Justice Archives - GénéProvence https://www.geneprovence.com/category/justice/ 500 ans de faits divers en Provence Tue, 19 Aug 2025 19:36:17 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.3 https://www.geneprovence.com/wp-content/uploads/2024/04/cropped-434541497_912630390609581_141579584347965292_n-32x32.png Justice Archives - GénéProvence https://www.geneprovence.com/category/justice/ 32 32 Un hérétique face à l’Inquisition (Draguignan, 16 mai 1558) https://www.geneprovence.com/un-heretique-face-a-linquisition-draguignan-16-mai-1558/ https://www.geneprovence.com/un-heretique-face-a-linquisition-draguignan-16-mai-1558/#respond Mon, 11 Aug 2025 15:58:08 +0000 https://www.geneprovence.com/?p=26108 Au cœur de la Provence du XVIe siècle, où les vallées vaudoises résonnaient des échos d’une foi divergente, se déroula un drame singulier. Voici l’histoire de Romeyer, un humble corailleur, qui,…

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Au cœur de la Provence du XVIe siècle, où les vallées vaudoises résonnaient des échos d’une foi divergente, se déroula un drame singulier. Voici l’histoire de Romeyer, un humble corailleur, qui, par un concours de circonstances funestes, devint le jouet d’une justice implacable et le symbole du martyre protestant. Son arrestation à Draguignan, en avril 1558, marqua le début d’une tragédie personnelle qui révéla les tensions religieuses et l’intolérance d’une époque.

Des Vaudois, la foi et la liberté

Il faut d’abord se souvenir du contexte. Les Vaudois du Dauphiné et de la Provence, depuis longtemps, payaient le prix fort pour leur foi. Ils demeuraient fidèles à leur Église, un bastion de l’Évangile et de la liberté. La vallée de La Grave, par exemple, avait jadis abrité une importante population de Vaudois, à tel point que l’on en venait parfois à appeler cette région les vallées vaudoises.
Romeyer, lui, était originaire de Villar-d’Arêne, un village isolé de cette vallée. Il avait pris soin d’emmener sa famille à Genève, un lieu sûr pour leur instruction religieuse. Mais les affaires le rappelaient en France. Habile artisan, il travaillait le corail. Il se rendit alors à Marseille pour acheter des marchandises. Sur le chemin, il cherchait à vendre celles qu’il transportait avec lui.

L’engrenage fatal d’une rencontre

En passant par Draguignan, Romeyer fit la rencontre qui scella son destin. Il présenta ses coraux à Lanteaume, un orfèvre local. Lanteaume trouva les pièces magnifiques et voulut les acquérir. Mais les deux hommes ne parvinrent pas à s’entendre sur le prix. Ils se séparèrent donc sans conclure de marché.
Cependant, Lanteaume, animé par une jalousie certaine, ne voulut pas laisser filer cette opportunité. Il eut une idée funeste. Il conseilla à Romeyer de montrer ses richesses à un seigneur de la ville, un homme réputé opulent. Cet homme n’était autre que le baron de Lauris, gendre de Maynier d’Oppède (1495-1558). Le nom de Lauris, il faut le préciser, est resté gravé en lettres de sang dans l’histoire des Vaudois.
La convoitise de Lauris s’éveilla à la vue de ces belles pièces. Lanteaume, alors, alla l’avertir : Romeyer était luthérien. Cette accusation suffit. La confiscation des biens suivait inévitablement une sentence de mort. Les deux complices, Lanteaume et Lauris, s’entendirent à demi-mot. Ils anticipaient déjà leur part de cette spoliation.

Un procès inique et la résistance d’un avocat

Romeyer fut donc arrêté. L’ordre venait de Lauris lui-même. Le viguier de Draguignan procéda à l’arrestation en avril 1558. Plusieurs interrogatoires suivirent. Romeyer, avec une simplicité déconcertante, confessa sa foi. Le tribunal de Draguignan se réunit ensuite pour le juger.
Un moine observantin, qui avait prêché le carême dans la ville, se montra particulièrement virulent. Il s’écria : « Je vous chanter une messe au Saint-Esprit, pour qu’il suggérât aux juges de condamner au feu ce maudit luthérien. » Mais sa messe n’eut pas l’effet escompté. Un jeune avocat, courageusement, se leva à la barre du tribunal. Il fit remarquer que Romeyer n’avait commis aucun délit. Il n’avait ni prêché ni dogmatisé en France. Il était étranger. Il voyageait en Provence uniquement pour son commerce. Par conséquent, la juridiction du tribunal ne pouvait ni le juger ni le condamner.
Tout le barreau approuva cette argumentation. Les voix des juges furent partagées. La moitié vota pour l’acquittement, l’autre moitié pour la condamnation. Ce fut une impasse. Les méthodes employées pour briser cette égalité des votes furent singulières. L’un des juges, Barbesi, se retira dans la prison de Romeyer. Il prétexta de la fermeté dont le prisonnier avait fait preuve lors de ses interrogatoires. Il voulait le voir, disait-il.

Un interrogatoire cruel

Ce Barbesi, selon un chroniqueur contemporain du nom de Crespin, était un homme étrange. Il était ignare, obèse, difforme, nez plat et large, regard hideux. Il jurait souvent. Il était lourd, naturellement gourmand et paillard. Dès son arrivée, il interpella l’infortuné prisonnier : « D’où es-tu ? Qui es-tu ? ! En qui crois-tu ? »
Romeyer, avec calme, répondit : « Je suis Dauphinois, j’habite Genève. Je fais le commerce du corail. Je crois en Dieu et en Christ mon Sauveur. »
Barbesi continua, sarcastique : « Croient-ils en Dieu, ceux de Genève ? Le prient-ils ? Le servent-ils ? »
« Mieux que vous ! » répondit vivement Romeyer.
Cette réponse, semble-t-il poussa Barbesi à voter en faveur de la condamnation. Mais l’égale répartition des voix empêcha le prononcé du jugement.

La fureur de la foule et la pression cléricale

Le moine observantin, qui avait fait de cette affaire une croisade personnelle, ne supportait pas cette incertitude. Il voyait déjà le crédit de ses prières et l’efficacité de ses messes compromises. Il fit alors sonner les cloches à toute volée. Il ameuta la populace. Il cria que les bons catholiques ne pouvaient tolérer qu’un luthérien infâme échappe à la justice. Il porta son armée de moines devant l’official et les consuls de la ville. Il leur rappela leur devoir de protecteurs de la foi.
Ensemble, soutenus par une populace en colère, ils se ruèrent aux portes des magistrats. Ils hurlaient qu’ils ne voulaient pas que l’hérétique soit libéré. Ils se plaindraient au Parlement, au roi, au pape, à toutes les puissances du monde et des enfers. Ils exigeaient qu’il fût puni. Ce moine, insidieusement, semait les graines d’événements tragiques.

Un aller-retour à Aix

Le représentant du roi, soucieux de respecter les formes judiciaires, s’opposa à cette violence. Mais la foule répondait en chœur : « Qu’on le tue ! qu’on le tue ! Au feu ! au feu ! Qu’il soit brûlé ! » Le clergé s’unissait à ces cris. Le magistrat, impuissant face au tumulte, décida de se rendre à Aix pour en référer au parlement, qui jouait alors le rôle équivalent d’une cour d’appel. La population se dispersa, mais le moine veilla à ce que les conseils de la ville sanctionnent cette décision.
Quatre personnes furent désignées pour accompagner le procureur du roi et présenter la condamnation de Romeyer. Le premier consul, Cavalier, le juge Barbesi, l’avocat-général et un greffier firent partie de la délégation. Mais un des présidents de la Cour d’Aix, nommé Ambrois, les réprimanda. Il leur dit : « Vous n’avez certes pas besoin de tant de cérémonies pour faire brûler un hérétique. »
La députation visait à activer le jugement de mort. Arrivée à Aix, elle exposa l’affaire à la Cour, qui n’avait pas l’instruction complète mais qui interdit au tribunal de Draguignan de juger.
La sentence tomba finalement. Romeyer fut condamné à subir la question, puis la roue, et enfin à être brûlé vif. Son martyr devait être perpétuel. Le moine envoyé pour lui offrir une abjuration revint de sa prison en déclarant qu’il l’avait trouvé pertinax, c’est-à-dire persévérant et qu’il était donc damné.
Aussitôt, les curés firent annoncer dans toutes les paroisses environnantes que le 16 du mois de mai aurait lieu le supplice. À Draguignan, on fit publier à son de trompe que tout catholique devait apporter du bois pour le bûcher. Le lieutenant du roi, qui avait tenté de le sauver, quitta la ville pour ne pas être témoin de cette exécution inique. Mais son substitut, accompagné de juges et de consuls, se rendit à la prison du condamné où il appliqua la question.

