Souvenirs d’un instituteur (La Tour-d’Aigues, 1841)

M. Calvière, modeste instituteur de La Tour-d’Aigues, charmant village de Vaucluse, avait mis au point une remarquable horloge dont nous reparlerons ultérieurement et qui fit en son temps la renommée de la commune. Le voici racontant l’origine de son projet :

« Je pouvais avoir de 7 à 8 ans, quand plusieurs de mes camarades de l’école me dirent que pour monter l’horloge de notre village, il faut faire tourner un morceau de bois autour duquel s’entortille une corde tirée par un poids. C’en fut assez ! je crus pouvoir faire une horloge. Je perce un morceau de canne, j’y passe un axe qui porte une aiguille, et sur le milieu de l’axe j’attache le fil qui devait tirer le contre-poids.
Il ne s’agissait plus, d’après moi, que d’attacher une pierre qui eut justement la force de faire dévider un tour en 12 heures.
J’attache donc une pierre ; rien ne remue. J’en mets une plus grosse, je regarde de bien près ; tout est en repos. Je fais une marque et je reviens deux heures après ; rien n’a bougé. Je mets une pierre un peu plus grosse, et la corde se déroule facilement. J’essaie des pierres de toutes dimensions et je ne puis obtenir que le repos absolu ou une rotation rapide qui me déconcerte. Je renonce à ma machine.
Quelques jours après, j’y reviens encore. Cette fois je devais réussir. J’attache un gobelet dans lequel je mets du sable grain à grain, et je ne suis pas plus avancé. Le frottement est vaincu ou il ne l’est pas.
Quelques années après je monte au clocher, je vois l’horloge, j’entrevois le balancier et la porte est fermée. Je fus étonné de tant de roues et je crus que le balancier faisait tout aller. De retour à la maison je cherche vite une roue dentée, je la passe à une cheville, je fais un balancier dont les palettes poussent les dents de la roue une à une ; le balancier n’était pas le mouvement perpétuel, et en s’arrêtant, toute la machine s’arrêtait aussi. Je n’avais donc point encore atteint mon but.
Je monte encore une fois au clocher, je crois découvrir que le poids met tout en branle, que la multiplicité des roues est pour multiplier le mouvement qui à son tour est ralenti par le balancier. Ce fut pour moi l’apparition de l’étoile polaire.
Je calcule des dents, des pignons et des roues, mais un compas, une scie, une hache et mon couteau sont mes seuls instruments et je ne puis rien faire de bien. Il fallait attendre d’avoir un tour et de savoir tourner. Cela ne vint que très tard.
Quand je n’eus plus autant de peur de mon père, je balayai un coin de la remise, et après avoir fait le forgeron auprès du feu, je montai un tour, qui, sans être un tour en l’air, n’était guère solide. Après bien des fatigues je tournai quelques roues, je fis une horloge sans sonnerie. Ce fut merveille, merveille en effet, puisque je n’avais rien copié. Cependant pas autant merveille qu’on pourrait le dire, parce qu’alors j’avais étudié les mathématiques et sans doute les raisons inverses des carrés des longueurs des pendules.
Encouragé par ce succès, je mesure la distance du bord de la cheminée au plancher, j’y trouve le large pour la pendule à seconde et je construis pour cette place une horloge sonnante d’une sonnerie que j’inventai. Je mis à cette horloge le quantième du mois et celui de la lune, la Lettre Dominicale et l’épacte. Et chacun de se récrier : je ne l’aurais pas cru. Il fallait souvent mettre une échelle contre la cheminée pour y faire monter des amateurs qui, gênés dans leurs mouvements, laissaient tomber bien souvent leurs chapeaux.
Je me dis alors : que penserait-on si j’avais déployé à cette horloge tout mon savoir-faire. Gare ! gare ! Je vais en faire une autre qui fera un peu plus de bruit, puisque l’on peut avoir des admirateurs à si bon marché. J’y mis la main un peu avant la Noël 1833 ; j’y travaillai dans les soirées, un peu les jours de pluie et beaucoup le dimanche ; plus j’étais content de mon travail, plus j’étais assidu aux offices ; j’allais quelques fois aux deux messes. Je n’avais presque ni matériaux ni instrument. Je faisais outil de tout fer. À l’arrivée du beau temps une partie de l’horloge allait déjà et avant le commencement de l’hiver cette horloge était en fonctionnement.
C’est cette horloge, Monsieur, qui me fera trouver une place dans le Dictionnaire des Vauclusiens, et qui sait, peut-être à côté de quelque grand homme dont je ne saurai pas seulement délier les souliers ! »

Calvière, instituteur
  • Source :Le Mercure aptésien, 25 avril 1841, p. 2, 3.

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