Aujourd’hui, si vous visitez Apt, charmante ville de Vaucluse située sur le versant nord du Luberon, vous vous promènerez probablement dans ses ruelles animées sans imaginer son passé. Pourtant, l’histoire de cette cité est riche et nous révèle une anecdote linguistique surprenante.
Autrefois, selon les historiens, Apt n’était pas située là où nous la connaissons. La ville primitive se dressait sur la montagne d’Olivet, là où fut ensuite construite l’église Saint-Michel. Puis, les habitants descendirent progressivement s’installer au pied de cette montagne, le long des deux rives du Calavon. À cet endroit se trouvait jadis une cité romaine.
Barat : le cœur économique d’Apt
Or, à l’époque où les Aptésiens vivaient sur les hauteurs, ils possédaient un quartier important, un faubourg très peuplé. Son nom ? Barat. En gaulois, ce mot signifiait « marché » (*barato). C’est là que, chaque semaine, les villageois des environs se rassemblaient pour commercer, pour faire du « trafic » comme on disait alors.
Ce lieu d’échange, une sorte de forum, se trouvait sur la rive droite du Calavon, du côté de la montagne d’Olivet. Au XIIIe siècle, en 1258, il y avait même plus de maisons à Barat que sur la rive gauche, où se situe aujourd’hui le centre d’Apt. L’importance de ce marché donna naissance à un dicton populaire, un proverbe bien ancré :
« Apt, petite ville, grand barat. »
Un écho au XVIe siècle
Un habitant d’Apt du XVIe siècle a même immortalisé ce proverbe dans des vers, que l’historien Remerville a conservés dans son Histoire d’Apt, un manuscrit précieux exposé au musée Inguimbert de Carpentras. Ces quelques lignes témoignent de la notoriété de ce « grand barat » :
La ville d’Apt, de renom fort antique,
Petite fut comme elle est d’à présent,
Et toutefois toujours belle, authentique,
Très convenable à son latin luisant.
Elle eut un bourg riche, grand et plaisant,
Barat nommé, plus ample que la ville,
Qui a causé qu’en des parts plus de mille
Ayant propos de cette ville d’Apt,
Un tel proverbe on dit, sans qu’il soit vile,
La ville d’Apt petite et grand barat.
Mise en musique du poème « Apt, petite ville, grand barat »
L’évolution du mot « barat »
Toutefois, le sens du mot « barat » a évolué avec le temps. À l’époque où ce faubourg était florissant, en 1364, le terme était courant. Mais au XIXe siècle, il était perçu comme insultant.
En effet, « barat » vient du gaulois *barato, qui signifie « troquer », « échanger », mais aussi « tromper ». Cette double signification rappelle Mercure, le dieu du commerce et des voleurs dans la mythologie romaine.
Dans le vocabulaire maritime actuel, « barat » désigne une malversation, une tromperie sur la qualité des marchandises, une fraude ou un larcin. Le terme « baraterie » est même utilisé pour parler d’une indication de fausse route dans le but de tromper les assurances maritimes.
Ainsi, l’histoire de ce proverbe aptésien nous offre une plongée fascinante dans le passé de la ville et l’évolution surprenante d’un mot. La prospérité d’un marché a laissé une empreinte durable dans la mémoire collective, même si le terme qui le désignait a pris une connotation bien différente aujourd’hui.
- Sources : Le Mercure aptésien, 31 janvier 1841, p. 1.
- Photographie : Apt (Vaucluse), la Place du Postel, dite « Place aux Œufs ». DR.