Le supplice de Romeyer

Devant lui, on étala les instruments de torture : tenailles, cordes, coins, barreaux de fer. « Dénonce tes complices et abjure tes erreurs, sans t’exposer à ces tourments », lui dit-on. Romeyer répondit avec force : « Je n’ai point de complices. Je n’ai rien à abjurer, car je ne professe que la loi du Christ. » Il ajouta : « Vous l’appellerez maintenant perverse et erronnée, mais au jour du jugement, Dieu le proclamera juste et sainte contre ses transgresseurs. »
Ses bourreaux lui dirent alors : « Implore donc la Vierge. »
Romeyer, épuisé, s’écria : « Nous n’avons qu’un seul médiateur… Ô Jésus ! ô mon Dieu !… grâce !… » Puis, il s’évanouit. La torture recommença, plus atroce, au point qu’on le laissa pour mort. De crainte qu’il n’expirât avant d’être brûlé, les moines et les prêtres le détachèrent de la roue. Ses os des bras et des jambes étaient brisés. La pointe de ses os sortaient de ses chairs. On lui laissa une collation pour le ramener à la vie.
Il fut ensuite transporté sur le lieu du supplice. On l’attacha avec une chaîne de fer au poteau du bûcher. Un moine lui dit encore : « Invoque la Vierge et les saints ! » Le martyr de Villar-d’Arêne fit un signe négatif de la tête. Alors, les bourreaux mirent le feu au bûcher. La flamme s’éleva rapidement, le brasier s’éteignit soudainement. Romeyer demeura suspendu au poteau, au-dessus du foyer dévorant. Ses membres inférieurs rôtissaient. Ses entrailles exhalaient des odeurs de mort. Son corps était déjà à moitié brûlé. On voyait ses lèvres s’agiter sans qu’il en sortît aucun son.
Romeyer mort, Lauris et Lanteaume purent se partager ses biens.
  • D’après Alexis Muston, « Martyre d’un Vaudois à Draguignan (1558) » in La Liberté de penser, revue philosophique et littéraire, tome VII, no 38, janvier 1851, Paris, pp. 199-203.

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Le procès du crime d’Eyragues (Eyragues, 28 mai 1881) https://www.geneprovence.com/le-proces-du-crime-deyragues-eyragues-28-mai-1881/ https://www.geneprovence.com/le-proces-du-crime-deyragues-eyragues-28-mai-1881/#respond Mon, 07 Jul 2025 05:30:04 +0000 https://www.geneprovence.com/?p=25871 Un crime avait été commis à Eyragues sur la personne d’un nommé Claude Falgon, journalier de 63 ans. Une enquête approfondie mais peut-être assez imparfaite avait conduit à l’inculpation d’un berger…

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Un crime avait été commis à Eyragues sur la personne d’un nommé Claude Falgon, journalier de 63 ans. Une enquête approfondie mais peut-être assez imparfaite avait conduit à l’inculpation d’un berger des Basses-Alpes, Joseph Cougourdan, arrêté le 29 novembre 1880.
Pourtant, s’il était évident que Cougourdan était responsable de vols dans cette affaire, rien ne prouvait totalement qu’il était l’auteur du meurtre de Falgon. En effet, des objets personnels de la victime avaient été volés et il apparaissait que l’inculpé n’en était pas porteur. C’est donc qu’il y avait au moins un autre voleur. Et ce voleur-là pouvait aussi être l’assassin.
Et de fait, il faudra attendre deux mois après l’arrestation de Cougourdan pour connaître une avancée significative dans l’affaire.
Le vendredi 28 janvier 1881, le commissaire de Saint-Rémy, assisté de deux agents, procédait à Saint-Andiol à l’arrestation d’un nommé Bruno David, domestique, trouvé en possession de la montre no 6991, qui fut volée dans la nuit du 20 au 21 novembre 1880 sur Claude Falgon.
David fut donc mis à la disposition du parquet et il finit par avouer qu’il était le seul auteur du crime commis sur le journalier. Il en raconta même tous les détails.
Cougourdan, lui, était blanchi du meurtre, mais restait tout de même inculpé de vol. Même s’il échappait à la cour d’assises, il n’allait pas moins de retrouver face à la police correctionnelle.

Dans le cas du pauvre Falgon, il apparaissait que le crime avait eu évidemment le vol pour mobile. Le désordre des vêtements de la victime indiquait que le meurtrier n’avait rien négligé pour se procurer les objets de quelque valeur dont il pouvait être porteur. Cependant des bijoux, cachés autour de l’un des pieds avaient échappé à ses recherches, mais on sut plus tard qu’une montre en argent enfermée dans un étui et un porte-monnaie contenant deux pièces d’argent avaient été soustraites. L’enquête parvint à découvrir le signalement précis et même le numéro (6 991) de la montre. Le 28 janvier, un horloger de Saint-Rémy fit connaître qu’un certain Honoré Gonfond lui avait confié, pour la réparer, une montre portant le numéro 6 991. Honoré Gonfond, interrogé, déclara l’avoir achetée, le 18 janvier, au prix de vingt-cinq francs, auprès d’un homme du nom de David Bruno, valet de ferme chez son père, au mas de Gonfond.
Dans la soirée du 21 novembre, David avait fait voir une montre semblable enfermée dans un étui, au café Bourdet, à Saint-Rémy. L’étui fut découvert au mas Gonfond au milieu de ses effets, dans sa malle.
Vaincu par l’évidence, après avoir essayé quelques dénégations, le prévenu finit par avouer sa culpabilité. Il raconté que dans la nuit du 20 au 21 novembre, il avait quitté le café Bourdet, à Saint-Rémy, vers une heure du matin, après y avoir perdu au jeu dix francs, c’est-à-dire tout l’argent qu’il avait alors en sa possession, et en restant débiteur de sept consommations. Il avait rencontré un inconnu qui lui avait demandé le chemin d’Eyragues et qui, faisant route avec lui, lui avait confié qu’il était porteur de divers bijoux et avait, de plus, en sa présence, consulté sa montre. La pensée du crime était alors née dans son esprit.
Pour la mettre à exécution, il s’était, en toute hâte, rendu à travers champs, au domaine non éloigné de son maître, s’y était armé d’un bâton, puis gagnant de vitesse l’inconnu, il était allé s’embusquer sur un point où il devait passer, et, après l’y avoir attendu et l’avoir vu s’engager par erreur dans la direction de Saint-Andiol, il l’avait rejoint et frappé de son bâton. La victime était tombée sans pousser un cri. Il lui avait pris la montre avec son étui et deux pièces, l’une de cinq francs, l’autre d’un franc, contenues dans le porte-monnaie jeté. Il paraissait difficile que le crime ait pu être consommé sans une autre arme qu’un bâton.

