[Provençal] Chambroun 214 / Chambre 214

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I’AVIÉ UN BRAVE TÈMS, au mèns 3 mes, que noun aviéu vist Vitouriana.
Dins la semano, me souno : ié fai mestié que vèngue pèr ana querre d’afaire à soun apartamen. La sachènt souleto, sènso famiho, emé soulamen quàuqui bònis amigo que fuguèron en soun tèms lis aprendiso d’aquesto vièio damo courduriero, me sènte óublijado de dire de o à sa demando. Me sènte óublijado… Me legissès bèn. Sèns-cor, indiferènci de la jouinesso, de li qu’an de famiho, d’ami e que soun pancaro pertouca pèr lou vieiounge…
Me sènte óublijado… E dounc lou jour di, la vau querre à l’oustau de retirado mounte rèsto aro. Laberinte : me perde dins l’oustalas nòu pèr trouba soun chambroun. Enfin, davans la porto, toque, intre. E aqui… treboulèri. Retrobe uno tras que vièio damo, ajassado sèns couissin sus soun lié. Maigro. Palo coume un pedas… davans iéu, vese la caro de la mort.
M’aculis lou plour is iue : « Aaaaah ! Martino. Desempièi lou tèms que vous aviéu pu vist. Oooooh que siéu countènto ! Qu’acò me fai gau ! »
© Ana Boulian, 2015.
© Ana Boulian, 2015.
M’assete au bord dóu lié e elo, se bouto à parla. A la debuto, dève faire un esfort pèr la coumprendre mai pau à cha pau lou verbe se fai mai coumprenable, mai clar. Li coulour revenon à soun visage. Me parlo de soun enfanço, de Miramas, di gènt que couneissié e que soun plus : « Mai pèr dequé dise tout acò ? Pèr dequé pènse à tout acò ? », me fai. Li man se raprochon e passèn l’ouro que seguis man dins la man…
E me conto. Me conto quouro anavo à l’escolo. D’abord à l’escolo Jano dArque qu’èro deja l’escolo catoulico de Miramas. Si gènt, d’emigra espagnen avien fugi la cativié e èron tras que pious. Soun paire fuguè meme servènt de messo. Es ansin que li dos sorre frequentavon aquelo escolo à la debuto dóu siècle passa. Malurousamen, en aquéu tèms d’aqui, lis enfant di catau s’assetavon sus li burèu de davans et au founs de la classo prenien plaço li paure marrit, la pauriho. D’ùni noun lou coumprenien car, siegue, èron trop paure pèr se n’en douta, siegue, parlavon pas proun bèn lou francés… mai me fai Vitouriana. Un jour, de parènt pourtèron rancuro e l’escolo barrè pèr un tèms.
La vièio damo perseguis : e pamens, es aqui que rescountrère dono Roux qu’èro mestresso d’escolo. Me rapèle que coume toujour, rendié li caier emé la courreicioun de la ditado e distribuissié d’image à li qu’avien uno bono noto. E me vese encaro, aquéu jour d’aqui, que plourère à me desparpela e meme li senglout m’estranglavon. Bretounejave : « Ai encaro fa un paquet de fauto madamo !… » Ère descounsoulado. Alor, sèns aussa la voues, me faguè veni à soun burèu, tirè lou tiradou, en sourtiguè uno bouito que durbiguè : LA bouito à bon poun e à-n-image. Prenguè uno image em’uno fiheto subre, en me disènt : « Doune d’image à li que fan pas de fauto mai tambèn à li que fan tout ço que podon pèr bèn travaia. Tè Vitouriana. »
Passère la niue à ploura ma ditado toujour sangloutanto. Ma maire me venié vèire dins moun lié la nuechado touto. Mai aquelo image, l’ai gardado e meme l’ai encadrado. Quàuquis annado après, m’istalave coume courduriero e… dono Roux èro de ma pratico. Un jour, me plagneguère procho d’elo :
« Oh… mai es toujour de manco de noun sabé escriéure proun bèn.
– Rendès-vous comte, me repliquè, que vous, gagnas vosto vido dóumaci vósti man e vosto inteligènço.
– Vous rappelas de la ditado qu’aviéu ploura ?…
– Ah ! moun Diéu ! Aquéli lagremo ! Aquéli lagremo !
– Mai, vous n’en souvenès encaro ?!
– E vo ! de fiheto que n’en voulien tant, acò s’óublido pas. »
Alor, aquéu jour d’aqui, ploureguère enca’n cop.
« Ma pichoto Vitouriana fai dous cop que vous fau ploura », me faguè alors dono Roux.
Victoriana me counfiso alor qu’avié fa lou proujèt de parti em’aquelo image dins l’atahut. Mai, desempièi que me couneis, ié venguè l’idèio de me la pourgi pèr qu’aquesto image e soun istòri countinuon à vièure. Me l’ausavo pas demanda, noun sachènt coume iéu respondrai à soun vot. Ié fau alor qu’acò me fara mai gau que tout l’or dóu mounde. Vitouriana found en plour, bord que se maridè jamai, a ges d’enfant, plus ges de famiho, aussi es uno part d’elo-memo que subre-viéura em’aquelo image.
Siéu en trin de prendre quàuqui noto. Se lèvo sus lou bord de soun lié e dins un alen me fai : « Soun de noto pèr escriéure l’istóri de l’image ?… »
L’endeman la tourne mai vèire. Arribe dins lou chambroun : es assetado bèn drecho, touto fresco, risoulènto, bèn poumpounejado dins soun fautuei. Lèsto à sourti…

