[Provençal] Moun journau de routo / Mon journal de route

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I’A 100 AN D’ACÒ, lou 3 d’avoust de 1914, lou toco-sant sounè e anouncè, sènso souspreso, la guerro. Li pacan cresien que sarié courto e se soucitavon que de si recordo : coume faran pèr li rintra ? Ai-las, bèn lèu, la guerro noun fuguè la souleto enemigo di pelous, i’avié tambèn la plueio, la bouvo, la fre…
© Rémy Roubaud. Roubaud Avignon avec son aimable autorisation.
© Rémy Roubaud. Roubaud Avignon avec son aimable autorisation.
I’aguè 1,3 milioun de « Morts pour la France » mai la guerro faguè aperaqui 19 milioun de persouno defuntado, car à canoun, gazado, matrassado ; 20 milioun blessado e 8 milioun disparegudo ! Veici un tèste que temouino de l’infèr di trencado.

UN TROS DE « MOUN JOURNAU DE ROUTO »
J-P. GRAS. 1916, pareigu dins l’armana prouvençau de 1917

Nous vaqui dins un bos qu’es encaro un pau liuen de la raisso de fiò…
A nòu-v-ouro l’ordre es douna à dos sessioun de la vuechenco coumpanié, la dos e la quatre, d’ana pourta de cartoucho en proumiero ligno. Fau partido de la dos e vau pourta li cartoucho emé li cambarado. Es uno niue d’encro e de long dóu camin, fa de fais de branco e quasimen arouïna pèr lis esclatamen d’aubuso, se turtan i blessa que s’entornon de la ligno. A chasque pas resquihan e mourrejan dins li trau di marmito plen de nito. Lis aubuso de countùnio picon e la plueio jalado nous trepano que mai…
Es lou 7 de mars, 5 ouro dóu matin ; dins moun trau, la bouvo pegouso e blanco d’argielo e de craio m’arrivo enjusqu’i geinoun. Moun trau n’es pas cubert, em’un coulègo n’en cerque un autre. Aro que fai jour vese tout à l’entour la terro recuberto de cadabre. Aqui, pas liuen, avise uno espèci de croto, i’anan maugrat li balo que siblon e que s’espeton dins li branco ; nous fau passa sus un sóudard mort ; alongue la tèsto dins aquéu recàti, mai me retire autant lèu : es un carnas ; dedins, i’a tres autre cadabre. S’entournan dins noste trau, sian proun bagna pèr pas cregne la plueio que de countùnio toumbo. Pamens nous acatan un pau souto nòsti telo de tendo d’enterin que la canounado fai flòri ; di dous coustat arroson. Parèis que lis alemand an fa sauta à la mino un tros de trencado e dins lou desfèci n’an aprouficha pèr n’en prendre dos à tres ligno i chassur qu’an perdu pèd. Es pèr acò que noste repaus es esta foutu. Aro soun quasimen tóuti represso, mai n’en resto encaro un tros que faudra bessai contro-ataca. Parlan gaire e gardan l’espèr de resta aqui à nous jala pacientamen. Sabèn ço qu’es de sourti di trencado, mai avedre aquelo idèio n’empacho pas de saupre faire soun devé e de marcha au proumié signe…
De tèms en tèms regarde lou gaudre ounte sian, es plen de cadabre. Pàuris ome e subretout pàuri femo ! Se li vesias vòstis amant, vòstis espous que vous an fa tresana d’amour, se li vesias dins la mort enfanga, n’aurias pus que desgoust e vòsti labro beisarello n’aurien pas proun de forço pèr escupi vosto rancour davans aquelo pudènto e laido caro morto, negrasso e boudenflo, regoulanto de bouvo e de sang. La terro, elo, es touto recavado, sèmblo un terro-tremo, es recuberto d’equipamen de touto meno, de cartoucho, de képi, de casco, de sa, de fusiéu, de gamello, de museto de sóudard mort e d’aubre espalanca…

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IL Y A 100 ANS, le 3 août 1914, le tocsin sonna et annonça, sans grande surprise, la guerre. Les paysans croyaient qu’elle serait courte et ne se souciaient que de leurs récoltes : comment allaient-ils les rentrer ? Hélas, bien vite la guerre ne fut pas la seule ennemie du poilu. Il y avait aussi la pluie, la boue, le froid…
© Rémy Roubaud. Roubaud Avignon avec son aimable autorisation.
© Rémy Roubaud. Roubaud Avignon avec son aimable autorisation.
Il y eut 1,3 millions de « Morts pour la France » mais la guerre fit à peu près 19 millions de personnes mortes, chair à canons gazées, meurtries ; 20 millions blessées et 8 millions disparues ! Voici un texte qui témoigne de l’enfer des tranchées.

UN EXTRAIT DE « MON JOURNAL DE ROUTE »
J-P. GRAS. 1916, paru dans l’almanach provençal de 1917

Nous voici dans un bois qui est encore un peu loin de la ligne de feu…
A 9h l’ordre est dounné à 2 sections de la 8e compagnie, la 2 et la 4 d’aller porter des cartouches en première ligne. Je fais partie de la 2 et je vais porter les cartouches avec les camarades. C’est une nuit d’encre et le long du chemin, fait de tas de branches et presque détruit par les bombardements d’obus, on se heurte aux blessés qui reviennent du front. A chaque pas on glisse et on tombe tête première dans les trous de marmites pleins de boue. Les obus ne cessent de tomber et la pluie gelée nous transperce que plus…
Le 7 mars, 5h du matin, dans mon trou, la boue collante et blanche d’argile et de craie m’arrive jusqu’aux genoux. Mon trou n’est pas couvert, avec un collègue, on en cherche un autre. Maintenant qu’il fait jour, je vois tout à l’entour la terre recouverte de cadavres. Ici, pas loin, j’avise une espèce de grotte, on y va malgré les balles qui sifflent et qui s’explosent dans les branches ; il nous faut passer sur un soldat mort ; je passe la tête dans cet abri, mais je me retire aussi vite : c’est un charnier ; dedans, il y a trois autres cadavres. On retourne dans notre trou, nous sommes assez mouillés pour ne pas craindre la pluie qui ne cesse de tomber. Toutefois nous nous enveloppons un peu sous nos toiles de tente pendant que la canonnade redouble ; des deux côtés, ils arrosent. Il paraît que les allemands ont fait sauter à la mine un tronçon de tranchée et dans le découragement, ils en ont profité pour prendre 2 à 3 lignes aux chasseurs qui ont perdu pied. C’est pour cela que notre repos a été foutu. Maintenant tout est presque repris, mais il en reste encore un morceau, il faudra peut-être contre-attaquer. On ne parle guère et on garde l’espoir de rester ici à nous geler patiemment. On sait ce que c’est que de sortir des tranchées, mais avoir cette idée n’empêche pas de savoir faire son devoir e de marcher au premier signe…
De temps en temps, je regarde le ravin où nous sommes, il est plein de cadavres. Pauvres hommes et surtout pauvres femmes ! Si vous les voyiez vos amants, vos époux qui vous ont fait tressaillir d’amour, si vous les voyiez dans la mort embourbés, vous en auriez plus que du dégoût et vos lèvres faites pour les baisers n’auraient pas assez de force pour cracher votre rancœur devant cette malodorante et laide face morte, noire et boursoufflée, ruisselante de boue et de sang. La terre, elle, est toute defoncée, on dirait un tremblement de terre, elle est recouverte d’équipement de toute sorte, de cartouches, de képis, de casques, de sacs, de fusils, de gamelles, de musettes, de soldats morts et d’arbres explosés…
Traduit par Martine Bautista

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