Interrogatoire de l’accusé

Nous sommes le 28 mai 1881. Le procès de David a lieu devant la Cour d’assises d’Aix-en-Provence.
Dans un premier temps, l’accusé est interrogé.
Le président. — David, levez-vous et expliquez à MM. les jurés comment vous êtes arrivé à commettre le crime qu’on vous reproche ?
David. — Ayant perdu au jeu et n’ayant pu régler, je suis sorti du café Bourdet à Saint-Rémy pour rentrer à ma ferme, située à quatre kilomètres. J’ai rencontré sur la route le sieur Falgon, qui m’a dit aller Avignon. Nous avons causé assez longtemps, ensuite je lui ai demandé dix francs qu’il n’a pas voulu me prêter. Je lui posai la main sur le bras. Il a cru que j’allais le dévaliser, il m’a menacé de sa canne. Alors j’ai perdu la tête et je lui ai asséné un coup de bâton. Il est tombé du premier coup.
P. — Falgon allait à Avignon, comment se fait-il que vous l’ayez entraîné dans la traverse de Saint-Andiol ?
D. — Je ne l’ai pas entraîné. C’est en causant qu’il s’y est dirigé. Je l’ai suivi.
P. — Pourquoi ne l’avez-vous pas remis dans le bon chemin. Vous aviez déjà l’idée de l’assassiner ?
D. — Il me parlait de son argent, de ses bijoux. Je l’écoutais, mais je n’avais pas à ce moment la pensée de le tuer.
P. — Avec quoi l’avez-vous tué ?
D. — Avec un bâton.
P. — N’aviez-vous pas un couteau qui vous a servi à couper le bandage herniaire ?
D. — Oui, mais ce n’est pas celui que vous me présentez.
P. — Vous avez vendu les objets volés ?
D. — Oui, Monsieur.
P. — Vos vêtements n’auraient-ils pas du sang ?
D. — Non.
P. — C’est impossible, puisque vous avez fouillé votre victime et encore vous n’avez pas trouvé tout ce que vous cherchiez, puisqu’on a retrouvé les bijoux dans les bas de Falgon.
Dans tout son interrogatoire, l’accusé s’exprimait d’une voix sourde, à cause du mouchoir qu’il plaçait constamment devant sa bouche, et dont il se servait de temps en temps pour s’essuyer les yeux, avec une attitude qui semblait faire montre de repentir.

Audition des témoins

Dix-neuf témoins furent cités. Il serait trop long de les évoquer tous. Aussi nous contentons-nous de citer les dépositions présentant quelque intérêt.
Premier témoin. — Mascle, Jean-Joseph, docteur en médecine à Châteaurenard, rapporta qu’il avait été chargé des premières constatations et qu’il avait surtout remarqué une plaie faite par un instrument tranchant ou contondant, allant de haut en bas.
M. le président montra au docteur une faucille et un couteau pris chez l’accusé et lui demanda quel est celui des deux qui avait servi à perpétrer le crime.
R. — Ni l’un ni l’autre. La blessure a été faite avec un bâton à bec de corbin.
Q. — Le bâton n’est pas un instrument tranchant, l’emploi du couteau a donc été possible ?
R. — Oui, Monsieur.
Deuxième témoin. — Braye, docteur en médecine à Tarascon, dit qu’ayant été commis par la justice pour faire l’autopsie du cadavre, il avait examiné la victime et avait remarqué une forte blessure produite par un instrument contondant, qui lui fit penser d’abord à l’emploi d’un revolver dont la balle aurait produit la mort instantanée. Un examen approfondi lui avait donné la conviction que l’assassin s’était servi d’abord d’un bâton, et ensuite d’un couteau.

Réquisitoire et plaidoirie

L’avocat-général Thourel prononça ensuite un de ces éloquents et habiles réquisitoires dont il avait le secret et réclama du jury un châtiment suprême.
Me Masson, dans une émouvante plaidoirie, combattit avec énergie les conclusions du ministère public et pria les jurés de sauver la tête de David.
« Du reste la peine de mort, s’écria-t-il en terminant, est à cette heure appliquée de moins en moins. Au bout de 120 jours, Faulloy a obtenu sa grâce à Paris, Brun vient de l’avoir dans le Var, et Vabre lui-même espère depuis 81 jours en la clémence du chef de l’État. »

La condamnation

Après un résumé impartial, le jury entra dans la salle des délibérations. Il en rapporta un verdict affirmatif sur les questions d’assassinat avec préméditation, guet-apens suivi de vol mais des circonstances atténuantes furent admises.
En conséquence, la cour condamna David à la peine des travaux forcés à perpétuité.
La foule s’écoula, profondément impressionnée par les péripéties des débats judiciaires auxquels elle venait d’assister.
  • Sources : L’Homme de bronze, 6 février 1881, p. 3 ; ibid., 29 mai 1881, p. 3, 4.

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Les mots ont un prix (Tarascon, 1er février 1881) https://www.geneprovence.com/les-mots-ont-un-prix-tarascon-1er-fevrier-1881/ https://www.geneprovence.com/les-mots-ont-un-prix-tarascon-1er-fevrier-1881/#respond Tue, 25 Feb 2025 05:30:30 +0000 https://www.geneprovence.com/?p=24559 Le mardi 1er février 1881, le tribunal correctionnel de Tarascon, présidé par M. Latour du Villard, vit se produire, au cours de son audience, un incident qui mérite d’être évoqué…

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Le mardi 1er février 1881, le tribunal correctionnel de Tarascon, présidé par M. Latour du Villard, vit se produire, au cours de son audience, un incident qui mérite d’être évoqué :
Un jeune vagabond de dix-neuf ans du nom de Chiarra, pourvu d’un casier judiciaire long comme le bras, s’entendit encore frapper de six mois de prison et s’écria en s’adressant aux juges :
« Vous, je vous emm… »
Cette apostrophe fut évidemment mal prise par les hommes de loi qui inculpèrent l’individu selon la loi pénale pour injures aux magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. Le président ordonna alors aux gendarmes de ramener le prévenu qui était déjà parti et l’invita à répéter l’insulte qu’il venait de prononcer. Celui-ci, sans se rétracter, formula la chose différemment :
« J’ai dit que vous me faites ch… »
En présence d’un tel cynisme, le tribunal condamna l’énergumène à cinq ans de prison, soit la peine maximale qu’il encourait.
  • Sources : L’Homme de bronze, 6 février 1881, p. 3.

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Les voleurs de la rue de la Terrasse (Nice, 5 janvier 1895) https://www.geneprovence.com/les-voleurs-de-la-rue-de-la-terrasse-nice-5-janvier-1895/ https://www.geneprovence.com/les-voleurs-de-la-rue-de-la-terrasse-nice-5-janvier-1895/#respond Sat, 30 Nov 2024 05:30:33 +0000 https://www.geneprovence.com/?p=23455 Le 5 janvier 1895, les époux Carlès, tenant une buvette rue de la Terrasse, à Nice (Alpes-Maritimes), furent avertis que des voleurs avaient pénétré dans leur appartement, situé au sixième…

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Le 5 janvier 1895, les époux Carlès, tenant une buvette rue de la Terrasse, à Nice (Alpes-Maritimes), furent avertis que des voleurs avaient pénétré dans leur appartement, situé au sixième étage de la maison où est la buvette. Ils y montèrent aussitôt et constatèrent qu’on leur avait volé deux mille francs en billets et numéraire et plusieurs bijoux. Leurs soupçons se portèrent sur un de leurs anciens garçons, nommé Dalmas. Celui-ci fut arrêté, et il indiqua les noms des voleurs, des nommés Masséglia, Navello et Plet. Inutile de dire qu’il était associé avec eux.
Le 1er mai 1895, ce petit monde fut donc invité à venir s’expliquer devant la Cour d’assises des Alpes-Maritimes.

L’audience s’ouvre

Pour présenter les choses simplement, indiquons que la Cour était présidée par M. Trinquier, conseiller à la Cour d’appel d’Aix, assisté de MM. de Bottini et Thibault, juges au tribunal de Nice. M. Gain occupait quant à lui le siège du ministère public. Au banc de la défense étaient assis maîtres Nicol, Durandy, Buffon et Gassin.
Le président procéda donc à l’interrogatoire des prévenus, en commençant par Claude Navello.
Celui-ci, âgé de 28 ans, jardinier, n’avait pas moins de sept condamnations à son casier. Il nia avoir pris part à un vol commis quelque temps plus tôt, 21, rue Droite.
Interrogé sur le vol de la rue de la Terrasse, il déclara qu’étant en état d’ivresse il ne se souvenait de rien. Quant au portemonnaie trouvé sur lui et qui avait été reconnu par la personne victime du vol de la rue Droite, il dit l’avoir acheté à un inconnu.
Navello reconnut pourtant avoir pris 500 francs sur la somme volée à M. Carlès. Il n’est entré dans la maison, dit-il, que « pour tenir la chandelle ».
Bienvenu Dalmas fut ensuite interrogé, ayant été garçon de café chez M. Carlès, dont il avoua avoir indiqué à Navello le coup à faire. Mais il affirma n’y avoir pris aucune part. Il avait touché 223 francs sur le produit du vol, « mais, dit-il, aussitôt après cet aveu, j’ai remis cet argent à Plet, car il gênait ma conscience ».
On jugera de l’hilarité que cette explication causa à l’auditoire.
On passa ensuite à l’interrogatoire de Louis Masséglia.
Celui-ci avoua qu’il avait été invité par Navello et Dalmas à commettre le vol. Il avait pénétré avec Navello dans l’appartement des époux Carlès et s’était emparé de l’argent. Puis les trois malfaiteurs s’en étaient allés à la montée de Villefranche s’en faire le partage.
Comme son confrère Dalmas, Masséglia prétendit avoir eu des remords de conscience qui lui donnaient l’envie de se suicider.
Félix Plet, le quatrième accusé, niait quant à lui les charges dont on le soupçonnait.
De nombreux témoins furent ensuite entendus. Leur défilé dura jusqu’à 11h45, heure où le président leva l’audience et annonce qu’elle serait reprise à 14 heures précises.