Martino Bautista

*

IL Y AVAIT, au moins 3 mois que je n’avais pas vu Victoriana.
Dans la semaine, elle me téléphone : elle a besoin de moi pour aller prendre des affaires à son appartement. La sachant seule, sans famille, entourée seulement de quelques bonnes amies qui furent en leur temps les apprenties de cette vieille dame couturière, je me sens obligée de répondre à sa demande. Je me sens obligée… Vous me lisez bien. Égoïsme de la jeunesse, de ceux qui sont entourés et ne sont pas encore concernés par la vieillesse…
Je me sens obligée… Et le jour dit, je vais donc la chercher à la maison de retraite où elle réside maintenant. Labyrinthe : je me perds dans le bâtiment neuf pour trouver sa chambre. Enfin, devant la porte, je toque, j’entre. Et là… le choc. Je retrouve une très vieille dame, allongée sans coussin sur son lit. Maigre. Pâle comme un linge… devant moi, je vois le visage de la mort.
Elle m’accueille avec une larme au fond de l’œil : « Ah ! Martine. Depuis que je ne vous avais plus vu. Oooooh que je suis contente. Que cela me fait plaisir ! »
© Ana Boulian, 2015.
© Ana Boulian, 2015.
Alors, je m’assoie au bord du lit et elle se met à parler. D’abord je dois faire un effort pour la comprendre mais petit à petit le verbe se fait plus intelligible, plus net. Les couleurs regagnent son visage. Elle me parle de son enfance, de Miramas, des gens qu’elle a connues et qui ne sont plus : « Mais pourquoi je dis tout ça ? Pourquoi je pense à tout ça ? », me fait-elle. Les mains se rapprochent et nous passons l’heure qui suit main dans la main…
Et elle me raconte. Elle me raconte quand elle allait à l’école. D’abord à l’école Jeanne d’Arc qui était déjà l’école catholique de Miramas. Ces parents, des émigrés espagnols avaient fuis la misère et étaient très pieux. Son père fut même servant de messe. C’est ainsi que les deux sœurs fréquentèrent cette école au début du siècle passé. Malheureusement, en ce temps-là, les enfants des notables s’asseyaient sur les bureaux de devant et au font prenaient place les malheureux, les miséreux. Certains ne le comprenaient pas car, soit, ils étaient trop pauvres pour s’en douter, soit, ils ne parlaient pas assez bien le français… mais me dit Victoriana, un jour, des parents ont porté plainte et l’école ferma pour un temps.
La vieille dame continue : et pourtant, c’est là que j’ai rencontré madame Roux qui était institutrice. Comme toujours elle rendait les cahiers avec la correction de la dictée et elle distribuait des images à ceux qui avaient eu une bonne note. Et je me vois encore, ce jour-là, en pleurs et même en sanglots, ânonnant : « J’ai encore fait un paquet de fautes madame !… » J’étais désespérée. Alors, sans élever la voix, elle me fit venir à son bureau, tira le tiroir, en sortit une boîte qu’elle ouvrit : LA boite à bons points et à images. Elle en sortit une image avec une petite fille dessus en me disant : « Je donne des images à ceux qui ne font pas de faute mais aussi à ceux qui font tout ce qu’ils peuvent pour bien travailler. Tiens Victoriana. »
J’ai passé la nuit à pleurer ma dictée. Ma mère venait me voir dans mon lit car je sanglotais. Mais cette image, je l’ai gardée et même je l’ai encadrée. Quelques années après, je me suis installée comme couturière et… madame Roux est devenue ma cliente. Je me plaignais auprès d’elle :
« Oh… mais ça fait toujours faute de ne pas savoir écrire assez bien.
— Vous vous rendez compte que vous gagner votre vie avec vos mains et votre intelligence, me répliqua-t-elle.
— Vous rappelez-vous de la dictée où j’ai pleuré ?…
— Ah ! mon Dieu ! Ces larmes ! Ces larmes !
— Mais, vous vous en souvenez encore ?!
— Oh oui ! des petites filles qui en voulaient autant, cela ne s’oublie pas. »
Alors, ce jour-là, j’ai pleuré encore une fois
« Ma petite Victoriana ça fait deux fois que je vous fais pleurer », me fit madame Roux.
Victoriana me confie alors qu’elle avait fait le projet de partir avec cette image dans le cercueil. Mais, depuis qu’elle me connaît, l’idée lui est venue de me la donner pour que cette image et son histoire continuent à vivre. Elle n’osait pas me le demander, ne sachant comment je répondrais à son vœu. Je lui réponds alors que cela me ferait plus plaisir que tout l’or du monde. Alors, elle fond en larmes car n’ayant jamais été mariée, n’ayant pas d’enfant et plus aucun parent, c’est une part d’elle-même qui survivra avec cette image. Je suis en train de prendre quelques notes. Victoriana se lève sur le bord de son lit et dans un souffle me fait : « C’est des notes pour écrire l’histoire de l’image ?… »
Le lendemain, je retourne la voir. J’arrive dans la chambrette : elle est assise bien droite, toute fraîche, souriante, bien maquillée dans son fauteuil, prête à sortir…

Martine Bautista

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