Les métiers de Marseille disparus au XXe siècle

Qui a connu Marseille il y a quarante ans ou plus a pu observer des hommes et des femmes dans l’exercice d’une activité aujourd’hui disparue. Plusieurs Marseillais témoignent de ce qu’ils ont vu autrefois.

benne17

Si vous aviez grandi à Aubagne, vous auriez pu admirer un joli magasin au centre-ville : un marchand de graines. Sur sa boutique, un grand panneau : les graines Damour, du patronyme du grainetier. Joli, non ?

Françoise Suzanne

Nous avons connu les grainetiers (j’en avais un aussi dans mon quartier), les « marchands de couleurs (les ancêtres des hypermarchés de bricolage) », où l’on achetait par exemple les clous au poids, pesés et transportés dans un simple sachet de papier – troué dans les deux secondes suivant le départ du plateau de la balance – ce qui entraînait inévitablement la perte de quelques pièces durant le trajet de retour, etc.
Le dernier rémouleur de ma commune n’a disparu qu’il y a deux ou trois ans. À la fin, il passait seulement en décembre, avec des calendriers qu’il échangeait contre quelques pièces : les petits jeunes du coin ne sachant même pas qu’on peut aiguiser un couteau, il avait perdu toute sa fidèle clientèle, partie pas bien loin pourtant : le cimetière n’est qu’à deux cents mètres.

Laurence Doré

benne40Moi, j’ai connu aussi le marchand de glaces ambulant, sur son triporteur : on l’appelait « Papa Polo » et il annonçait son arrivée avec une grosse poire en caoutchouc et cuivre. Et aussi la marchande de limaçons, que j’entendais achalander, en provençal, dans la rue avec sa charrette à bras lorsque je traînais encore mes guêtres au primaire…

Didier Verlaque

Mais il y avait aussi le marchand de peaux de lapins qui criait : « Peaux-d’lapin-peaux !! » dans les rues, pour signaler son passage. Il ramassait aussi les vieux fers blancs et quelques autres oripeaux peu ragoûtants, se faisant offrir un ch’tiot calva à chaque arrêt. Nombreux, les arrêts !
Le soir, ben, c’était le cheval qui tirait la charrette tout seul pour rentrer au bercail, le marchand de peaux de lapin vautré à l’arrière dans ses trouvailles, hurlant à pleins poumons des refrains que la décence m’empêche de vous résumer ici (et c’est bien dommage, car ils étaient fort imagés et profitaient d’un vocabulaire disparu également).
Il a succombé dans les années 1970, emportant avec lui tout un paquet de ritournelles.

Laurence Doré

Et tu oublies le marchand de brousse avec son cor, qui criait : « Brousses du Rôve », ainsi que le vitrier, qui criait un : « Oh ! vitrier ! », tout déformé, ou bien encore le rémouleur avec sa meule à rouettes. Et sans doutes d’autres encore, que j’oublie ici.

Jean-Raoul Jourdan

C’est parti pour évoquer les limaçons nageant dans un bouillon aromatisé de fenouil et d’écorce d’orange dans une grosse marmite tenue en bandoulière-papier par une grosse vieille dame qui les sortait à la demande et à l’aide d’une écumoire pour le vendre dans des cornets en papier et qui faisait sa publicité à la voix : « À l’aïgue sau les limaçons ! »
Mais finalement, aussi folklorique, les pots de yaourt en verre consigné dont il fallait que je fasse le nettoyage pour avoir le droit d’en avoir des pleins…
On garde la cade pour une autre fois, c’était à Samatan peu après la Libération…

Numa Vial

Le vitrier et le rémouleur, je m’en souviens très bien, mais c’est surtout celui qui criait : « La pogne, la pogne ! » qui m’intéressait. Je ne sais le jour où j’en ai goûté mais l’acheter était quelque chose de presque extraordinaire !!!
Je parle du Var… Et la pogne est de Romans je crois…

Michèle Trémolière

Et le chiffonnier qui criait : « Esssstrassaille, chiiiiiffonnier ! »

Claudette Brutinel

charretierchargeur

Eh bien, moi, peut-être certains d’entre vous se rappelleront-ils. Rien à voir avec les lentilles, mais je me souviens qu’à coté de la gare de l’est à Marseille, il y avait le réparateur de poupon en celluloïd. On y allait souvent avec ma maman, car je n’étais pas très soigneuse et mon poupon en celluloïd avait souvent la tête fendue. Il avait plein de grosses cicatrices faites par ce monsieur ! J’étais fascinée par sa boutique, il avait un échoppe sur le trottoir. Au-dessus du comptoir étaient accrochés des bras, des têtes, des jambes… de poupons bien sûr !

Marie Valbonetti

Et le prestidigitateur, qui était près du kiosque à musique des allées de Meilhan, qui se faisait appeler le professeur Maurice, qui s’en souvient ? Il était tout petit, faisait sortir des œufs de partout, et d’autres tours, de cartes en particulier. C’était sur mon parcours pour revenir du Lycée et je badais souvent devant ses tours, mais je partais vite quand il commençait sa quête !