Le verdict

Dans cette deuxième audience, M. Gain, substitut, soutint l’accusation et demanda au jury de se montrer sévère envers les coupables qui étaient devant lui et dont le passé indiquait la moralité.
Les avocats, maîtres Micol, Durandy, Buffon et Gassin, plaidèrent ensuite avec habileté, malgré l’ingrate tâche qu’ils avaient assumée.
A 17h30, le jury rapporta un verdict affirmatif, en ce qui concerne les faits reprochés à Bavello, Dalmas et Masséglia, sans admission de circonstances atténuantes et négatif en ce qui concerne les faits reprochés à Flet.
En conséquence, Bavello et Masséglia furent condamnés à quinze ans de travaux forcés, Dalmas, à dix ans de la même peine et Flet fut acquitté.
  • Source : La République du Var, 2 mai 1895, p. 2.

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Le procès du tueur des Bassets (Gap, 21 août 1850) https://www.geneprovence.com/le-proces-du-tueur-des-bassets-gap-21-aout-1850/ https://www.geneprovence.com/le-proces-du-tueur-des-bassets-gap-21-aout-1850/#respond Thu, 10 Oct 2024 05:30:32 +0000 https://www.geneprovence.com/?p=22581 Au hameau des Bassets, au-dessus de Gap (Hautes-Alpes), peu avant le col Bayard, un crime effroyable bouleversa la paisible existence des habitants du lieu. Au printemps 1850, Fidèle Rome, un…

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Au hameau des Bassets, au-dessus de Gap (Hautes-Alpes), peu avant le col Bayard, un crime effroyable bouleversa la paisible existence des habitants du lieu. Au printemps 1850, Fidèle Rome, un homme d’une quarantaine d’années, tua sa propre fille, une enfant à peine sortie de l’enfance et qui n’avait pas dix ans. Les accusations pesant sur lui étaient d’une gravité inouïe : viols répétés et mort par empoisonnement. Une horreur absolue.
L’homme était né à Châteauvieux (Hautes-Alpes) le 23 novembre 1811 de Dominique Rome et Euphrosine Clément et était marié avec Marguerite Baudouin.
De l’opinion générale, l’homme était une bête sauvage. D’ailleurs, on se demandait s’il était doté d’intelligence tant il ne semblait pas comprendre pourquoi les gendarmes étaient venus l’arrêter.

Crime et procès

Le procès se tint le 21 août aux Assises de Gap, dans une atmosphère lourde et tendue. On mit au jour les détails sordides de cette affaire. Lorsqu’on lui fit entrevoir la peine de mort qu’il encourait, il se contentait de répondre avec un abominable ricanement. Il avoua les viols commis sur sa fille qu’il accusait d’être une mauvaise enfant.
Les experts médico-légaux, quant à eux confirmèrent de manière irréfutable la présence de substances toxiques dans le corps de la victime, corroborant ainsi les accusations d’empoisonnement.
L’accusé, quant à lui, persistait à afficher une froideur et un détachement déconcertants face aux faits qui lui étaient reprochés. Son regard, vide et impénétrable, semblait trahir une absence totale de remords. Malgré les efforts de son avocat, Maître Mondet, qui tentait de semer le doute sur la culpabilité de son client, les preuves accumulées étaient accablantes.
Les débats terminés, le conseiller Fiéreck présenta un résumé lucide de l’affaire et posa les questions sur lesquelles le jury aurait à délibérer. Pendant que les jurés se retiraient, la foule venue en masse attendait avec impatience le verdict.
Enfin, ils revinrent. Fidèle Rome était reconnu coupable des crimes qui lui étaient imputés et condamné à la peine capitale. Il n’y eut aucune clameur, aucun cri dans la foule.
Au moment de l’énoncé du verdict, l’accusé haussa simplement les épaules, comme si cette condamnation n’avait aucune importance à ses yeux. Il se contenta de dire :
« Eh bien, j’en appellerai. »
Il ne fit pourtant pas appel.

L’exécution

Le 12 novembre suivant, la foule était venue en nombre assister à l’exécution sur une grande place de Gap. Unanimement, Rome était désigné comme un homme irrécupérable, une nature cynique et dépravée.
S’avançant vers la guillotine, Rome semblait avoir perdu de la superbe qu’il affichait à son procès. On voyait un homme dépourvu de toute énergie. Au pied de l’échafaud, il défaillit et on dut presque le porter pour le mettre en place sur la bascule.
Une seconde après, la mort de la petite fille était vengée, la justice humaine était satisfaite et la foule se retira lentement.
  • Sources : L’Annonciateur, 28 août 1850, p. 3 ; 14 novembre 1850, p. 2.
  • État civil de la commune de Gap, Archives départementales des Hautes-Alpes, 2 E 65/49.

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Une querelle entre voisins (Marseille, 2 mars 1868) https://www.geneprovence.com/une-querelle-entre-voisins-marseille-2-mars-1868/ https://www.geneprovence.com/une-querelle-entre-voisins-marseille-2-mars-1868/#respond Sun, 22 Sep 2024 10:13:36 +0000 https://www.geneprovence.com/?p=22337 Le 2 mars 1868, une vieille dame, la veuve Chaffrey était agressée par trois individus dans une rue de Marseille. Ses agresseurs étaient trois membres de la même famille, Mademoiselle…

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Le 2 mars 1868, une vieille dame, la veuve Chaffrey était agressée par trois individus dans une rue de Marseille. Ses agresseurs étaient trois membres de la même famille, Mademoiselle C., son cousin et sa tante.
Malheureusement, la pauvre dame ne parvint pas à se remettre des coups qu’elle avait reçus et elle mourut quelques jours plus tard.
C’est dans ce contexte que, le 17 avril suivant, les trois prévenus comparaissaient devant la chambre correctionnelle de Marseille, sous la présidence de M. de Mougins-Roquefort.
L’accusation considérait que la demoiselle C. était celle qui avait porté les premiers coups à Mme Chaffrey. Sa tante, Mme T., est ensuite venue l’aider, bientôt suivi de son cousin.
Dans la rixe, il y avait eu des vêtements déchirés, des chevelures tirées et des chignons jetés au vent.
Naturellement les prévenus s’efforcèrent d’atténuer les faits qu’on leur reprochait.
Des femmes témoins de l’histoire furent appelées à la barre. Mais, parlant un patois qui était un mélange de provençal et d’italien, certaines parties de leur discours resteront secrètes.

Le président appela la tante ensuite.
« Que répondez-vous aux charges qui s’élèvent contre vous ? lui fit-il.
— Je rendais les coups que je recevais, répondit-elle.
— Vous avez frappé assez fort, puisque le bâton s’est cassé sur les bras de la veuve Chaffrey », précisa le président.
Des murmures surgirent dans la salle.

Le président, s’adressant à une témoin féminine coiffée d’un fichu coloré, lui demanda :
« Quel est votre âge ?
— Quatre-vingt-deux ans.
— Je vous en fais mon compliment, vous les portez bien. (Rires dans la salle.) Il paraît que l’air est bon à Saint-André ! »

Un officier de santé de soixante-cinq ans, portant des lunettes, vient déclarer que la veuve Chaffrey avait l’humeur quelque peu procédurière et qu’elle venait souvent chez lui lui demander des certificats pour produire en police correctionnelle.

