Le dimanche 17 novembre 1839, Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans, passa par Aix. Cet événement, attendu de longue date, fut malheureusement marqué par une série d’incidents, allant d’une tragédie routière à un accueil officiel discutable. Cet épisode nous offre un aperçu unique des réalités de l’époque.
Une arrivée endeuillée : l’accident tragique
Le duc d’Orléans, figure royale triomphante sur les lignes de postes depuis plusieurs mois, traversait la ville ce dimanche-là, entre 14 heures et 15 heures. Son arrivée fut toutefois retardée de quarante-cinq minutes. En effet, un accident dramatique venait de se produire. Un des postillons, qui montait le cheval du prince, chuta brutalement. Les roues de la voiture écrasèrent la tête du malheureux postillon.
Le prince, sans hésiter, descendit de son véhicule. Il aida personnellement à transporter le blessé vers une maison voisine, près de l’auberge de la Mounine. Malheureusement, l’homme expira quelques minutes plus tard. Des secours furent dépêchés aussitôt, un médecin de Bouc fut appelé. Cependant, il ne trouva qu’un cadavre à son arrivée. La victime, Jean-Pierre Jeantet, avait 30 ans1. Il laissait derrière lui une jeune veuve et deux jeunes enfants. Le duc d’Orléans, touché par la situation, remit une aide provisoire de 300 francs à la veuve. Ce geste visait à lui apporter un soutien en attendant la pension à laquelle cet événement tragique lui donnait droit.
Un arc de triomphe en papier mâché et des préparatifs controversés

En approchant de la Rotonde, à Aix, un spectacle pour le moins surprenant attendait le prince. Un arc de triomphe, construit pour l’occasion, y trônait. Cependant, son style était jugé peu correct. Il semblait même ployer sous un gigantesque entablement depuis la veille. Il comportait un long et étroit arceau, flanqué de deux portes dérobées. Le tout était surmonté de gradins.
Au sommet, un trophée aux couleurs douteuses était déployé. Sa conception raide et disgracieuse, ainsi que ses teintes équivoques, le faisaient étrangement ressembler à une enseigne de bureau de tabac. Peu importe la somme votée par le conseil municipal, il semblait évident que d’autres choix de couleurs auraient pu être faits pour représenter dignement le drapeau national, au lieu de cet orange, ce bleu délavé et ce gris salissant.
Un accueil officiel sous haute tension
Les autorités administratives et municipales patientaient depuis midi pour accueillir l’héritier du trône. Le maire de la ville, lui, avait d’ailleurs déjà présenté ses hommages à Marseille. Pour l’occasion, la compagnie d’artillerie avait pris position. Son lieutenant à cheval et ses canons, tirés par des postillons en tenue négligée (ce qui évoque la célèbre bataille d’Iéna où Napoléon fit transporter son artillerie en poste), se tenaient à gauche de la grille de fer. Cette manœuvre, habilement orchestrée, soulignait les talents stratégiques de leur chef.
Dès que les éclaireurs, prudemment postés, signalèrent l’arrivée des voitures, les artilleurs se hâtèrent. Ils tirèrent leurs vingt et un coups de canon, s’assurant de terminer avant le départ du prince. La compagnie de pompiers et une brigade de gendarmerie s’étaient rangées le long de la chaussée de Marseille. Le commandant de place, représentant à lui seul la garnison, était également présent. Sa présence était jugée non seulement appropriée, mais aussi essentielle pour maintenir l’ordre et la dignité de la cérémonie royale.
Chaos et courtoisie royales
Pourtant, seuls deux sergents de ville et deux agents de police avaient été laissés pour contenir la foule autour de l’arc de triomphe et du cortège. Par conséquent, l’arrivée du prince fut marquée par un désordre complet. Le sous-préfet et le maire d’Aix eurent le plus grand mal à atteindre le duc d’Orléans. En descendant de voiture, l’héritier du trône fut contraint de jouer des coudes. Il dut se frayer un chemin pour passer sous ce monument de fortune. Une heure auparavant, un peintre avait appliqué des marbrures de style sur le monument déjà peu soigné.
Un autre honneur attendait le prince. Il fut présenté à l’officier qui commandait les artilleurs. Ce dernier l’accueillit avec une bienveillance certaine, voire une simplicité, qui toucha profondément le duc d’Orléans.
Une figure royale marquée par la tragédie
Le prince, malgré son rang, affichait une expression sérieuse et triste. Le terrible événement survenu sous ses yeux expliquait amplement cette disposition. Il serra la main de M. Aude, le maire, lui rappelant sa promesse faite à Marseille : « Vous m’aviez promis à Marseille de ne pas faire d’apprêts et de me recevoir sans cérémonie. » Le premier magistrat aurait répondu : « Monseigneur, nous n’avons pas pu faire autrement. »
Aucune acclamation ne se fit entendre. On remarqua à regret que les badauds autour du prince ne se découvraient pas. Cet oubli des plus simples marques de respect fut jugé inqualifiable. Par conséquent, la réception fut brève. Plusieurs discours préparés restèrent manuscrits dans la poche des orateurs.
Le duc d’Orléans regagna sa voiture avec difficulté. Quinze minutes après son arrivée, il repartait. Il laissa à M. le maire l’assurance de sa satisfaction et une somme d’argent destinée aux pauvres de la ville. Le temps, superbe toute la journée, avait attiré une grande partie de la population hors de la ville mais beaucoup étaient restés prisonniers de leurs maisons à cause des pluies récentes.
Une préparation officielle jugée négligente
Évidemment, l’imprévoyance des autorités municipales restait difficile à comprendre. Elles seules avaient dirigé les préparatifs de l’événement. Leur négligence exposa la personne du prince à des démonstrations excessives d’empressement. Un général de sa suite les qualifia d’ailleurs de manière assez brutale.
Note
Il était fils de feu Jean Jeantet, lui aussi postillon, et de Catherine Huc. De plus, Jean-Pierre Jeantet, au moment de son accident, était marié à Anne-Marie Roques. On ignore la localisation de ses origines. Son acte de décès figure à la date du 17 novembre 1839, à 13 heures, dans le registre des décès de l’état civil de Bouc-Bel-Air.
- Sources : Le Mémorial d’Aix, 23 novembre 1839, p. 2.
- Registre d’état civil de Bouc-Bel-Air, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 202 E 393, acte no 17.