Le vendredi 1er avril 1881, vers les 7 heures du soir, un homme se précipitait du haut du quai dans le Rhône, à l’ancienne porte Saint-Jean, et était sauvé, au moment de disparaître sous les eaux, par M. Roux, marin, qui, se trouvant dans les parages avec une chaloupe, avait fait force de rames pour l’atteindre.
Le noyé ramené à terre avait deux blessures sous le menton qui saignaient encore bien que l’eau froide eût en partie arrêté l’hémorragie qu’elles avaient dû causer. Il fut immédiatement déshabillé par les soins de Roux et de l’agent de police Blanc, accouru aux cris poussés par les témoins de ce suicide, et, après avoir été enveloppé dans une toile, porté à bras à l’hôpital, où il arriva presque mourant.
Liaison fatale
Voici les détails qui furent racontés sur ce drame, causé à la suite d’une liaison rompue :
Baptistin Roumanille, boulanger, âgé de 38 ans, né à Saint-Rémy, bien connu à Arles où il aidait à la perception des droits de places aux foires et marchés, marié, disait-on, mais séparé de sa femme, vivait avec la demoiselle Joséphine Tellier, de Maussane-les-Alpilles, qui avait rompu avec lui quatre mois plus tôt environ.
Depuis Baptistin ne cessait de la poursuivre de ses obsessions, la suppliant de revenir à lui, puis, passant de la prière à la menace, il acheta un revolver, disant à sa maîtresse que si elle persistait dans son refus il lui ferait un mauvais parti. Il la poursuivait sans cesse, tandis qu’elle le fuyait et le repoussait de telle façon que dans une rencontre elle le mordit à la main.
Tentatives de meurtre et de suicide
Mlle Tellier, placée dans une maison bourgeoise, rue Neuve, avait une chambre dans l’ancienne maison Vidal, située au haut de la rue Nicolaï, au numéro 2, d’où elle sortit quatre fois dans la journée du 1er avril, accompagnée de sa sœur, Mme Eulalie Teissier, venue de Moulès à Arles pour des achats, et fut, chaque fois, suivie par Baptistin, qui, vers les 16 heures, entra dans la maison de la rue Nicolaï et monta chez la propriétaire, Mlle Lallemont, où se trouvaient les deux sœurs.
S’adressant à Mme Teissier il lui dit qu’il désirait parler à Joséphine. Sur la réponse de celle-ci que sa sœur n’avait rien à entendre de lui, il se retira, puis revint à la maison vers les 18h45, remonta chez la propriétaire, à laquelle il demanda si elle avait soupé.
« Non », répondit cette dernière.
Au même instant, les deux sœurs étant en train de sortir, Baptistin dit :
« Eh bien, sortons tous. »
Mlle Lallemont, prenant une lumière, les éclaira jusqu’au milieu de l’escalier. Au premier tournant, à peine venaient-ils de disparaître à ses yeux, que deux coups de feu se firent entendre.
Voici le récit, par Eulalie Teissier, de la tentative de meurtre et de suicide :
« Baptistin descendait rapidement après nous et nous avait dépassé d’une marche quand il fit volte-face et tira deux coups de revolver sur ma sœur qui s’affaissa aussitôt en s’écriant : « Je suis morte ». À ses cris, et me croyant aussi frappée, je tombai presque évanouie, mais ne me sentant aucun mal, je saisis ma sœur et je la remontai chez la propriétaire où, à peine arrivée, j’entendis deux autres coups de feu.
« M. Pascal, voisin, ayant entendu ces détonations, se mit sur sa porte et demanda ce qu’il arrivait. On lui répondit que des coups de revolver venaient d’être tirés sur une femme. Il se disposait à monter l’escalier pour s’assurer du fait, quand les personnes présentes devant la maison l’en empêchèrent en lui disant : « Le meurtrier est là et armé. » Il alla alors directement prévenir la police. Arrivé au bas de la rue Nicolaï, il vit un individu courant à toute vitesse : c’était Baptistin qui, après s’être tiré deux coups de revolver sous le menton, et n’étant pas blessé mortellement, s’était relevé et courait se noyer en passant par la rue de l’Hôtel-de-Ville, la place Saint-Roch, la rue Saint-Louis et celle de la Trouille.
À leur arrivée M. Pascal et M. le sous-brigadier de police, trouvèrent dans l’escalier les deux balles tirées sur Joséphine qui durent glisser sur ses vêtements, le revolver et le chapeau de Baptistin au milieu d’une mare de sang. »
Joséphine Tellier reçut deux blessures : l’une au milieu de la poitrine, l’autre au-dessous du sein gauche, blessures qui ne s’avérèrent pas sévères. Baptistin, lui, avait deux balles dans la tête.
Voir la suite de l’affaire : Quand l’obsession mène au crime.
- Sources : L’Homme de bronze, 3 avril 1881, p. 3.