Victor de Riquetti (1715-1789), marquis de Mirabeau, l’Ami des Hommes

Victor de Riquetti, marquis de Mirabeau (1715-1789).
Victor de Riquetti, marquis de Mirabeau (1715-1789).
Victor de Riquetti, marquis de Mirabeau, naquit à Pertuis le 5 octobre 1715 et passa toute son enfance au pied du Luberon où son colonel de père en retraite, le redoutable Col d’Argent, menait ses domaines et sa famille à la façon de ses régiments. Son meilleur ami de jeunesse fut Jean-Luc de Clapiers, comte de Vauvenargues, le futur moraliste et philosophe. Entré dans l’armée, Victor se lia d’amitié avec Montesquieu à Bordeaux. Celui-ci écrivit à son propos : « Que de génie dans cette tête-là et quel dommage que l’on ne puisse que tirer de la fange. »

Le tyran libéral

Le marquis fut le premier de sa famille à délaisser la carrière militaire pour se diriger vers celle des lettres. Voulant «faire d’une famille de Provence, une famille de France », donc paraître à la Cour, il décida d’acheter un Hôtel particulier à Paris et un château au Bignon, dans le Gâtinais. En 1743, son mariage avec Marie-Geneviève de Vassan1, originaire du Limousin, lui permit de tester sur les terres de son épouse ses théories agronomiques.
Ses expériences furent financées en faisant des coupes claires dans les bois de Mirabeau et de Beaumont-de-Pertuis. Partisan d’un libéralisme total, Victor de Riquetti publia en 1750 Des Assemblées provinciales, dont les idées seront reprises par Necker, et en 1756 « L’Ami des Hommes », qui lui vaudra son surnom.
Remarqué par le chirurgien François Quesnay, familier de Madame de Pompadour, le marquis rejoignit le groupe des Physiocrates que celui-ci animait. Leur devise était : « Laisser faire, laisser passer. » Il y rencontra Dupont de Nemours, son voisin de l’Orléanais, ainsi que Turgot, d’Alembert, Diderot, Helvétius et Buffon2. Des discussions dans ce cénacle naquit l’idée d’un nouvel ouvrage, la « Théorie de l’impôt ». Osant dans celui-ci nier la royauté de droit divin, il reçut une lettre de cachet le 14 décembre 1760.
Ce qui n’empêcha pas que le Dauphin, Louis de France, qualifia « l’Ami des hommes » de « bréviaire des honnêtes gens » et le cita sans cesse jusqu’à sa mort en 1765. Même le futur empereur, Léopold II d’Autriche, le margrave de Bade, ainsi que les rois Stanislas II de Pologne et Gustave III de Suède furent ses lecteurs assidus et leur politique fut en partie influencée par les idées du marquis. Il fut d’ailleurs fait grand croix de l’Ordre de Vasa par Gustave III.
Plaque rappelant le baptême de Victor, marquis de Mirabeau, en l’église paroissiale de Pertuis. © V. Pagnier.
Plaque rappelant le baptême de Victor, marquis de Mirabeau, en l’église paroissiale de Pertuis. © V. Pagnier.
Selon ses biographes, ce fut la période où il devint l’un des hommes les plus célèbres d’Europe mais cette invasion des idées démocratiques dans un esprit féodal3 allait provoquer des dégâts. Le libéralisme économique et politique du marquis de Mirabeau ne l’empêchèrent pas, en effet, d’être le pire des tyrans pour sa famille. Il demanda plus de quarante lettres de cachets contre ses filles et son épouse. Ses contemporains affirment que si cette dernière était fort riche, elle n’était point belle. Cela n’avait pas été un frein pour le marquis qui s’était marié sans la rencontrer précédemment et continuait à avoir de nombreuses maîtresses. Seul échappa à la vindicte paternelle son cadet, André-Boniface, dit Mirabeau-Tonneau, tandis que son fils aîné, Mirabeau-Tonnerre, aura droit à lui seul à 25 demandes d’internement4.
Ce qui fit dire au ministre Maurepas :
« Il faudrait un secrétaire d’État exprès pour eux. Le père me prend pour son homme d’affaires. N’est-il pas honteux de ne pas voir de fin aux scandales de cette famille ? Le roi ne veux plus en entendre parler. »