Le président à Mlle C., la prévenue : « La veuve Chaffrey se portait-elle bien ? »
Réponse : « Elle était plus grande que moi. »
Le président : « La taille ne fait rien à la santé. »

Finalement, l’avocat de la défense, Me Germondy, plaida l’acquittement des trois prévenus, faisant valoir l’humeur querelleuse de celle qui n’était plus et son penchant à l’ivrognerie.
Le tribunal, après avoir entendu la défense, condamna la demoiselle C. à quinze jours de prison, la femme T., la tante, à vingt jours, et le jeune T., fils de la précédente, à huit jours.

Et l’affaire était close…

  • Source : Le Petit Marseillais, 21 avril 1868, p. 3, 4.

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Accusé à tort (Marseille, 1838) https://www.geneprovence.com/accuse-a-tort-marseille-1838/ https://www.geneprovence.com/accuse-a-tort-marseille-1838/#respond Fri, 17 May 2024 19:40:51 +0000 https://www.geneprovence.com/?p=20807 Antoine Faure, un ouvrier raffineur, vivait à Marseille depuis de longues années avec ses deux sœurs. De plus, il nourrissait chez lui Modeste Salle, ouvrier dans la même raffinerie que…

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Antoine Faure, un ouvrier raffineur, vivait à Marseille depuis de longues années avec ses deux sœurs. De plus, il nourrissait chez lui Modeste Salle, ouvrier dans la même raffinerie que lui.
Un jour, Salle alla porter plainte chez le commissaire de police contre Faure, l’accusant d’avoir volé dans sa malle la somme de 105 francs qu’il y avait déposée. C’est Clotilde Faure, une jeune fille de 19 ans, qui avait dénoncé son frère à Salle.
« Faure […] persista dans ses dénégations… »
À son procès, Faure opposa à l’accusation portée contre lui les dénégations les plus formelles et une vie entière de probité. Il prétendit que Salle n’avait pu amasser une somme de 105 francs et, pour justifier l’accusation de sa sœur, indiqua qu’elle avait sans doute été poussée par le dépit ressenti de ce que, après la mort de la mère, il avait refusé son consentement à son mariage avec Modeste Salle.
Il était difficile pour les juges de croire qu’une sœur pût accuser son frère pour un motif aussi frivole et l’affaire fut donc portée devant la cour d’assises, à Aix-en-Provence.
Au procès, Faure, défendu par Me Bédarrides, persista dans ses dénégations et Clotilde dans ses accusations. Le président lui fit remarquer combien sa conduite envers son frère serait odieuse si elle l’accusait à tort, mais celle-ci se contenta de répondre avec froideur qu’elle disait la vérité.
On en vint donc à interroger Modeste Salle afin qu’il explique l’origine de cette somme qu’il était supposé cacher dans sa malle. Il expliqua qu’il avait acheté des bijoux pour Clotilde ainsi que des meubles pour garnir un appartement et que, pour ce faire, il avait payé 250 francs. Comment s’était-il procuré une telle somme, lui, simple ouvrier raffineur ? Il expliqua que sa mère, une pauvre paysanne du Piémont, la lui avait envoyée, ou peut-être son père, il ne se souvenait plus, par une personne qu’il ne connaissait pas. De plus, il ne pouvait justifier d’aucune preuve d’envoi.
L’autre sœur d’Antoine Faure, elle, était bien mieux disposée à l’endroit de son frère et, alors que la déposition des témoins allait s’achever, elle dit une chose qui allait complètement changer la face de l’affaire.
On apprit que, la veille de sa mort, la mère de Faure qui n’avait pu léguer à Clotilde le quart de son petit avoir, avait remis à Salle une somme de 300 francs en pièces de 5 francs en lui demandant de les échanger contre des pièces d’or et de les remettre à Clotilde, à l’insu de son frère et de sa sœur. Elle ajouta que Salle n’avait pas rendu cet argent à la mère Faure et que Clotilde le réclamait.
On rappela donc Salle et celui-ci soutint qu’il avait rendu le jour-même à la mère Faure les 300 francs échangés en or, mais il fut démenti par Clotilde qui déclara que les meubles achetés par Salle l’avaient été de cet argent et de son consentement et que les 105 francs que Salle prétendait lui avoir volés formaient le restant de cette somme.
Il y avait donc forcément l’un des deux, de Clotilde et de Salle, qui mentait au juge. Après ces explications, il était difficile d’ajouter foi à la parole de Salle selon laquelle on lui avait volé 105 francs. Quand bien même ce fut le cas, Faure n’aurait fait que reprendre ce qui lui appartenait.
Aussi le ministère public sollicita-t-il du jury un verdict d’acquittement pour Faure. Antoine fut donc immédiatement remis en liberté.
Le président Olivier fit alors approcher Salle et Clotilde Faure et leur reprocha avec sévérité toute l’infamie de leur conduite.
L’ainée des sœurs de Faure se jeta en larmes dans les bras de son frère, tandis que Clotilde quittait la salle d’audience sans même daigner les regarder.
  • Sources : Le Mémorial d’Aix, 15 décembre 1838, p. 2.

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L’affaire du paquet de grives (Pertuis, 17 janvier 1885) [1/3] https://www.geneprovence.com/laffaire-paquet-de-grives-pertuis-17-janvier-1885-13/ https://www.geneprovence.com/laffaire-paquet-de-grives-pertuis-17-janvier-1885-13/#respond Mon, 13 Jan 2020 09:23:14 +0000 http://www.geneprovence.com/?p=17406 Le 17 janvier 1885, la femme du docteur Gustave Tour­na­toire qui exerçait à Pertuis, petite ville du département de Vaucluse, devint subitement folle. Elle s’était couchée de bonne heure, pensant…

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Le 17 janvier 1885, la femme du docteur Gustave Tour­na­toire qui exerçait à Pertuis, petite ville du département de Vaucluse, devint subitement folle. Elle s’était couchée de bonne heure, pensant apaiser les lourdeurs de tête et les maux de cœur dont elle avait été prise après le repas du soir, mais elle n’avait fait que souffrir davantage. Elle avait essayé de lire, comme c’était son habitude, mais les lettres ne lui étaient apparues que dans un brouillard. Elle avait alors, dans une gesticulation désordonnée, renversé la lampe qui éclairait la table de nuit. Et comme son mari était venu s’étendre à ses côtés, elle lui avait étreint le bras et jeté ces mots : « Tu vas te battre en duel, mais je te le défends. Ne nie pas. Je le sais. J’entends déjà tes témoins qui montent. »
Pertuis (Vaucluse), vue générale. DR.
Pertuis (Vaucluse), vue générale. DR.
Dressée sur son séant, très rouge, elle lançait dans tous les sens des regards affolés. Et ce drame avait duré jusqu’au jour.
Vers 9 heures du matin, cette jeune femme s’était montrée un peu moins délirante, mais elle y voyait encore si trouble, qu’elle habilla sa fille d’une façon absurde. Elle lui mit sa robe à l’envers et lui passa ses bas aux mains comme elle eût fait de longs gants. Il lui semblait alors qu’une pluie de lentilles tombait devant ses yeux et que l’air était obscurci par des nuées de mouches volantes. Elle ne redevint lucide que dans la soirée.

Une autre…

Mais, dans la même maison, une autre personne allait le lendemain 19 janvier, se livrer à des manifestations encore plus graves. C’était la bonne, Claire Sajio, âgée de 19 ans. Aussitôt après son petit-déjeuner elle s’était employée, sans qu’on sût pourquoi, à briser la vaisselle. Puis elle avait accumulé dans le salon tout un amas de débris de faïence, de haricots, de pommes de terre, de navets et de plumes d’oiseau. Enfin, elle avait saisi par son collier le chien de la maison et si on ne lui eût arraché des mains, elle l’aurait mis à la broche. A toutes les questions, elle n’avait répondu que par des incohérences et s’était comportée comme une telle énergumène qu’il avait fallu l’attacher avec des cordes sur un canapé. N’était-elle pas folle à lier ?

