Rose Courveille (1884-1946), religieuse et résistante

Sœur Marie-Gabriel en re­li­gion, née Rose Courveille, le 15 mars 1884, à Rustrel, entra chez les Augustines de Car­pen­tras, à l’âge de 20 ans, après un séjour à Paris chez sa tante maternelle et mar­raine qui lui paya sa dot de religieuse. Les hommes de sa famille paternelle venaient d’Usson-en-Forez et étaient descendus, à la fin du XVIIIe siècle, dans la montagne de Lure comme scieurs de long puis avaient fait souche à Roussillon, Villars, Gignac et Rustrel.
Rose Courveille, directrice de la maternité de Carpentras. Arch. pers. de l'auteur.

Rose Courveille, directrice de la maternité de Carpentras. Arch. pers. de l’auteur.

En ce début de XXe siècle, l’Hôtel-Dieu de Carpentras devait faire face à une carence de sœurs hospitalières, elle fut donc envoyée chez les Augustines d’Arles pour être formée et diplômée en tant qu’infirmière, pharmacienne et sage-femme. Elle reçut la médaille de l’Assistance Publique en 1928.
Son statut de religieuse cloîtrée ne l’empêcha pas de lier de solides amitiés avec trois Carpentrassiennes. Tout d’abord Mlle de Saint-André, dont la famille était installée à Aubignan, puis Marthe Daladier, sœur du premier ministre, et Mme Dreyfus, épouse catholique du maire de Carpentras et belle-sœur du capitaine Dreyfus.

Réseau d’assistance et de sauvetage pendant la Guerre

Ce sont ces quatre femmes qui, à partir de l’occupation de la zone Sud, mirent en place un réseau d’assistance et de sauvetage qui servit aux enfants juifs, aux femmes gitanes enceintes et accessoirement à un franc-maçon très haut placé. Le centre d’accueil était la clinique Moricelly, une maternité récemment construite à proximité de l’Hôtel-Dieu de Carpentras et dont sœur Marie-Gabriel avait été nommée directrice.
Odette Courveille, secrétaire du Bureau militaire de Carpentras. Arch. pers. de l'auteur.

Odette Courveille, secrétaire du Bureau militaire de Carpentras. Arch. pers. de l’auteur.

L’ensemble hospitalier (Hôtel-Dieu et maternité) jouxtant le collège Victor-Hugo réquisitionné comme hôpital militaire allemand et tout le personnel sous ses ordres n’étant pas fiable à cent pour cent, la directrice choisit soigneusement les membres de son réseau. Il y eut ses deux sages-femmes, Mme Chabannes et Mlle Chalamet, sa jeune nièce, Rosette Saltarelli, étudiante sage-femme dont elle fit son agent de liaison, sa nièce aînée Odette Courveille, placée judicieusement dans le secrétariat français de l’hôpital allemand, et un seul homme, le jardinier du couvent.
Une des filières qui amenait des enfants juifs pour les préserver des camps de concentration était installée à Avignon. Elle avait agent de liaison le docteur Godelevsky, résidant rue des Lices, et qui était en contact avec les résistants du collège Saint-Joseph voisin, dirigé par Malaucéna. Après la réception des enfants, le docteur les transportait au Château Husson, un des grands domaines de Châteauneuf-du-Pape. Celui-ci était d’ailleurs occupé par un détachement de jeunes soldats de la Lufwatfe qui recevait ce soir-là double ou triple ration de vin castelpapal et quelquefois un coup de casque sur la tête pour mieux fermer les yeux.
La camionnette à gazogène du château les prenait alors en charge pour les amener chez les sœurs de Carpentras disait-on. De sœur, il n’y en avait qu’une, c’était sœur Marie-Gabriel, la directrice de la maternité n’ayant pas voulu impliquer son ordre dans son aventure. La camionnette arrivée, les enfants étaient montés au troisième étage dans des combles aménagés où ils passaient vingt-quatre heures. Le temps d’être nourris – la directrice avait un code avec son jardinier charge d’apporter fruits et légumes ainsi que les gamelles venues d’une cantine municipale – auscultés et soignés par les sages-femmes et surtout rassurés. Là, intervenait ensuite l’équipe de Mlle de Saint-André – son chauffeur du moins – qui chargeait les enfants dans une voiture de maître et les menait directement dans le château que la demoiselle possédait en Lozère où elle les installait.
Maison du Col de Murs où Daladier se réfugie durant la Guerre. © Marie-Laure Boestch, 2014.

