Marius Samson, négociant de 45 ans, fut assassiné dans sa maison, 10, rue du Parti, à Toulon, le 23 septembre 1869. L’assassin avait pris la poudre d’escampette et il fallut attendre le surlendemain, 25 septembre, pour que la police arrête le coupable. Celui-ci, du nom de Consauve, arriva de Marseille (Bouches-du-Rhône) un samedi matin, par le train express de dix heures. Une voiture l’attendait sur le quai de la gare. Une foule immense s’était amassée. Tout le monde voulait voir l’accusé.
Consauve semblait terriblement pâle et décomposé. Des gens qui l’avaient vu la veille hésitaient à le reconnaître. Pourtant, il est descendu du wagon avec vivacité, entre deux gendarmes. Il regarda la foule, peu impressionné et jeta autour de lui un regard plein d’assurance. Puis, il monta dans une voiture rapidement sous bonne escorte.
Le véhicule se mit en route. Il était escorté par quatre gendarmes à cheval. Le cortège passa par l’avenue de la Banque où les chevaux prirent le galop. Ensuite, ils longèrent le boulevard. Enfin, ils arrivèrent au palais de justice où Consauve subit son premier interrogatoire.
Un médecin légiste l’examina, constatant qu’il avait subi des blessures en perpétrant son crime.
L’arrestation de Consauve
Pendant deux jours, il s’était rendu au café des Mille-Colonnes. Ce café était situé rue Beauveau. Il lisait les journaux de Toulon et semblait y prêter une attention particulière. L’établissement était très long. Cela lui permettait de s’isoler des autres clients. En outre, de nombreux spectateurs du théâtre voisin allaient dans ce café.
Ses allures étranges intriguèrent toutefois la police. Un agent spécial fut chargé de le surveiller. Le soir du crime, le mercredi, Consauve sortit du café et l’agent l’appréhenda. Consauve résista vivement. Puis, il fut conduit au poste de police le plus proche. Les enquêteurs fouillèrent sa malle, où ils trouvèrent une paire de chaussettes complètement ensanglantées.
L’enquête permit de découvrir d’autres faits. Après avoir tué sa victime, Consauve l’avait dépouillée. Il avait volé une somme d’environ mille francs. On sait que M. Samson gardait ses recettes du jour chez lui. La somme figurait sur ses livres de caisse. Cependant, elle n’avait pas été retrouvée. Par conséquent, l’assassin l’avait sûrement volée. Cela lui avait permis de fuir plus facilement.
Depuis l’arrestation, les parents de Consauve s’étaient retirés à la campagne. Ils ne voulaient pas assister aux scènes douloureuses de la justice. Par ailleurs, Consauve était réputé violent et vindicatif. Pour un rien, il se mettait en colère. Il avait même menacé son père à plusieurs reprises. Quelques années plus tôt, il avait été condamné et le tribunal correctionnel de Toulon l’avait fait emprisonner. Il avait blessé et frappé un honorable négociant de la ville. Peu après, ce négociant s’était suicidé par pendaison. La veuve fut entendue par le procureur et donna des explications sur le passé de Consauve.
L’enquête
Il apparut des premiers éléments de l’enquête que Consauve s’était présenté à Marseille, sous un faux nom, à l’hôtel de Vichy, cours Belsunce, où il avait élu domicile dès le lendemain du crime et qu’il prenait ses dispositions pour s’expatrier sur un navire de commerce étranger, au moment où il fut arrêté.
Le samedi 25 septembre, il subit un long interrogatoire à Toulon. On le confronta alors avec le cadavre de M. Samson, qui était resté exposé à l’amphithéâtre du cimetière, dans un état de décomposition avancé. L’effet recherché n’eut pas lieu. L’accusé ne parut ressentir aucune émotion et se borna à dire qu’il ne reconnaissait pas le visage de M. Samson mais qu’il reconnaissait parfaitement les souliers jaunes dont il était chaussé.
Avant d’être conduit on cimetière, Consauve fut transporté sur les lieux du crime, dans la chambre à coucher pour y être soumis à certaines constatations. On nota que cela l’irrita particulièrement, bien qu’il ne se départît pas un instant de son système de défense.
Aussi, lorsqu’on appliqua ses pieds sur les traces de pas du meurtrier dans le sang, on s’aperçut que ceux-ci collaient parfaitement à ceux du coupable. On se rendit même compte que l’empreinte d’une légère difformité d’un doigt du pied droit de l’assassin se retrouvait aussi chez Consauve.
Bien entendu, il rejeta le fait sur le compte de la fatalité et se renferma dans ses dénégations habituelles.
À plusieurs reprises il s’emporta. D’abord, lorsqu’il entendit l’un des parents de M. Samson l’appeler « assassin », il s’emporta avec fougue et faillit perdre tout sang-froid. Il fit même mine un moment de se jeter sur celui qui l’a ainsi appelé et les gendarmes durent le retenir pour l’empêcher de se livrer à des voies de fait.
Il se fâcha également à l’encontre des agents de la force publique sous prétexte que ceux-ci le serraient de trop près et que l’un d’eux lui avait fait mal au bras. Ces incidents ayant produit, sans doute, un effet violent sur son système nerveux, Consauve rentra dans sa prison dans un état d’exaltation indicible.
D’après les constatations des médecins, parmi les blessures dont il portait la trace sur différentes parties du corps, l’une d’elles avait visiblement été produite par une morsure qui avait déchiré une partie de son bras.
Impact de la présence de l’assassin en ville
L’intérêt de curiosité qu’excitait cette affaire dans la ville de Toulon était si grand que, pendant toute la journée du samedi 25, la foule ne cessa de stationner aux différents points où l’on supposait que l’accusé serait conduit.
L’encombrement était même si grand, aux abords du palais de justice et près de la Porte-Neuve où le crime avait été commis, que le fiacre dans lequel l’accusé était monté avait peine à se frayer un passage à travers le flot des curieux.
Le lundi suivant, 27 septembre 1869, Consauve subit un nouvel interrogatoire au cours duquel il persista à nier toute participation au crime dont on l’accusait.
Pour autant, Consauve ne semblait pas réaliser ce qu’il encourait. Une semaine plus tard, on le voyait dans sa cellule, mangeant de fort bon appétit. Tous les jours il sortait et se promenait dans la cour de la prison en compagnie d’enfants arrêtés pour vagabondage et auxquels il adressait de temps à autre un cours de morale.
Le procès
Le mercredi 20 octobre, Consauve fut extrait de sa cellule toulonnaise et conduit à Draguignan pour comparaître devant la cour d’assises dont la session s’ouvrait le 26.
Avant son départ, il demanda à voir son père et eut avec lui un assez long entretien dans lequel il lui demanda de la patience, en ajoutant que son innocence ne manquerait pas d’être reconnue par le jury.
- Source : Le Progrès du Var, 1er octobre 1869, p. 2 ; 3 octobre 1869, p. 2, 3.