La venue de Basnier

J. Williamson, Femme atteinte de manie hilarante. Credit: Wellcome Library, London. Wellcome Images images@wellcome.ac.uk http://wellcomeimages.org. Creative Commons Attribution only licence CC BY 4.0 http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
J. Williamson, Femme atteinte de manie hilarante.
Credit: Wellcome Library, London. Wellcome Images
CC BY 4.0.
Ne comprenant rien à ces événements étranges, le docteur Tournatoire alla demander conseil à un sien confrère âgé de 77 ans, le docteur Basnier. Cet homme de l’art lui demanda :
« Vos deux malades n’auraient-elles pas absorbé sans s’en douter quelque substance vénéneuse ? Au fait, qu’ont-elles donc mangé depuis le 17, c’est-à-dire depuis samedi ?
— De suspect, je ne vois guère qu’une omelette aux épinards.
— Nous brûlons. Il se peut que cette herbe ait avoisiné, dans votre jardin, quelque plant de ciguë. »
Et, pour en avoir le cœur net, Basnier se rendit chez Tournatoire. Claire Sajio, toujours liée de cordes, penchait la tête en avant. Le vieux médecin la lui releva. Il vit des yeux hagards et les pupilles extraordinairement dilatées. Et tout aussitôt, la bonne fut agitée de mouvements convulsifs. Malgré ses entraves, elle dansait la danse de Saint-Guy. Elle lançait ses mains en avant comme si elle voulait saisir quelque chose sur la redingote du docteur Basnier. Détachée sur l’ordre de celui-ci, elle s’avança en titubant. Elle ne commandait plus à ses jambes et il semblait qu’elle fût devenue aveugle.
Basnier se pencha vers son jeune confrère et lui dit tout bas :
« Je crois de plus en plus à un empoisonnement et, vu l’état des pupilles, j’opinerais pour l’atropine. N’est-ce pas votre avis ? »
Le docteur Tournatoire demeura un instant songeur. Puis il pensa tout haut :
« Je cherche si ma femme et ma bonne n’auraient pas absorbé quelque aliment auquel je n’aurais pas touché moi-même. Mais, au fait, je me rappelle : samedi, à dîner, la première a mangé une grive froide et j’ai appris, d’autre part, que Claire en a mangé une autre ce matin.

Les grives coupables

— Des grives ! Des grives ! Ce serait bien extraordinaires Il faudrait alors que ces oiseaux eussent englouti une substance vénéneuse en assez grande quantité pour que leur chair ait pu provoquer des symptômes d’empoisonnement aussi nets, sans qu’ils en soient morts eux-mêmes. À moins que…
— À moins que ?
— À moins que le toxique leur ait été inoculé après coup. Avec une seringue par exemple. Creusez cette idée, Tournatoire. »
Et Tournatoire réfléchit.
Il venait de se souvenir que le vendredi 16 janvier, vers midi et demi, un employé de l’hôtel Dauphin lui avait apporté un paquet découvert la veille au soir dans l’omnibus, à la gare de Pertuis, au moment où le cocher avait ouvert sa voiture pour y prendre trois petits bagages.
Ce paquet, enveloppé dans un fragment du journal Le Petit Aixois, était clos au moyen d’une ficelle à laquelle pendait une carte de visite portant au verso ces mots au crayon : « Pour remettre à M. Tournatoire, médecin à Pertuis (Vaucluse). » Au recto de la même carte, le nom propre avait été gratté, mais l’adresse imprimée se lisait encore, et c’était : « Pertuis (Vaucluse) ».
Le docteur Tournatoire déplia le journal et aperçut quatre grives. Il crut à un cadeau du buffetier de la gare, dont il était l’ami.
Et le même jour un cultivateur des environs, Joseph-André Escoffier, chez lequel il avait mis en nourrice son plus jeune enfant, lui avait apporté une perdrix, huit petits oiseaux et douze alouettes, ces dernières gagnées quelques instants auparavant à une loterie.
Il l’avait retenu à dîner. On avait mis à la broche les alouettes et deux des grives. Un poisson et des herbes complétaient le menu.
« Chacun la nôtre, avait proposé le médecin à son convive. Aujourd’hui, c’est vendredi et ma femme fait maigre. »
Mais Escoffier, ayant déclaré n’avoir plus faim, les grives étaient demeurées dans le plat.
Or, c’était une de ces grives que, le lendemain soir, Mme Tournatoire avait mangée froide. Et aussitôt après, elle avait manifesté tous les symptômes d’une intoxication : dilatation pupillaire, congestion de la face, troubles de la vue, délire – surtout délire. Et tel avait été également le cas de Claire Sajio après que, le lundi matin, cette jeune bonne eût, à son petit-déjeuner, goûté à la seconde grive froide. Goûté seulement, car l’amertume de la chair ne lui avait pas permis d’aller jusqu’au bout et, circonstance singulière, le chien, auquel elle avait tendu le reste de l’oiseau, s’en était éloigné avec répulsion.

Qui alors ?

Une conclusion s’imposait. Seules, deux personnes de la maison avaient mangé des grives : la maîtresse et la servante. Seules, deux personnes – les mêmes – avaient donné des signes non équivoques d’empoisonnement. Les grives renfermaient donc un toxique. Alors, se rappelant les phénomènes observés, Tournatoire fit sienne l’hypothèse du vieux docteur Basnier : introduction post-mortem dans le corps des oiseaux d’un alcaloïde extrait de la belladone, tel que l’atropine.
Mais alors, qui avait pu ourdir une aussi diabolique machination ? Un nom lui vint aussitôt à l’esprit : le nom d’un de ses confrères.

épisode 1 / épisode 2 / épisode 3

  • Le Journal, 23 mars 1942
  • Le Petit Journal, 30 octobre 1885
  • Le Français, 30 octobre 1885
  • Le Gaulois, 29 octobre 1885

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L’affaire du paquet de grives (Pertuis, 17 janvier 1885) [2/3] https://www.geneprovence.com/laffaire-paquet-de-grives-pertuis-17-janvier-1885-23/ https://www.geneprovence.com/laffaire-paquet-de-grives-pertuis-17-janvier-1885-23/#respond Tue, 07 Jan 2020 12:51:56 +0000 http://www.geneprovence.com/?p=17422 Le docteur Estachy Louis-Philippe Estachy était né à Gap le 1er mai 1845. Pendant la guerre de 1870 il avait rendu, dans une ambulance, des services qui lui avaient mérité…

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Le docteur Estachy

Louis-Philippe Estachy était né à Gap le 1er mai 1845. Pendant la guerre de 1870 il avait rendu, dans une ambulance, des services qui lui avaient mérité la croix de la Légion d’honneur.
Titulaire des di­plô­mes de licencié en droit et de docteur en médecine, il avait opté pour la médecine. Il avait exercé d’abord à Meyrargues, dans les Bouches-du-Rhône, de 1872 à 1879. Puis il avait transporté son cabinet à Pertuis. Il avait laissé dans sa première résidence la réputation d’un praticien habile, mais d’un homme violent, vindicatif, peu scrupuleux et d’une moralité douteuse. Marié en 1872 à une jeune fille de Marseille, il s’était comporté à son égard de telle sorte qu’elle avait dû abandonner le domicile conjugal. Elle avait obtenu sans peine, en 1875, la séparation de corps, puis était morte.
Médecin et son patient au XIXe siècle. H. Daumier. DR.
Médecin et son patient au XIXe siècle. H. Daumier. DR.
À Pertuis, l’opinion publique n’avait guère tardé à porter sur le compte de ce singulier personnage le même jugement qu’à Meyrargues. Singulier personnage en vérité ! Ainsi, le docteur Estachy voyageait en chemin de fer sans payer sa place, ou bien il montait en seconde classe, en première même, avec un billet de troisième. Et quand il se voyait guetté au contrôle, il passait par le buffet dont il connaissait le propriétaire.
Ce fut à la fin de l’année 1881 que le docteur Tournatoire entra en scène. Originaire de La Tour-d’Aigues, grosse commune de Vaucluse, ce jeune médecin vint s’établir à Pertuis et le docteur Estachy en prit ombrage.
Il en conçut même un ressentiment d’autant plus redoutable qu’il sut bien le dissimuler.
Pourtant, à La Tour-d’Aigues où il avait exercé tout d’abord, Tournatoire avait plusieurs fois appelé en consultation Estachy et il lui avait fait part un jour de son intention de se transporter dans une localité plus importante.
« Je ne vois, pour ma part, avait répondu l’autre, aucun inconvénient à ce que vous vous installiez à Pertuis. J’y possède une fort belle clientèle qui s’étend sur les trois quarts de la ville et me demeurera fidèle quoiqu’il arrive. Mais vous pourrez parfaitement mordre sur les autres médecins dont la situation est plutôt mal assise. »
Et au début, Tournatoire et Estachy s’étaient fait bonne mine. Ils se serraient la main dans la rue et échangeaient alors des propos sur le ton d’une parfaite confraternité.
La guerre s’alluma quand une place de suppléant de juge de paix devint vacante à Pertuis. Tournatoire la demanda et l’obtint au mois de mars 1882, l’emportant sur Estachy qui était aussi candidat. Ce dernier alors émit, sur le compte de son confrère, des appréciations méprisantes. Il en vint même à l’attaquer, d’une façon anonyme encore, dans les journaux.
Déjà, Estachy avait cessé tous rapports médicaux avec Tournatoire. Il refusait même de se rencontrer avec lui au chevet des malades.
La politique s’en mêla même, Tournatoire étant devenu en effet délégué cantonal et conseiller d’arrondissement. L’un et l’autre avaient mis du reste la main à la plume et dans les journaux de Vaucluse ils avaient échangé les plus discourtoises attaques. Cette polémique eut son dénouement le 13 novembre 1884, devant le tribunal correctionnel d’Apt, Tournatoire ayant assigné son adversaire en injures et diffamation. Les juges ne retinrent qu’un article et, comme la provocation ne pouvait légalement couvrir que les injures, ils condamnèrent le prévenu pour le second délit. Mais ils ne le firent que très bénignement, se contentant de lui infliger vingt-cinq francs d’amende et vingt-cinq francs de dommages-intérêts.
Nicolas Huet, Grive, 1814.
Nicolas Huet, Grive, 1814.
La campagne de presse cessa, mais où la situation ne fit que s’aggraver, ce fut quand plusieurs familles, dont jusqu’alors Estachy avait eu la confiante, se privèrent de ses soins et firent appeler Tournatoire. Des lettres et des cartes postales injurieuses leur furent aussitôt envoyées, dont il n’était que trop facile de percer l’anonymat.
Vis-à-vis d’un confrère détesté qui, après lui avoir été préféré coup sur coup comme suppléant de juge de paix, délégué cantonal et conseiller d’arrondissement, le supplantait encore auprès de sa meilleure clientèle, Estachy passa-t-il à l’acte ? La suite de l’histoire le dira.

