
Dans le monde des escrocs, où l’ingéniosité se mêle souvent à l’audace, un certain nommé Portel possédait une spécialité nouvelle, singulière par le choix de ses victimes. Loin de s’attaquer aux grandes maisons de commerce, Portel visait les petits commerçants dont les patentes ne dépassaient pas le chiffre modeste d’une cinquantaine de francs.
Le piège du faux encaisseur
Le mode opératoire de Portel, révélé par les témoins devant le tribunal, ce 15 juin 1868, était d’une simplicité désarmante et reposait sur la confiance des gens simples.
Le premier témoin, un aubergiste de 35 ans, décrivit sa mésaventure. Le prévenu était venu chez lui, se présentant comme le commis encaisseur de la Compagnie d’assurance la Prudence. Il s’était fait remettre la police d’assurance et avait dit à l’aubergiste : « Vous devez treize francs seize sous ». Le commerçant lui avait dit qu’il ne pouvait pas payer à cette heure. Portel ajouta alors que l’assurance de l’aubergiste avait diminué, puis, selon la victime, l’escroc lui avait finalement extorqué quatorze francs.
La ruse de l’interlope des contributions
Un second témoin, une femme, vint ensuite déposer contre Portel. Il s’était présenté chez elle, faisant d’abord semblant d’écrire. Puis, il était sorti de la maison et avait demandé à la fille de la dame la feuille de patente, se disant employé aux contributions.
L’escroc lui avait déclaré : « Vous devez cinquante-trois francs, mais comme les patentes ont diminué, vous allez me donner quinze francs cinquante centimes. » Il prit ensuite une plume et, ayant empoché l’argent, fit un reçu.
Un vieillard se présenta pour témoigner, interrogé par le président Mougins de Roquefort. Le vieillard, avec vivacité, affirma être « sûr de dire la vérité ». Il montra le prévenu, qui baissait la tête, disant que cet individu était venu chez lui, disant qu’une femme habillée de noir s’intéressait à lui, voulant faire diminuer sa patente. Le vieillard n’écouta pas, s’apprêtant à « aller à [s]es affaires ». Portel profita de cette absence pour lui faire donner neuf francs, moins quatre sous, sous prétexte que la patente était réduite de dix francs. Le témoin ajouta que, par la manière dont il parlait, il aurait été impossible de ne pas reconnaître un homme de bureau.
Le prévenu avoua alors qu’il avait été employé dans une agence d’assurances comme commis interlope, mais contesta le reste des accusations.
Une femme vint déposer, déclarant qu’elle avait eu « beaucoup de peines » avec lui. Il lui avait dit : « Vous avez beaucoup de peines, je vois que vous êtes de braves gens ! Eh bien ! moyennant quinze francs, je vous sortirai d’affaires ». Elle ajouta qu’elle voudrait bien adresser un geste menaçant au prévenu, mais ne le pouvait, à cause de « la sphéricité de sa taille », se contentant de le menacer des yeux.
Un deuxième témoin féminin, commerçante, déclara que Portel s’était introduit dans son magasin, se faisant passer pour un agent du Ministre des Finances, voulant venir en aide aux malheureux commerçants, et qu’il avait considérablement réduit les impôts des patentes. Le témoin ajouta : « Il en a fait bien d’autres. »
La conclusion fut donnée par le président : « C’est évident ! Quinze mois de prison sont la digne récompense de ce commis interlope des contributions directes ».
- Source : Le Petit Marseillais, 18 juin 1868, p. 3.