Maison du Col de Murs où Daladier se réfugie durant la Guerre. © Marie-Laure Boestch, 2014.

Ce réseau féminin se permit même de faciliter la fuite d’Édouard Daladier qui avait confié son fils aux soins de sa sœur Marthe. Bien qu’activement recherché, il avait voulu le voir. Sa présence à Carpentras, dont il avait été le maire, fut rapidement connue. Il fallait le faire sortir d’urgence de la ville. Ce qui fut fait de maîtresse main puisqu’il put aller se réfugier et passer une nuit dans une grosse ferme du côté de l’abbaye de Sénanque avant d’être pris en charge par un groupe de résistants.
Édouard Daladier. DR.

Édouard Daladier. DR.

Même si pendant l’occupation allemande le pèlerinage gitan aux Saintes-Maries-de-la-Mer se ralentit, il continua toujours à attirer des fidèles surtout parmi les femmes. Il faut noter d’ailleurs que celles-ci portaient alors chapeau cloche et étole de renard ce qui ne les distinguait en rien des autres catholiques. Bizarrement la période d’accouchement de certaines correspondait à celle du pèlerinage et l’arrêt à la maternité de Carpentras devint un rituel. Ce qui n’empêchait pas leur accueil à d’autres périodes puisque lors de l’accouchement de Rosette Saltarelli, le 24 septembre 1943, sa tante vint l’avertir que de la chambre où elle l’avait installée, elle entendrait peut-être un peu de bruit cette nuit, une tribu gitane inattendue ayant été accueillie en urgence au troisième étage.
Mais le ver était dans le fruit. Après la Libération, une de ses consœurs, avec laquelle elle avait tenu la pharmacie de l’Hôtel-Dieu, jugea nécessaire d’aller dévoiler à leur mère supérieure quelles avaient été les activités de la sœur directrice au nez et à la barbe des occupants et des collaborateurs. Celle-ci, offusquée de découvrir si tard le pot aux roses, la convoqua. Dans un discours fielleux mettant en cause une conduite indigne d’une religieuse cloîtrée, elle lui demanda si elle n’avait pas accueilli aussi des lesbiennes à son troisième étage. Ce qui lui valut cette réplique : « Ma mère, j’en connais fort peu qui fréquentent les cliniques d’accouchement. » Elle fut publiquement blâmée devant sa congrégation mais il fut impossible de lui supprimer ses fonctions, étant la seule religieuse ayant assez de diplômes pour les assumer.

Mort et funérailles

Elle mourut le 5 décembre 1946, plus touchée par le décès de son petit-neveu Denis, dans sa maternité, à la suite de l’injection d’un vaccin issu des stocks de l’armée américaine, que par l’incompréhension de son ordre.
Augustin Courveille, directeur de l'Hôtel-Dieu. Arch. pers. de l'auteur.

Augustin Courveille, directeur de l’Hôtel-Dieu. Arch. pers. de l’auteur.

Lors de son enterrement dans le chœur de la chapelle des Augustines de l’Hôtel-Dieu, il y eut beaucoup de monde, de beaux et sans doute sincères discours, mais aucune allusion à son action pendant l’Occupation. Un plumitif de service travaillant au journal Le Comtadin se permit même d’écorcher le nom de son neveu Augustin Courveille, directeur de l’Hôtel-Dieu, résistant qui retournait de captivité, en le baptisant M. Pompeille. Pourtant personne ne marqua de surprise en voyant arriver une délégation de juifs, rabbin en tête, ni une loge franc-maçonne en grande tenue et arborant ses drapeaux. Personne et surtout pas le plumitif du Comtadin qui se garda bien de signaler ces présences dans son papier. Trop de questions auraient pu être posées. Les juifs en tant que croyants entrèrent dans la chapelle et prièrent pour celle qu’ils appelaient leur Mère, les francs-maçons de la loge de Carpentras où avait été initié Daladier, par respect, restèrent à la porte mais abaissèrent leurs drapeaux lors de l’inhumation de la religieuse.
© Michel Reyne