L’enquête

Informé par un télégramme du juge de paix de Pertuis des événements étranges qui s’étaient accomplis sous le toit du docteur Tournatoire, le procureur de la République d’Apt, Sébastien Savelli, requit information le 21 janvier, contre inconnu, du chef d’empoisonnement.
Le premier acte du magistrat instructeur, Henri de Cabissole, fut d’ordonner l’examen des deux victimes. Chargé de cette mission, le docteur de Ferry de La Belonne, exerçant à Apt, constata, chez l’une et chez l’autre, la persistance des troubles visuels.
Après les avoir minutieusement questionnées, ainsi que tous les témoins de leurs extravagances, il put écrire dans son rapport : 1° que les phénomènes présentés par ces deux femmes ne répondaient à aucune maladie naturelle ; 2° que l’ingestion des solanées véreuses, telles que l’atropine, déterminait des phénomènes en tout semblables à ceux observés dans le cas particulier.
De telles conclusions nécessitaient l’examen des deux grives encore intactes, que, de sa propre initiative, le juge de paix avait, envoyées an procureur de la République. Le médecin légiste procéda donc, si l’on peut écrire, à leur autopsie.
Dans un nouveau rapport, il affirma que ces grives renfermaient une substance véreuse, le sulfate neutre d’atropine, dont la dose était de nature à entrainer la mort.
On connaissait le genre d’attentat. On connaissait le poison. Restait à découvrir et à confondre le criminel.
La clameur publique le désignait déjà. C’était Estachy, le seul ennemi déclaré et agissant de son confrère Tournatoire.
Les 27 et 29 janvier, M. de Cabissole ne l’entendit encore qu’en la qualité de témoin, mais ce fut pour en obtenir des réponses si peu satisfaisantes, que, ce même 29 janvier, le parquet d’Apt n’hésita pas à délivrer, contre l’auteur soupçonné, un réquisitoire aux fins d’information et le juge d’instruction à le placer sous mandat de dépôt.
Et voici le faisceau de charges que les premières recherches mirent au jour.
Le samedi 10 janvier, vers neuf heures du soir, Estachy, au Café de l’Univers, s’était fait remettre trois grives pour un lot de gibier qu’il avait gagné quelques jours auparavant. Et la modestie de ce choix n’avait pas été sans surprendre, car, en pareille occurrence, il réclamait généralement un lièvre ou un perdreau. Il avait acheté, en même temps, six grives de montagne, à soixante centimes pièce.
À la même époque, il avait chargé son pharmacien ordinaire, Jean-Louis Turcan, de lui préparer une pommade à base d’atropine pour se frictionner l’épaule, où il ressentait, prétendait-il, une vive douleur.
Pharmacie pertuisienne. DR.
Pharmacie pertuisienne. DR.
L’apothicaire avait composé le produit dans la proportion de vingt-cinq centigrammes de sulfate neutre d’atropine contre vingt-cinq grammes d’atropine. C’était, à son avis, un remède bien énergique pour un simple mal d’épaule, et il n’eût jamais consenti, connaissant les effets d’un toxique aussi violent, à délivrer une telle préparation à tout autre qu’un médecin.
Estachy, d’ailleurs, était un familier de l’atropine. Le registre de Turcan démontrait que, par le moyen d’ordonnances, il s’était fait délivrer, le 30 octobre 1884, vingt centigrammes de sulfate d’atropine et cinquante centigrammes le 4 novembre.
Et l’inculpé ne put faire indiquer à quel usage il avait employé cette substance dangereuse.
D’autre part, les perquisitions, effectuées à son domicile les 30 et 31 janvier 1885, avaient révélé l’existence d’un placard, construit dans l’épaisseur du mur, dissimulé derrière une tapisserie et contenant des toxiques. Mais la pommade indiquée plus haut ne s’y trouvait pas. Estachy fut dans l’impossibilité d’en représenter la moindre parcelle et les magistrats d’Apt ne la découvrirent pas davantage.
Dans le cabinet de consultation, ces mêmes magistrats saisirent, sur un rayon de la bibliothèque, une seringue de Pravaz, en parfait état de fonctionnement.
Une véritable rafle de grives au Café de l’Univers, deux femmes empoisonnées par ce gibier, une pommade saturée d’atropine, une seringue de Pravaz, singulier et sinistre rapprochement !
Seringue de Pravaz. DR.
Seringue de Pravaz. DR.
Quelle était exactement la dose d’atropine contenue dans les deux grives inemployées ?
M. Félix Boyer, professeur de chimie à Nîmes, put l’évaluer à quarante-six milligrammes par oiseau, quantité suffisante pour déterminer la mort et pas seulement une maladie passagère. Il affirma d’autre part que le principe toxique ne provenait pas de l’alimentation de ces bestioles, mais qu’il avait été introduit après coup dans une intention criminelle.
L’inculpé avait à expliquer ce qu’étaient devenues les grives qu’il avait rapportées du Café de l’Univers le 10 janvier. Il prétendit, d’accord sur ce point avec Rosine Lombard, qui lui était dévouée corps et âme, qu’il se les était fait remettre en prévision d’un dîner qu’il devait offrir le lendemain à un très vieux confrère de Villelaure, le docteur Casimir Michel, et a un sieur Jean-Baptiste Picard, mécanicien au dépôt de Pertuis, mais que, ses convives ayant fait défaut, ils avaient, sa servante et lui, mangé chacun une grive ce jour-là et les deux autres le lendemain.
Or, contrairement à ses affirmations persistantes, Estachy n’avait invité, ni Michel, ni Picard.
Tout l’accablait. Une expertise en écritures aboutit à cette conclusion sans réserve que les mots « Pour remettre à M. Tournatoire, médecin à Pertuis (Vaucluse) », écrits sur la carte de visite qui accompagnait le paquet de grives étaient de sa main.

