« Obiit », que signifie ce terme ?

Le mot obiit est un des termes les plus employés dans les registres de sépultures d’avant la Révolution. Le lecteur peut parfois croiser ce mot dans la marge d’un acte de baptême. Avec davantage de chance, et c’est cela qui en dévoilera le sens, il le trouvera associé à une formule de décès, sans toutefois connaître réellement la réalité de ce mot et son sens profond.
"Die jovis tertia [jeudi 3], obiit Michel Chabot, gipier (plâtrier), fils a feu Arnaud, aage de 40 ans ou environ, habuit 13 cereos [a eu 13 cierges]." Acte de sépulture de Michel Chabot, couvent des Cordeliers, Aix-en-Provence, 3 février 1689.

« Die jovis tertia [jeudi 3], obiit Michel Chabot, gipier (plâtrier), fils a feu Arnaud, aage de 40 ans ou environ, habuit 13 cereos [a eu 13 cierges]. » Acte de sépulture de Michel Chabot, couvent des Cordeliers, Aix-en-Provence, 3 février 1689.

Comme chacun le supposera, obiit est un mot latin. Son emploi remonte à l’Antiquité et, le latin restant la langue ecclésiastique au Moyen Âge, on le trouve dans des textes en latin, mais aussi au milieu de textes totalement écrits en français. C’est dire si le terme était parlant au Moyen Âge et dans les siècles qui suivirent, au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
Obiit est la forme prétérite de la troisième personne du singulier du verbe obire. Obire signifiant, en faisant un grand raccourci de langage – comme le verrons ci-dessous –, « mourir », obiit peut être rendu par « mourut », « est mort ». Notez l’emploi des deux i, qui attestent de la forme au passé. Au présent, on dirait obit, avec un seul i, pour dire « meurt ».

Le sens exact en latin

F. Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Hachette, Paris, 1934, p. 1052.

F. Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Hachette, Paris, 1934, p. 1052.

« Mourir » n’est pas le sens premier du verbe obire. Le Gaffiot, excellent dictionnaire publié en 1934 et qu’ont consulté des générations de latinistes, en donne un sens précis.
Le verbe obire est composé de deux éléments : ob-, une préposition employée comme préfixe, et ire, verbe radical.
Ob- peut se traduire de trois façons : 1. « devant », avec ou sans mouvement ; 2. « pour », « à cause de » (ob eam causam, « pour cette raison ») ; 3. « pour », « en échange de ».
Ire est un verbe au sens simple : « aller », « marcher », « avancer ».
Avec ire, le sens d’ob est toutefois clair. Sur les trois significations de cette préposition présentées ci-dessus, la première est la plus rare, mais c’est pourtant elle qui donne tout son sens au verbe obire. Celui-ci peut se traduire dans un sens premier comme « aller devant ». C’est le sens premier que Félix Gaffiot lui a donné ; donec vis obiit (« jusqu’à ce qu’une force se présente » [subjonctif]).
Mais aller au-devant de quoi ? Vers un endroit éloigné. Le soleil obit (3e personne du présent de l’indicatif), il va « au-devant du bout », à l’horizon, à l’extrémité des choses. Il meurt, pourrait-on dire alors.
Ainsi, le sens que nous retenons de nos jours à obire est clair, dès lors qu’il s’applique aux humains. Un homme qui obit, c’est un homme qui va devant l’horizon de sa vie, qui disparaît derrière la ligne de son âge, qui se couche comme le soleil du soir. Obire, c’est « s’en aller », quitter la scène du monde comme l’acteur d’un théâtre. Vision poétique de la mort qui était celle des auteurs latins de l’Antiquité.

Quand l’enfant ou son parent quittait ce monde…

Le fait d’employer un terme latin pour désigner la mort permettait d’éviter de prononcer ou d’écrire le mot fatal. Poussés par une raison similaire, certains parlent aujourd’hui systématiquement de « décès » pour éviter de parler de « mort ». Mais qu’est-ce que le « décès », sinon lui aussi un « départ » (latin decessus) ? De même, pour ménager un enfant, on lui dit aujourd’hui que son papé « est parti ». Le français moderne emploie finalement les mêmes arguments que le latin. Obiit est donc, de la même façon, une circonlocution.
Ary Scheffer, La Mort de Géricault, 1824, musée du Louvre, Paris.

Ary Scheffer, La Mort de Géricault, 1824, musée du Louvre, Paris.

Désormais donc, lorsque vous rencontrerez cette formule en marge d’un acte de baptême, indiquant que le petit enfant est mort quelques heures après sa naissance, ou dans un acte de sépulture, bien que le sens du mot évoque assurément la mort, on trouvera quelque poésie à vouloir le traduire par : « Il est parti »…
Jean Marie Desbois