défendu pendant tonte la nuit par des cantonniers placés là par les soins de l’agent-voyer cantonal, pour arrêter les voyageurs et prévenir ainsi tout accident.
Deux maisons de construction récente, élevées sur les bords de la route impériale, ont été envahies par les eaux qui sont montées à la hauteur d’environ deux mètres.
Les caves étaient inondées, mais fort heureusement l’eau a pu se frayer un passage à travers une porte, et de là, traversant une cour, a renversé le mur de clôture et s’est perdue dans les champs. Dans l’une de ces maisons, le vin qui était dans la cave et les grains empilés dans des sacs au rez-de-chaussée sont perdus. Dans l’autre, le propriétaire a dû faire démolir lui-même le mur qui s’opposait au passage de ce torrent.

L’Huveaune

Gémenos, Auriol, Aubagne

Les fortes pluies qui sont tombées le 19 et le 20 ont causé de grands dégâts dans le territoire d’Aubagne et des communes voisines. Le ruisseau nommé Merlançon, qui traverse Aubagne, et reçoit toutes les eaux des communes environnantes, a débordé, ainsi que celui de Saint-Pons qui reçoit les eaux de la vallée de Gémenos. Ces deux cours d’eau et les nombreux torrents de la contrée ont grossi l’Huveaune, où tous aboutissent de manière à le faire déborder également à partir d’Auriol, où plusieurs maisons ont été ruinées en partie.

Dans le territoire d’Aubagne, la campagne, du côté du château de Jouques, a été submergée, ainsi que tout le quartier des Paluns ; il en était de même plus près de Marseille, du côté de Saint-Marcel, où la Petite Route était couverte d’eau sur plus d’un point.

L’Huveaune, à Aubagne. DR.

Les dégâts matériels ne sont pas les seuls qu’ait causé cette inondation : on parle d’un enfant qui se serait noyé dans l’Huveaune, à Aubagne, en voulant s’accrocher à des matières de tannerie qui flottaient sur l’eau. Les tentatives faites pour sauver cet enfant ont été inutiles.

La ligne du chemin de fer a été endommagée en plusieurs endroits, au point que sa mise en activité, qui devait avoir lieu le 20, se trouve forcément ajournée. Un avis ultérieur fera connaître le jour où commencera l’exploitation.
Près de La Capelette, le moulin de M. Desautels a été envahi par l’Huveaune; mais la perte a été peu considérable, grâce au dévouement de la famille Daumas et de vingt-cinq ouvriers.

Cassis

Nous apprenons d’autre part que de grands ravages ont eu lieu à Cassis ; c’était de cette direction que paraissait venir la trombe.
Vers midi, un torrent qui avait pris les proportions d’un fleuve, nous dit un témoin oculaire, s’est précipité sur la ville ; le presbytère a été d’abord envahi, détruit de fond en comble, et de là les eaux gagnant l’intérieur de l’église par les vestibules ont rempli l’édifice à une hauteur de quatre mètres. Un jeune vicaire, aidé d’un jardinier, s’est élancé à la nage pour sauver du moins la Sainte réserve ; il a été assez heureux pour y réussir pleinement, mais au péril de sa vie. Il lui a fallu, en nageant, enfoncer une porte latérale qui a facilement cédé, sans quoi il eût infailliblement péri.
Plusieurs maisons, parmi lesquelles on nous cite celles de M. d’Authier, de M. Autheman, de M. Vidal, notaire, ont été submergées. Les archives de ce dernier étant au premier étage ont pu être sauvées.
Des magasins et des boulangeries ont aussi considérablement souffert. Enfin une portion du quai du port, sur une longueur d’une trentaine de mètres, a été emportée.
M.  le préfet est allé visiter les lieux inondés avec deux ingénieurs.

