« Ce 13 février 1824 à 9 heures du matin, nous Maxime Caudière, juge de paix du canton de Martigues […],
Ayant appris par la rumeur publique que dans la soirée du jour d’hier un bateau de pêche monté par neuf hommes d’équipage avait sombré sans voile dans l’étang de Berre, à une lieue environ de Martigues, non loin du quartier dit Les Trois-Frères de la Mède et qu’un seul de ces individus, appelé Augustin Cheillan, avait été sauvé et conduit dans sa maison,
Nous y sommes transportés d’office avec le sieur Bonnet, greffier, à l’effet de recevoir la déclaration dudit Cheillan sur les circonstances du naufrage.
Le témoignage de Chaillan
Arrivé au quartier de Ferrières, nous sommes montés dans une chambre au premier étage, sise dans la rue de la Chaîne, où nous avons trouvé ledit Augustin Chaillan couché dans son lit et gardé par sa femme et quelques voisines.
Après avoir reçu de lui le serment de dire vérité, nous l’avons interpelé de nous déclarer tout ce qui était à sa connaissance relativement au naufrage du bateau de pêche de l’équipage duquel il faisait partie et qu’il nous a fait de la manière suivante :
« Nous sommes partis hier sur les 4 heures de relevée [16 heures] de Martigues sur un bateau plat appartenant à Jean-Esprit Cheillan et par lui commandé.
« Ce bateau était monté par neuf hommes d’équipage, savoir Jean-Esprit Cheillan, patron, Pierre Dudon, François Mourre, Jean-Antoine Cheillan, Jean-Pierre Olive, Pierre-Vincent Bourgaud, Pierre l’Ange Aye, Louis-Gaspad Fouquet et moi Augustin Cheillan.
« Le vent de nord-ouest soufflait avec assez de violence. Son bateau avait toutes les voiles au vent et cinglant avec rapidité vu le quartier de la Mède où nous avions intention de jeter à la mer notre filet, vulgairement appelé bourgin.
« Arrivés à une lieue environ de Martigues et vis-à-vis Les Trois Frères de la Mède dont nous n’étions distants que d’un quart de lieue environ, un coup de vent affreux et semblable à un tourbillon nous donna complètement dans les voiles et fit chavirer le bateau. Mes malheureux compagnons et moi, quoique vêtus de gros habillements et ayant aux jambes des grosses bottes de marin, n’abandonnâmes pas le bois du bateau et nous y tînmes environ deux heures, quoique les vagues nous obligeassent quelquefois à désemparer.
« Le temps était si mauvais qu’aucun bateau n’était sur l’étang et, malgré nos signaux, personne ne nous aperçut.
« Au bout de cette demi-heure, mes compagnons ayant perdu leurs forces, j’eus la douleur de les voir lâcher prise les uns après les autres et entraînés au fond de l’étang qui, en cet endroit, est extraordinairement profond.
« Je luttai encore environ un quart d’heure contre les vagues et je sentais que mes forces étaient épuisées lorsque, aperçu par un travailleur qui fut prévenir des marins qui se chauffaient dans une campagne, ceux-ci montèrent leur bateau et vinrent me sauver malgré le danger imminent qu’ils couraient eux-mêmes. »
Le constat officiel
Sur quoi, moi, juge de paix, disons que Jean-Esprit Cheillan, marin, âgé de 57 ans, Pierre Dudon, marin, âgé de 46 ans, François Mourre, marin, âgé de 38 ans, Jean-Antoine Cheillan, âgé de 36 ans, Jean-Pierre Olive, cultivateur, 29 ans, Pierre-Vincent Bourgaud, sans profession, âgé de 17 ans, Pierre l’Ange Aye, marin, âgé de 18 ans et Louis-Gaspard Fouque, marin, âgé de 16 ans, tous demeurant et domiciliés en cette ville de Martigues, quartier de Ferrières, sont décédés le 12 février courant à 6 heures du soir environ, que leur mort a été causée par un événement malheureux auquel personne n’a contribué ni directement, ni indirectement et enfin qu’ils se sont noyés dans l’étang de Berre à un quart de lieue environ des rochers dits Les Trois-Frères de la Mède.
Et de tout ce que dessus, avons fait et dressé le présent procès-verbal dont extrait sera expédié à M. l’officier de l’état civil de la commune de Martigues, pour servir et valoir ce que de droit, et que nous avons signé après lecture avec le sieur Bonnet, greffier, et non Augustin Cheillan qui a déclaré ne le savoir.
Fait dans la chambre d’Augustin Cheillan, quartier de Ferrières, rue de la Chaîne, les jour, mois et an que dessus. »
[Maxime Caudière, juge de paix, Bonnet, greffier]
L’histoire se poursuit après la carte…
Identité des victimes
- Jean-Esprit Cheillan, patron pêcheur, 57 ans, né à Martigues, domicilié section de l’Île-et-Ferrières, époux en secondes noces de Marguerite Laurens ;
- Pierre Dudon, marin, 46 ans, né à Martigues, domicilié section de l’Île-et-Ferrières, époux de Marguerite Guilhen, fils de feus Jacques Dudon et Catherine Bonnin ;
- François Mourre, marin, 38 ans, né à Martigues, domicilié section de l’Île-et-Ferrières, époux en secondes noces de Marie-Anne Jourdan, fils de Jean-Baptiste Mourre et Marianne Souleillet ;
- Jean-Antoine Cheillan, marin, 36 ans, né à Martigues, domicilié section de l’Île-et-Ferrières, époux de Thérèse Richier, fils de Jean Cheillan et feue Jeanne-Marie Lamourdedieu ;
- Louis-Gaspard Fouque, 16 ans, fils de Jean-Baptiste Fouque et Marguerite Cheillan ;
- Jean-Pierre Olive, 29 ans, né à Martigues, domicilié section de l’Île-et-Ferrières, fils d’Alexis Olive et Élisabeth Teisseire ;
- Pierre-Vincent Bourgaud, 17 ans, né à Martigues, domicilié section de l’Île-et-Ferrières, fils d’Antoine Bourgaud et Marie-Rose Laugier ;
- Pierre l’Ange Aye, 18 ans, né à Martigues, domicilié section de l’Île-et-Ferrières, fils d’Étienne Aye et Rose Moulin.
- Source : Registre d’état civil de Martigues, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 202 E 499 – 1824.
- Acte signalé par Géraldine Surian.