« Le 14 novembre 1589, un mardi, Grasse fut assiégée par l’armée catholique sous le commandement de M. de Vins. Les affrontements durèrent toute la journée. Du côté de la ville, les consuls et plusieurs notables comme M. de Vence, M. de Prunières et le capitaine Audibert dirigeaient la défense.
« Le quatorziesme jour du mois de novembre, mardi, en l’année 1589, Grasse feust blocquée par l’armée catholique où estoit général de ladicte armée monsieur de Vins. Tout le jour se passa en escaramouchant. Dans la ville commandoient les consuls et monsieur de Vence, monsieur de Prunières, monsieur de Thaneron, monsieur de Graulières, monsieur de Callian, le capitaine Audibert et aultres.
Le jeudi 16, l’artillerie ennemie commença à bombarder la ville.
Le jeudi suivant, seize dudict mois, l’artillerie commença à bastre lentement et en divers lieux.
Le lundi suivant, l’assaut s’intensifia. Au milieu de la matinée, M. de Vins fut mortellement blessé par une balle tirée depuis la tour de Saint-Dominique. Transporté à la bastide de Chifon, il décéda peu après d’une crise. Sa mort causa une grande agitation dans le camp ennemi. M. de Liny arriva rapidement de Nice pour le remplacer.
Après de violents échanges de tirs et la destruction de plusieurs fortifications, l’armée catholique tenta un assaut le 23 novembre mais fut repoussée. Un accord de capitulation fut finalement négocié. La garnison de Grasse put quitter la ville avec ses armes et ses bagages, en échange d’une somme d’argent. À son arrivée, nous avons fêté cet événement par une double salve d’artillerie. Les combats ont continué jusqu’au jeudi 23 du même mois. Après avoir ouvert une brèche dans les fortifications, détruit la tour de Portaiguières, l’hôpital, la tour de Saint-Dominique et une partie de l’horloge, et après avoir subi 1144 coups de canon, l’armée catholique s’est préparée à l’assaut vers 15 heures. Elle a été vigoureusement repoussée, subissant de lourdes pertes. Plus tard dans la journée et toute la nuit, un accord a été négocié entre les défenseurs de la ville et M. de Liny. Il a été convenu que toute la garnison de la ville, ainsi que ceux qui le souhaitaient parmi les habitants, pourraient en sortir avec leurs armes et leurs biens. Aucun désordre ne devait être commis dans la ville. En échange, la ville devait verser une somme d’argent à l’armée, tant à la cavalerie qu’à l’infanterie. Ce qui fut fait.
Le lundi suivant, la ville feust fort rudement bastue, et ledict jour, de matin, à demie-heure de soleil, ledict monsieur de Vins, chef et général de la susdicte armée, feust blessé d’une arquebuisade de dedans la ville, de la tour et clocher de Saint-Dominique, lequel feust porté à la bastide de Chifon où son train logeoit, et où il est mort deux heures après sa blessure, sans avoir jamais peu parler, estant tombé on convulsion et apoplectique, de quoy tout le camp feust fort ébranlé. Despuis monsieur de Liny vint aussitost de Nice pour commander, tenant lieu et place du deffunct ; de laquelle veneue fusmes festoyés au double de canonade, et tant procédé que le jeudi vingt et troisiesme dudict mois, après la bresche faicte, la tour de Portaiguières fodroyée, l’hospital, la tour de Saint-Dominique et partie de la tour de l’horoloige ruinée, et après avoir endeuré onze cens quarante-quatre volées de canon, l’armée catholique se prépara pour venir à l’assault, environ trois heures après-midi, où feureut vivement repoulsés avec perte des leurs et plusieurs blessés. Puis venant sur le tard et toute la nuict, accord feust traicté avec les susnommés de la ville et ledict sieur de Liny que toute la gendarmerie de la ville sortiroit et ceulx de la ville qui vouldroient, avec armes et tout bagaige ; et que dans la ville ne se fairoit aulcun désordre; et moyennant ce la ville payeroit demi-montre pour toute l’armée, tant à la cavalerie qu’à l’infanterie, ce qui feuts faict à ultra.
!["Ledict monsieur de Vins [...] feust blessé d’une arquebuisade de dedans la ville..."](https://www.geneprovence.com/wp-content/uploads/2007/01/sieur-de-vins-mort.jpg?x50303)
Le vendredi matin 24, toute la population sortit de la ville par la Nouvelle Porte et fut conduite à la Roquière, en plein milieu des troupes ennemies. Malgré les promesses faites, de graves troubles éclatèrent. Leurs biens, leurs vêtements et leurs chevaux furent pillés, et dix-sept personnes furent blessées, parmi lesquelles se trouvait notre premier consul, monsieur Antoine Taulane.
Le vendredi de matin vingt et quatriesme, tous sortirent de ceste ville par le Portal Neuf et les firent passer à la Roquière, au mitan de toute l’armée de déhors, où se fist de grands désordres contre la foy promise. Tout leur bagaiges, hardes et chevals feurent volés et dix-sept meurtris, entre lesquels estoit nostre premier consul monsieur Antoine Taulane.
Ce jour-là, vers huit ou neuf heures du matin, l’armée ennemie pénétra dans la ville et y séjourna pendant quarante jours. Les soldats se livrèrent à des exactions et des pillages, semant la désolation. Heureusement, aucune vie ne fut perdue parmi les habitants. Pour ma part, j’avais pour hôtes le porte-cornette de la cavalerie du colonel Ferrandon-Nova, son fils, ainsi qu’un détachement de six gendarmes et dix arquebusiers, accompagnés de six chevaux et d’un mulet de somme.
Ledict jour environ les huict à neuf heures du matin, l’armée de dehors entra et ont séjorné dans la ville quarante jours, y ayant vescu à discrétion et faict plusieurs désordres et larecins, sans toutefois y avoir murtri personne de la ville. J’avois pour hoste le porte-cornette de la cavalerie du Coronel Ferrandon-Nova, avec son fils, avec attirail de six gendarmes et dix gallefetriers, six chevals et un mulet de portes-coffres.
Je remercie Dieu d’avoir préservé nos vies, notre honneur et l’intégrité de notre maison et de toute la ville. L’ennemi, avec toute sa troupe, m’a coûté, selon Dieu et ma conscience, deux cent soixante écus d’or en quarante jours. À son départ, il a volé notre bétail et d’autres biens ; mais je loue Dieu pour nos vies.
Je remercie Dieu qui a saulvé nos vies, l’honneur et sac entier de nostre maison et de toute la ville. M’a faict de despense le susdict avec tout son train en quarante jours, selon Dieu et conscience, deux cens soixante escus d’or, et à son despart me desroba nostre bestail et aultres choses; mais je loue Dieu de nos vies.
A. Rocomaure
- Source : Récit oculaire d’un témoin du siège de Grasse, bibl. Méjanes.