Jean-Raoul Jourdan

Oui, je me souviens de ces marchands ambulants. J’habitais une rue descendant sur les allées Léon-Gambetta (de Meilhan, non ?)et aux premières loges pour la foire aux terraillettes, à l’ail et aux santons ! J’étais aussi impressionnée par le « pauvre Étienne » qui tapait dans ses mains en disant : « Tié-tié » (comprendre : « La charité !») et les halles Delacroix avec les super poissonnières (tadine en particulier…) et l’herboristerie chez Blaise à Noailles, avec les vendeurs de citrons à l’angle des rues : « Les ouit , cent francs », la remontée au cours Julien pour le marché, et arrivée à la Plaine pour un vrai jus de raisin avant un tour sur l’âne. L’était pas belle, la vie ?

Marie-Anne

arriveecourrier1909

Et la fanfare de Don Bosco qui faisait le tour du quartier Dragon-Breteuil-Fortuné tous les dimanches ? Et le bassin du parc Chanot où on allait faire flotter nos bateaux ? Je crois que j’ai été le premier à y exhiber une vedette à moteur électrique, cadeau de mon « parisien » de parrain. À la surprise générale, il n’y avait plus besoin de remonter la mécanique à chaque traversée… Ça paraissait presque miraculeux.
Et le violoniste auquel on lançait la pièce par la fenêtre, après l’avoir soigneusement enveloppée pour éviter le rebond qui la lui aurait fait perdre.
Et le marchand de « glace à rafraîchir » chez lequel on prenait un quart ou un demi-pain dont il m’est arrivé qu’il échappe de mes mains gelées. La pente de la rue Breteuil étant ce qu’elle est, je n’ai jamais pu le rattraper !
Et le laitier qui venait vendre la production de sa ferme dans sa petite échoppe ; il venait de loin : ses vaches étaient du côté de la Penne !
C’était au temps où on apportait les gratins chez le boulanger pour les cuire à la chaleur résiduelle de son four.

Jean-Paul Clairefond

J’ ai connu tout ça moi aussi car j’habitais Saint-Just, qui était alors un village (on avait quand même le 41 et le 53 qui nous amenaient « en ville »). Ma rue était en fait une impasse pour les véhicules à moteur puisqu’elle était fermée par le Jarret qui coulait au bout et qu’on franchissait par une passerelle.
Dans ma rue, donc, le boulevard Verd, il y avait un laitier et surtout l’étable et les vaches… Du fournisseur au consommateur!

tramwaychateaugombert1950

En plus, de tous les autres marchands ambulants que vous avez évoqués, je me souviens du cri de l’estrassaïre qui venait récupérer les vieux chiffons…
Il y avait aussi dans ma rue un matelassier qui refaisait les matelas en laine.
Il s’installait sur le trottoir en été, plaçait des planches sur des tréteaux et mettait la laine lavée à sécher au soleil. Puis il la cardait avec une machine. Une espèce de peigne sur un axe qu’il faisait faire aller et venir dans un mouvement de balancier qui me fascinait. Ensuite, la toile neuve remplie de la laine propre et gonflée qui faisait un énorme baluchon. Je me demandais toujours comment il allait arriver à lui redonner sa forme habituelle. Eh bien, croyez-le ou pas, avec de la patience et de l’huile de coude… il y arrivait ! Maintenant, on jette et on rachète… Qui se collerait au boulot ?

Michèle Testa

  • Photographies : collection privée Claudette Cagnoli.

6 commentaires sur « Les métiers de Marseille disparus au XXe siècle »

  1. De bien beaux souvenir , auxquels on peut rajouter, à l’automne, sur la Canebière les marchands de marrons chauds, dans le cornet en papier , que l’on gardait bien au fond de notre poche, sans oublier les cornets de jujube.

  2. Eh bien, Jean-Marie, mon Jean-Marie de mari, né à Marseille, aux Chartreux a beaucoup apprécié cet article que je viens de lui faire lire. Il se rappelle très bien de la marchande de colimaçons, du marchand de glace, et il se rappelle que sa mère aller faire cuire les frites, chez le restaurateur en face la maison. Beaucoup de souvenirs … Mais c’était le Marseille d’il y a plus de 50 ans. Il y avait encore Poupoule au zoo… Aujourd’hui, il ne retourne à Marseille que s’il y est obligé…. Il préfère se promener dans Lure avec ses chiens.. Merci pour ces témoignages ….. Joëlle de la Malle aux Trésors

  3. Moi j’habitais à la Blancarde, il y avait le marchand de vin qui vendait également les gros pains de glace que ma grand-mère m’envoyait chercher avec un diable. Je le revois en train de scier l’énorme morceau et m’en donner un bout! Ma grand-mère n’avait pas encore de « frigo », juste la glacière! Tè voilà que je suis toute nostalgique maintenant!

  4. bonjour,
    que c’est bon de lire tout ça, ma mère était nostalgique de Marseille et Provence, elle m’a laisssé le « virus ». Mais… nous étions des isérois ! toutefois je me rappelle bien de « peaux de lapin pooo » de « vitrier ééé » puis le rémouleur (pensée à Fernandel…)Nous avons fait nos choux gras des films tournés en provence Raimu, Fernandel et autres et cet accent… bou diou!!! reconnaisance à vous Liliane Dezandre

Laisser un commentaire