Les masques de l’ancienne Provence

sorciereQuel habitant de Provence n’a jamais entendu parler des masques, lei masquos, comme on les appelait en provençal. Plus personne n’y croit encore et pourtant la croyance en leur existence était tenace autrefois et même jusqu’au XXe siècle.
On croyait d’un côté à l’Évangile et de l’autre aux masquos, et personne n’y trouvait rien à redire.
Attention ! Il ne fallait pas dire du mal d’elles. Elles étaient fort puissantes et pouvaient se venger des humains, donner des maladies et même la mort.
Mais qu’est-ce qu’une masquo ?

Qu’ès acó la masquo ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la masquo n’est pas obligatoirement une femme. Ce peut être un homme. Les masquos se différencient toutefois des humains en ce qu’elles ont le pouvoir de jeter des sorts.
Attention ! Il ne fallait pas dire du mal d’elles. Elles étaient fort puissantes et pouvaient se venger des humains, donner des maladies et même la mort.
Si vous êtes emmasqué, c’en est fait de vous ! Les fièvres vous arrivent, avec les maladies malignes et les insomnies et que sais-je encore ! Et ne croyez pas que vous résoudrez votre problème en allant trouver l’officier de santé ou le médecin. Leur art est inopérant face à celui qui vous a emmasqué.

Que faire alors ?

Sachez d’abord que dans le monde des masquos, il y a deux types de gens : les emmasquaïrés et les démasquaïrés. Vous êtes emmasqué ? Allez voir le démasquaïré. Il conjure les mauvais sorts. Alors vous courez chez lui :
« Monsieur ou madame, voici dans quel cas je me trouve. J’ai un fils, âgé de deux mois, qui ne veut plus téter, ou qui a des fièvres, ou qui pleure tout le jour, etc. »
Ou alors, vous lui dites :
« Ma jument refuse de manger, ma femme a des insomnies la nuit à la même heure, ma sœur a attrapé un rhumatisme dont les médecins ne peuvent la débarrasser, mon frère est menacé de devenir fou, moi-même je n’ai pas le cerveau très solide, etc., etc. »
Alors forcément, le démasquaïré prend un air grave et se gratte la tête. Mais parfois, il vous dira :
« Vous poudi pas démasqua. Aquéou qué vous a emmasqua a maï dé poudé qué iou. Sérò un’ aoutré, vous démasquariou… D’aquéou, pouadi pas… A troou dé poudé. (Je ne peux pas vous démasquer. Celui qui vous a emmasqué a plus de pouvoir que moi. Ce serait un autre, je vous démasquerais… De lui, je peux pas… Il a trop de pouvoir.) »
Par contre, s’il pense être à la hauteur, il vous dira :
« Faites exactement ce que je vous dis. Allez à la boucherie, achetez un léou (du mou). Prenez ce mou, mettez-le dans une marmite, avec des aiguilles et à minuit faites bouillir le tout. Les piqûres des aiguilles dans le mou sont autant de piqûres dans le cœur de l’emmasquaïré. Tant d’aguillos, tant dé pougniduros. »
Vous imaginez ces coups d’aiguilles dans le cœur d’un emmasquaïré ? Il faut être solide pour être un emmasquaïré.
L’autre continue :
« Quand il y aura quelque temps que ce mélange sera en train de bouillir, on frappera à votre porte… N’ouvrez pas. C’est l’emmasquaïré qui viendra vous supplier de cesser votre douloureux châtiment : “Mi fés plus souffri…” Mais vous, avivez votre feu, redoublez de soin, faites bouillir plus que jamais… Point de pitié… »
Jusqu’à ce que l’emmasquaïré consente à vous débarrasser du sort qu’il vous a jeté, ce qu’il fera neuf fois sur dix. Vous pensez bien ! Avec des coups d’aiguilles dans le cœur ! Pas le choix !

Et donc le soir…

Vous faites chez vous l’opération recommandée. Et à minuit et demi, on tape à la porte. Pan ! Pan ! C’est l’emmasquaïré… Vous l’imaginez à votre porte, cette vieille qui branle sa tête ridée et son menton pointu ? Imaginez si vous lui ouvriez la porte !… Malheureux, ne lui ouvrez pas la porte, jamais… Et continuez à faire bouillir…
Des fois, vous entendrez le démasquaïré vous envoyez à minuit dans le champ pour cueillir des herbes. Comme vous savez bien le faire maintenant, vous les ferez bouillir avec les aiguilles. En plus, il vous donne des signes cabalistiques à tracer sur le sol à moins que, ne pouvant vous aider, il ne vous envoie à un autre démasquaïré. Quelle histoire !

Comment ne pas être emmasqué ?

Désolé, je n’en sais rien. Remarquez, si ça peut vous consoler, tout le monde est exposé aux masquos, même le président de la République.
La seule bonne idée est donc de trouver un bon démasquaïré. Pas d’autres solutions.
Il y en a forcément dans votre village, des emmasquaïrés aussi, remarquez, des redoutables, des qu’on connaît, des qu’on craint…
L’autre jour, il y a un garçon qui se moquait des emmasquaïrés. Il en a rencontré un et lui a dit en rigolant :
« Emmasqua-mi én paou ! (Emmasquez-moi un peu) »
Pauvre enfant imprudent, je ne voudrais pas être à sa place. S’il savait à quoi il s’expose. Dites-lui bien :
« Du mou et des épingles… Fais bouillir… Et surtout… surtout, n’ouvre pas… »
  • Le texte de la masquo est inspiré d’un article publié dans le journal Le Courrier du Var en 1882.

couv-crime-de-la-robine2-thumbConnaissez-vous l’histoire de François Buès, de la Robine-sur-Galabre (Haute-Provence) ?
Il vécut quelques années avant la Révolution. On disait qu’il était sorcier et qu’il avait la faculté de « nouer des aiguillettes », c’est-à-dire de rendre les hommes stériles. Son histoire, réelle et basée sur les témoignages recueillies dans les Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence par Pierre Bianco, ont permis l’écriture du livre Le Crime de la Robine, publié chez GénéProvence en 2016.
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