Marseille

Voici de nouveaux détails sur les ravagés causés dans l’arrondissement de Marseille par l’orage du 19 :
La pluie commencée le 19 vers six heures du matin, avec accompagnement de tonnerres épouvantables, s’est changée bientôt en déluge au milieu d’une obscurité presque complète.
Tous les torrents ont débordé, entraînant murailles, digues, arbres, terrains, rocs énormes ; une masse d’eau est arrivée vers le haut de la rue de la Clue, emportant tout sur son passage et charriant un roc d’environ 150 kilos qui s’est mis en travers du courant ; alors, l’eau s’est précipitée avec fracas dans les maisons, emportant avec elle une telle quantité de pierres, et de gravier, que les portes les plus hautes ont été atteintes, au point que, pour conserver les chevaux ou autres animaux domestiques, on a été obligé de les faire monter au premier étage.

Dans la rue de la Clue, cinq maisons se sont écroulées. Meubles, sacs de blé, de farine, tout a été entraîné par les eaux ; plusieurs maisons ont été abandonnées, attendu que l’eau en a miné les fondements et qu’elles restent comme suspendues par les côtés aux maisons attenantes.

© nito – Fotolia.com

Arrivé à la place Sainte-Barbe, le torrent y a laissé une partie de ce qu’il entraînait, des oliviers, des vignes, des poiriers, des figuiers et autres arbres.

On estime qu’il y a des décombres pour plusieurs milliers de tombereaux. Les loges à cochon ont été tellement remplies d’eau que les cochons se sont sauvés à la nage. Un aubergiste de la rue du Pont a été obligé de tirer son cocon de l’eau par les oreilles et de le mettre dans un pigeonnier, où il a mangé une partie des pigeons qui s’y trouvaient.
Les affluents de Vède et de Bassaut, réunis à l’Huveaune, ont formé un étang de plus de deux mille mètres carrés.
L’eau était rouge, à cause de la nuance du terrain qu’elle entraînait. Le torrent a continué ses ravages en entrant dans les cafés et auberges qu’il inondait à plus de un mètre de hauteur ; il a ensuite envahi le Cours, ne laissant plus que la voûte du pont des Capucins et s’est répandu dans la Grande-Rue et les jardins qu’il a couverts d’une vaste nappe d’eau.
Arrivé à Sainte-Barbe et augmenté par l’affluent de la Clue, l’eau furieuse a renversé les murailles des jardins, entraînant les charrettes et charretons.
Le dégât que le débordement a occasionné dans la ville sur les comestibles, tels que grains, farine, huile, vin, liqueurs, café, poivre, haricots, marchands tailleurs , etc. etc., est évalué à environ 250 000 fr., non compris les dégâts de la campagne.

Roquevaire, Aubagne

À Roquevaire, des halles de farine, des bois, des meubles et des bestiaux ont été entraînés par le courant.
À Aubagne, la ville a été en grande partie inondée ; dans plusieurs maisons, l’eau atteignait jusqu’à plus d’un mètre de hauteur. Des fabriques de tuiles et de poteries ont été dévastées. On cite entre autres la fabrique de poteries de M. Fraise comme ayant beaucoup souffert.
Le viaduc qui reçoit les eaux descendant des montagnes de Cassis et qui traverse souterrainement Aubagne a crevé presque au centre de cette ville et a donné passage à une telle quantité d’eau qu’une foule de magasins et de maisons ont été immédiatement envahis, sans qu’on ait pu se prémunir contre ce débordement, que de mémoire d’homme les habitants d’Aubagne ne se rappellent pas avoir jamais vu.
Au nombre des malheurs à déplorer, on cite un homme qui, cherchant à recueillir des pièces de bois emportés par l’Huveaune, a été entraîné par le courant et s’est noyé.
On a vu passer à Aubagne un cheval mort emporté par les flots. Parmi les usines signalées comme ayant beaucoup souffert, on cite encore la fabrique à papier du pont de l’Étoile où les eaux ont causé de grands dégâts.
D’après nos informations particulières, à Roquevaire, le pont en fil de fer de l’Huveaune a été emporté, l’eau a couvert le Cours, passé par-dessus le pont de la grande route et ruiné une maison avec moulin, dont le cheval a été emporté.