« Hodie mihi cras tibi », l’avertissement du curé (Brantes, 1665)

En feuilletant les registres de sépultures de la paroisse de Brantes (Vaucluse) pour la période 1665-1704, le généalogiste ne trouve pas qu’une simple liste de défunts. Il découvre une page d’ouverture frappante, ornée d’une gravure macabre et d’une sentence latine, qui nous plonge immédiatement dans l’atmosphère spirituelle et culturelle de la Provence de l’Ancien Régime. Ce document, rédigé par un curé soucieux du salut de ses ouailles, est un puissant memento mori gravé sur les pages du temps.

Hodie mihi cras tibi : l’écho de l’éternité

La formule latine, calligraphiée avec soin, est limpide : « Hodie mihi cras tibi » se traduit par « Aujourd’hui pour moi, demain pour toi ». Cette maxime, dont l’origine remonte à l’Antiquité mais qui fut popularisée par le christianisme médiéval, est l’un des piliers de la doctrine du memento mori (« Souviens-toi que tu mourras »).
Placée en exergue du registre des morts, elle n’est pas qu’une décoration. Elle sert d’avertissement solennel à quiconque ouvre ce livre, qu’il soit le prêtre officiant, le sacristain, ou l’humble paroissien qui viendrait s’y référer. Le curé de Brantes rappelle ainsi que la mort, déjà passée pour ceux dont les noms sont inscrits, est la seule certitude qui attende encore les vivants. C’est un appel urgent à la piété et à la pénitence, car le temps de la mort est imprévisible.

L’iconographie de la vanité : tête de mort et larmes provençales

Le dessin qui surmonte la sentence renforce son message de manière saisissante. Il représente une tête de mort surmontant deux os croisés (le tibia et le fémur, souvent). C’est l’image classique de la vanité, qui symbolise l’état final du corps et la déchéance des gloires terrestres.
Ce qui attire l’œil, ce sont les gouttes stylisées qui entourent le crâne. Si la tentation est d’y voir du sang, elles sont le plus souvent interprétées dans l’iconographie chrétienne comme des larmes. Ces larmes de deuil traduisent la douleur de la communauté de Brantes face à la perte de ses membres. Plus profondément, elles symbolisent les larmes de pénitence que l’on doit verser de son vivant pour s’assurer du salut de son âme au moment de la mort. Dans une Provence souvent éprouvée par les épidémies et les disettes de cette période, la mort n’était pas un concept abstrait, mais une réalité quotidienne, nécessitant une préparation constante et un repentir sincère.
Ce document n’est donc pas qu’une donnée généalogique ; c’est une véritable leçon de théologie locale, gravée par la main du curé pour enseigner la brièveté de la vie et la nécessité de la vertu. Il nous rappelle que pour nos ancêtres provençaux, la vie se lisait toujours à l’ombre de la mort.

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