Une offense au maire (Lambesc, 28 septembre 1891)

Le 28 septembre 1891, un couple de la haute société se disait oui devant M. le maire en mairie de Lambesc (Bouches-du-Rhône). M. Louis-Ernest Fatou, enseigne de vaisseau originaire de Bretagne, épousait en effet Mlle Magdeleine Pauline Alix Joséphine d’Abel de Libran, fille d’un célèbre amiral, née à Paris et domiciliée elle aussi en Bretagne. Si le couple souhaitait s’unir en Provence, c’est que la demoiselle y avait des attaches.
L'hôtel de ville de Lambesc, où fut célébré le mariage. DR.
L’hôtel de ville de Lambesc, où fut célébré le mariage. DR.
C’est sans doute parce que les mariés étaient étrangers à la Provence et n’en avaient pas les coutumes (et aussi parce que monsieur le maire était un peu susceptible, il faut bien l’avouer!) que survint l’affaire avec un grand a !
Comme cela se fait souvent, les fiancés et les témoins se présentèrent à la mairie la veille du mariage religieux et naturellement s’y rendirent en tenue de ville.
M. Delescalle, maire de Lambesc, avait à cette occasion convoqué ses adjoints. En habit noir et en gants blancs, les feuillets du discours préparé pour la circonstance à la main, M.le maire attendait les fiancés dans une pose superbe. Mais il fut absolument décontenancé en voyant arriver la mariée sans couronne de fleurs d’oranger et le cortège en tenue de jour.
Peu au courant de la mode, M. Delescalle prit pour un affront à son autorité cette mise qui lui parut négligée, supprima le discours, s’en tint aux formules légales et ne songea qu’à la vengeance qu’appelait un pareil outrage.
La musique locale dite municipale avait gracieusement offert son concours pour exécuter quelques morceaux pendant le dîner qui devait avoir lieu au château de Libran. Mais le maire s’empresse de lancer une injonction à sa musique pour lui défendre de rendre hommage à la famille la plus honorable et la plus respectée du pays. Les musiciens refusent énergiquement d’obéir à cet ordre et expédient un délégué à M. Delescalle pour le calmer. Le maire ne veut rien entendre et rédige alors un arrêté inimaginable que voici :
« Considérant que le 29 septembre dernier, un délégué de la société musicale municipale de notre commune s’est présenté en notre mairie et nous a adressé des paroles inconvenantes et injurieuses pour les fonctions et attributions dont nous sommes investi ;
« Considérant que si le délégué a tenu un tel langage, c’est qu’il existe dans la société musicale des membres hostiles à nos institution républicaines, membres qui soutiennent et contribuent à jeter le désordre dans le corps musical et par suite à soulever des discussions dans la commune au profit des ennemis de la République ;
« Considérant que la Société musicale non autorisée par M. le préfet, subventionnée en argent et en nature par la commune, est sous la dépendance de notre administration, que par conséquent il nous appartient de la dissoudre et de la reconstituer s’il y a lieu.
« Arrêtons :
« Article 1er. — La Société musicale municipale de la commune de Lambesc est dissoute.
« Art. 2. — Les détenteurs des objets appartenant à ladite Société devront, sous peine de procès verbal, les déposer aux archives de la mairie, dés que nous leur en auront signifié l’ordre.
« Art. 3. — Le garde champêtre de la commune est chargé de l’exécution du présent.
« Fait en mairie, le 2 octobre 1891,
« Le maire de Lambesc,
« Delescalle ».
Une protestation du président et des sociétaires du Cercle musical de Lambesc fut aussitôt rédigée et adressée au maire, dont elle contestait très légitimement les prétendus droits sur sa musique, et le tout fut expédié à M. le préfet. Nous n’en avons malheureusement pas les résultats.
  • D’après Journal de la ville de Saint-Quentin et de l’arrondissement, 22 octobre 1891.

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