Le procès des assassins de Rocbaron (Rocbaron, 2-4 août 1853)

Les 2, 3 et 4 août 1853, l’affaire des voleurs de Rocbaron est jugée par la Cour d’assises du Var à Draguignan sous la présidence de M. le conseiller de Fortis. Le journal Le Var en fait un compte rendu précis.

Trbunal de Draguignan. Cour d'assises du Var.

Trbunal de Draguignan. Cour d’assises du Var.

Peyrier est interrogé le premier. C’est un jeune homme de 23 ans, qui paraît doué d’intelligence et dont le visage a cette impassibilité qu’on rencontre assez souvent chez les hommes qui ont passé une partie de leur vie dans les bagnes ou les maisons de détention. Sa voix est douce ; il s’exprime avec politesse et parle le français presque correctement.
Après avoir dit comment il a été amené à faire des révélations, Peyrier retrace toutes les circonstances de l’assassinat du gendarme Sénès et du vol du trésor public. Il raconte comment quelques jours avant le 28 décembre 1849, à la suite d’une soirée passée au jeu chez l’aubergiste Gassier, Tavan et Riquier le Neuf dirent au Piémontais Baptiste, à Marquet et à lui, qu’il y avait un bon coup à faire, que la voiture qui transportait les fonds du trésor devait bientôt passer et qu’il fallait l’arrêter.
Peyrier prétend avoir d’abord hésité à accepter ces propositions. Cependant, à la fin, il s’était déterminé et avait promis son concours. Quelques jours après, on vint le prévenir que le coup aurait lieu le 28 et qu’il eût à être vers dix heures au Collet-Long. Il fut exact et vit bientôt arriver Tavan, Riquier, Marquet, Baptiste et un jeune homme qu’il connaissait à peine, Ferdinand Bœuf. Dès qu’on aperçut la voiture, on tira sur les gendarmes. L’un fut tué, l’autre prit la fuite en même temps que le convoyeur. La caisse fut enlevée et l’argent distribué le dimanche suivant chez Bœuf. Trois mille francs lui furent remis pour sa part.
Peyrier retrace tous ces faits et donne les plus grands détails sur les circonstances du crime et sur la participation de Tavan, de Riquier, de Marquet, et de Boeuf, soit à l’assassinat, soit au vol. Plusieurs fois M. le président lui fait comprendre la gravite de ces accusations et l’engage, si elles ne sont pas exactes, à n’y pas persister. Peyrier affirme qu’il n’en veut pas à ses co-accusés et que s’il les accuse, c’est qu’ils sont coupables.
Après l’interrogatoire de Peyrier vient celui des autres accusés. Sauf Tavan, qui a 60 ans et a une barbe longue et grisonnante, ce sont tous des jeunes gens dont la figure ne présente aucun cachet particulier. Ils portent le costume des habitants de la campagne.
Ils répondent par des dénégations à toutes les affirmations de Peyrier et déclarent n’avoir jamais eu de rapports avec lui. Ils soutiennent que le jour où le crime était commis ils ont passé la journée les uns avec des camarades, les autres en des endrots qu’ils déterminent.
58 témoins sont entendus. Presque tous viennent confirmer les déclarations de Peyrier. Quelques-uns au contraire, se trouvent en désaccord avec lui sur des circonstances du crime et donnent raison aux alibis invoqués par les accusés. Peyrier n’en continue pas moins cependant à persister dans le récit qu’il a présenté et à déclarer que c’est Tavan, Riquier, Marquet, Baptiste, Bœuf et lui qui ont assassiné le gendarme Sénès et volé le trésor, le 28 décembre 1849.
Après l’audition des témoins, M. le procureur impérial prend la parole.
Dans un réquisitoire qui ne dure pas moins de deux heures et demie, et qui est écouté avec une religieuse attention par le nombreux auditoire qui se trouve dans l’enceinte, M. le procureur général expose les charges de l’accusation. Il groupe toutes les circonstances de la cause et, armé d’une logique inflexible, il en tire de sévères conclusions.
M. le procureur général retrace d’abord dans ses détails les faits du 28 décembre, en assignant à chacun des accusés la place et le rôle que dans sa pensée il a dû occuper. Il montre combien la version de Peyrier est frappée d’un cachet de vérité et comment elle concorde avec l’examen des lieux, les renseignements recueillis, les souvenirs et les affirmations des témoins. Il combat les dénégations persistantes et souvent maladroites des accusés et cherche à démontrer que les alibis qu’ils invoquent sont invraisemblables et inadmissibles.
Peyrier n’a pas de sentiment de haine ou d’animosité contre les accusés. Aucun d’eux ne peut citer le moindre fait à cet égard. S’il parle et s’il les accuse, c’est qu’il dit la vérité. En faisant des révélations il ne peut espérer voir sa position s’améliorer ; il a à craindre au contraire une aggravation qui serait terrible pour lui.
M. le procureur général retrace les habitudes d’oisiveté, de honteux libertinage des accusés. Il les montre affiliés aux sociétés secrètes et passant leurs journées dans les cabarets ou les maisons de jeu. Après avoir résumé toutes les circonstances de la cause et insisté sur l’absence de tout intérêt dans les révélations de Peyrier, M. le procureur général termine en demandant au jury une condamnation qui rassure les populations ne laissant plus impuni le crime du 28 décembre 1849.
À la suite du réquisitoire de M. le Procureur général, la séance est levée et la continuation des débats renvoyée au lendemain.
À l’audience du 4, Me Verrion présente en quelques mots la défense de Peyrier.
La parole est ensuite donnée à Me Jourdan, défenseur de Tavan. Il retrace la vie de Peyrier. Il rappelle les circonstances qui ont accompagné la condamnation aux travaux forcés qu’il subit dans ce moment, et montre combien on doit peu se fier à la parole d’un homme qui ne connaît que la débauche et le crime. Après avoir combattu les déclarations de Peyrier et les témoignages invoqués par l’accusation, le défenseur soutient l’alibi invoqué par Tavan. Il le montre joueur, débauché, mais non voleur. Le défenseur termine en demandant l’acquittement complet de tous les accusés.
Me Muraire discute à son tour les charges de l’accusation. Il passe successivement en revue les allégations de Peyrier, qu’il montre souvent entachées d’inexactitudes et combattues en quelques points par les dépositions des témoins. Comment alors ne pas douter de la véracité de son récit, et ne pas admettre qu’il trompe la justice en affirmant que ses co-accusés ont pris part au crime du 28 décembre. N’est-il pas encore possible de croire que lui-même n’y assistait pas et que c’est sur des indications fournies par un de ses camarades de bagne qu’il a fait son récit.
Me Duval, en présentant la défense de Bœuf, relève quelques circonstances particulières à son client et, comme ses confrères, s’attache principalement à mettre en relief ce qui ressort des dépositions, au point de vue de l’alibi invoqué par Ferdinand Bœuf.
Après les répliques, M. le Président fait un résumé fidèle et impartial des débats. Le jury se retire ensuite dans la chambre des délibérations. Il en sort au bout de deux heures avec un verdict d’acquittement pour tous les accusés.
  • Source : Le Var, 5 août 1853.