Jusqu’au XIXe siècle, il existait en Provence un proverbe qui se disait ainsi : L’y sies pas encare à la coumtat (« il n’est pas encore au Comtat »). Pour comprendre le sens de ce proverbe, il convient de se reporter à l’époque où le Comtat venaissin appartenait aux papes. Cette possession dura cinq cents ans et ne se termina qu’avec le décret de la Constituante du 14 septembre 1791. Jusqu’alors, le département de Vaucluse formait un État absolument étranger à la France et était administré arbitrairement par un cardinal vice-légat du Saint-Siège.
Les brigands et les malfaiteurs des provinces voisines, pour échapper au châtiment que méritaient leurs crimes, se hâtaient de gagner l’Etat du pape, c’est-à-dire en terre étrangère. Mais, si souvent ils y parvenaient, ce n’était pas sans peine, car les autorités provinciales faisaient bonne garde à la frontière et plus d’un criminel fut interpelé alors qu’il ne lui restait qu’un pas à faire pour être assuré de son salut.
Aussi le proverbe L’y sies pas encare à la coumtat voulait exprimer la pensée selon laquelle il ne faut pas se vanter d’un succès sans l’avoir complètement acquis.
Lorsqu’ils arrivaient dans le Comtat, les malfaiteurs trouvaient le pardon pour leurs crimes, pardon que dispensaient, moyennant finance évidemment, les prélats de la petite cour d’Avignon. Une fois l’absolution obtenue, les criminels pouvaient sans crainte rentrer dans leurs provinces car ils étaient sous la protection des évêques.
Ainsi, en 1687, une bande de voleurs assassins était devenue spécialiste en pillage des églises de Marseille. On leur donna la chasse mais ils battirent en retraite vers le Comtat. Ils furent arrêtés à la frontière, ramenés à Marseille et pendus haut et court. Seul le chef de la bande, surnommé L’Estaca, parvint à atteindre Avignon. Il y fut reçu avec les égards dus à ses richesses.
Sa première visite fut pour le vice-légat auquel il fit cadeau de plusieurs reliques enchâssées d’or qu’il avait volées à la cathédrale de Marseille. Il distribua généreusement aux autres prélats des burettes d’or, des patènes de vermeil, des étoffes richement brodées, tous provenant des vols qu’il avait commis dans les sacristies marseillaises.
Le cardinal ne fut pas en reste de générosité et signa en bonne et due forme l’absolution de tous les crimes, fautes et péchés de L’Estaca, passés et à venir. Nanti de cette précieuse protection, L’Estaca s’en revint tranquillement vivre de ses rentes à Marseille, sans être inquiété.
On lit même dans un livre de cette époque que, de temps à autre, il envoyait au miséricordieux légat des joyaux et bijoux de sainteté qu’il se procurait on ne sait comment.
- D’après Le Petit Marseillais, 23 mars 1868.