épisode 1 / épisode 2 / épisode 3

  • Le Journal, 23 mars 1942
  • Le Petit Journal, 30 octobre 1885
  • Le Français, 30 octobre 1885
  • Le Gaulois, 29 octobre 1885
[À SUIVRE…]

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Le marchand de blé agressé (Rognes, 22 décembre 1837) https://www.geneprovence.com/marchand-de-ble-agresse-rognes-22-decembre-1837/ https://www.geneprovence.com/marchand-de-ble-agresse-rognes-22-decembre-1837/#respond Wed, 18 Dec 2019 20:33:45 +0000 http://www.geneprovence.com/?p=17380 Le 10 mars 1838 se tenait aux Assises d’Aix un procès qui avait attiré du monde. Au pre­mier rang se trouvait un nom­bre considérable de jeunes pay­sannes au regard à…

L’article Le marchand de blé agressé (Rognes, 22 décembre 1837) est apparu en premier sur GénéProvence.

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Le 10 mars 1838 se tenait aux Assises d’Aix un procès qui avait attiré du monde. Au pre­mier rang se trouvait un nom­bre considérable de jeunes pay­sannes au regard à la fois étonné et curieux et aux joues fraîches et rouges d’émotion. Elles venaient de Rognes (Bouches-du-Rhône) pour assister au procès d’Isidore Mouret, de Rognes lui aussi.
Ce jeune homme, bien bâti et beau garçon, était accusé de tentative d’assassinat sur la personne de G., un marchand de blé de Rognes. Il lui avait, début 1838, cassé le bras à coup de bâton dans l’intention de le tuer.Le 10 mars 1838 se tenait aux Assises d’Aix un procès qui avait attiré du monde. Au premier rang se trouvait un nombre considérable de jeunes paysannes au regard à la fois étonné et curieux et aux joues fraîches et rouges d’émotion. Elles venaient de Rognes (Bouches-du-Rhône) pour assister au procès d’Isidore Mouret, de Rognes lui aussi.

(L’histoire continue après l’image…)

Vue générale de Rognes vers 1910. DR.
Vue générale de Rognes vers 1910. DR.

Le procès d’une « vedette »

Ce jeune homme, bien bâti et beau garçon, était accusé de tentative d’assassinat sur la personne de G., un marchand de blé de Rognes. Il lui avait, début 1838, cassé le bras à coup de bâton dans l’intention de le tuer.
À Rognes, Mouret était très populaire, surtout auprès des jeunes filles du village auprès desquelles il avait beaucoup de succès. Cela explique la présence d’une telle délégation féminine aux premiers rangs du tribunal.
Face à ses juges, Mouret présente une allure des plus assurées qui contraste de façon flagrante avec sa prétendue victime, G. Cet homme ne paie pas de mine. Coiffé d’un sale bonnet de coton, arborant autour du coup une immense écharpe, il a le teint blême et une longue barbe. Ajouté à cette impression gênante le concernant, il parle aussi avec une voix cassée et se déplace de manière chancelante. C’est dire s’il fait pâle victime face à l’homme qu’il accuse.
Cette allure n’est peut-être pas si anodine. C’est que G. est un homme détesté à Rognes. Se vêtir si tristement pourrait être un moyen d’emporter la pitié du jury. Détesté ? Par plus d’un, oui. Il a dans la salle autant d’ennemis qu’il y a de Rognais.
G. est un marchand de blé, a-t-on dit. Cet homme est bien connu dans le village pour prêter de l’argent à ceux qui en ont besoin. Et à trop prêter, on s’attire des animosités et on se fait des ennemis. Et Mouret était de ceux-là…

L’agression

Le 22 décembre 1837, G. revenait du marché de Pertuis (Vaucluse). Pour rentrer à Rognes, il devait nécessairement passer le pont de la Durance, près de Saint-Christophe. Là, il dépassa une charrette de farine qui était conduite par Mouret et son frère. Tous deux allaient à Marseille.
Isidore Mouret fait alors descendre son frère qu’il charge du manteau qu’il avait sur le dos en échange duquel il lui demande de lui prêter son fouet et sa blouse. Puis, il prend lui aussi le chemin de Rognes, alors que sa route normale aurait dû lui faire prendre le chemin de Saint-Estève. Plusieurs témoins, qui ont croisé Mouret, attesteront au procès qu’il l’avait vu aller d’un bon pas après le marchand de blé, donnant l’impression de vouloir le rattraper.
L’un d’eux, nommé Jourdan, vit même en passant que celui-ci tenait à la main une canne au point de lui crier :
« As aqui uno bravo cano (En voilà un bon bâton).”
Ce à quoi Mouret répondit :
« Es per miés mi règgi (C’est pour mieux me soutenir). »
Arrivé à un bon quart de lieue de Rognes (1 kilomètre), G. mit pied à terre, en haut d’une descente qui menait au village, probablement sur le chemin de Versaille. Soudain, il sursauta en entendant dans son dos la voix de Mouret qui venait vers lui en criant :
“Cette fois, tu ne m’échaperras pas.”
À l’instant même, le jeune homme, avec l’aide d’un gros bâton, lui aurait porté dix coups à la tête que G. eut bien du mal à éviter, n’ayant que ses bras pour se protéger. Ses deux bras qui furent tous deux fracturés…
Enfin, Isidore Mouret s’éloigna, voyant sa victime étendue à terre. S’étant à grand peine relevé, G. se traîna jusqu’à Rognes où il arriva à six heures du soir.

Les débats

Au procès, le président interrogea G. :
“Avez-vous positivement connu Isidore ? Est-ce bien lui qui vous a battu ?
— C’est lui, c’est archi lui, s’écria le pauvre G. Il était jour encore et je n’ai pu me tromper.”
Mouret, lui, assurait n’avoir ni battu, ni même rencontré G. ce jour-là. Il affirmait être arrivé au village une heure avant lui.
Pourtant, quelques preuves semblaient accuser Mouret : la gravité des blessures et puis ce bâton, cette « canno » que le témoin Jourdan jure avoir vue dans les mains de l’accusé. Pourtant Jourdan, rappelé à la barre, assura qu’on l’avait mal compris quand il avait dit : « As aqui uno bravo cano. » Le voici qui, désormais, assurait que par canno, il parlait, non d’un bâton, mais d’un simple roseau, en tout cas pas de quoi causer les graves blessures subies par G.
Le palais de justice d'Aix-en-Provence. DR.
Le palais de justice d’Aix-en-Provence. DR.
Un autre témoin vint aussi attester que le bâton dont lui avait parlé Jourdan était du volume d’un parapluie dans son fourreau. Aussi le président, irrité, lui rappela-t-il qu’il avait “levé la main devant Dieu et juré de dire la vérité”. Rien n’y fit. Jourdan répétait obstinément : « ère uno cano dé canier. » (« C’était une canne de cannier. »)
Évidemment, la défense n’espérait pas une aide aussi providentielle. L’accusation, en revanche, ne se laissa pas démonter. M. Lieutaud, substitut du procureur général, accabla Mouret dans sa plaidoirie.
Mouret, lui, était défendu par un célèbre avocat du barreau d’Aix, Me Gustave de Laboulie[ref]Gustave de Laboulie (Aix-en-Provence, 1800-Baden-Baden, 1867) était, outre ses fonctions d’avocat, député des Bouches-du-Rhône de 1834 à 1837, puis de 1848 à 1851. Il était légitimiste. [/ref], qui fit des calculs au sujet des heures d’arrivée de chacun des deux hommes à leur domicile pour en tirer un alibi à son client.
On posa donc au jury deux questions, l’une sur la tentative d’homicide volontaire, l’autre sur la commission de coups et blessures. À ces deux questions, le jury se prononça négativement. Mouret était acquitté !
Celui-ci bondit vers les témoins en exprimant une joie expansive. Il remercia même les témoins à charge. Il s’empressa aussi de serrer la main droite de Jourdan avec effusion.
G., lui, resta un moment stupéfait. Puis, revenant à lui, il prit son bonnet, le mit d’un air stoïque sur sa tête et sortit de la salle. De nombreux témoins assurèrent qu’on le trouva sortant du tribunal dans une meilleure forme physique que celle qu’on lui avait constatée pendant les débats.
Une discussion survint entre les spectateurs du procès :
« J’en conclus qu’il est permis de casser les bras à un usurier », disait un jeune homme.
« Concluez-en seulement, répondit l’autre, qu’il n’est pas permis d’être un usurier. »
  • Source : Le Mémorial d’Aix, 17 mars 1838.

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