Un ami des hommes haineux

La vindicte du marquis se cristallisa contre son fils aîné. Tout commença quand l’Ami des Hommes qui « tolérait l’arbitraire » décida d’interdire, en 1771, aux Mirabelliens les vacants communaux où le droit de pâture leur avait été accordé par les Barras depuis 1557. Gabriel-Honoré fut chargé de faire entériner la décision paternelle et descendit en Provence. Le procès ayant été perdu en appel, le marquis en rendit responsable son fils et avec une constance incroyable poursuivit le jeune homme de sa haine.
Il osa écrire à son sujet :
« L’exaltation de son esprit, la violence de ses sensations et de ses instincts, la fougue de tout son être qui l’emportaient sans cesse au-delà des mesures de son âge et qui lui inspiraient une confiance invincible en sa supériorité, enfin le don de la parole et l’ivresse de son propre bruit, le rendaient menteur comme il est laid avec recherche et prédilection. »
Peu après son mariage, l’Ami des Hommes fit mettre son aîné en résidence surveillée à Mirabeau puis à Manosque, pour finir il le fit ensuite interner au château d’If, au fort de Joux et au donjon de Vincennes. Le père ne le fit élargir qu’après le décès de son petit-fils Victor pour que le futur Tribun de la Révolution puisse continuer la lignée des Mirabeau5.

Le père dépassé par la gloire de son fils

En dépit de quelques réconciliations quand le marquis avait besoin des talents de son aîné dans les conflits et procès l’opposant à sa mère, leurs rapports furent toujours tendus. Le père craignait-il que la gloire de son fils éclipsât la sienne ? La postérité a depuis tranché… Au fil des ans, le marquis fut pourtant obligé de reconnaître ses dons exceptionnels. Il écrivit à son frère le Bailli :
« C’est un Matamore, une intelligence, une capacité qui saisissent, ébahissent, épouvantent. »
Et quand le jeune comte de Mirabeau, en 1789, revint en Provence pour être élu aux États Généraux, le marquis confia au même :
« De longtemps, ils n’auront pas vu une telle tête en Provence… J’ai vérifié par moi-même et dans quelques conversations et communications, j’ai vraiment aperçu du génie. »
Dès que le « Flambeau de Provence » intervint aux États Généraux, son père subjugué dut avouer :
« Je le tiens pour l’homme le plus rare de son siècle et, peut-être, pour l’un des plus rares que la nature ait produit. »
Et quand Mirabeau-Tonneau, lui aussi élu, vint lui soumettre un projet de discours, la marquis lui jeta comme une gifle à travers la figure :
« Quand on a un frère comme le vôtre aux États Généraux et qu’on est vous, on laisse parler son frère et l’on garde le silence. »
Ce qui ne l’empêcha point de tester en faveur du cadet et de déshériter son aîné. Il mourut à Argenteuil le 13 juillet 1789. Et son biographe, René de la Croix, duc de Castries, conclut :
« Mauvais père, époux infidèle, administrateur détestable, l’Ami des Hommes venait de rendre une âme dont il doutait à un Dieu auquel il ne croyait pas. »
© Michel Reyne

Notes

1 Marie-Geneviève de Vassan descendait par sa mère des Rouziers et des Ferrières-Sauvebœuf, seigneurs de la Mothe de Chéronnac. De cette union naquirent cinq enfants : Marie, Élisabeth, Gabriel-Honoré, Louise et André-Boniface. Un garçon mort en bas âge avait précédé la venue de Gabriel-Honoré.
2 Il est à souligner que l’un des secrétaires du grand naturaliste fut Jean-Joseph d’Aude, natif d’Apt. Le créateur de Madame Angot et du célèbre Cadet Roussel, fut aussi l’auteur de nombre de vaudevilles entre la période révolutionnaire et l’Empire.
3 Cette constatation fut faite par Tocqueville.
4 Ce dernier se réfugia dans la boisson et commenta son ivrognerie en affirmant : « C’est le seul vice que ma famille m’ait laissé. » Rapidement conscient de n’être que l’ombre de son frère Mirabeau-Tonnerre, le malheureux Mirabeau-Tonneau constata : « Dans une autre famille, je passerai pour un mauvais sujet et un homme d’esprit, dans la mienne je suis un sot et un honnête homme. »
5 Le marquis de Mirabeau écrivit alors à son frère le Bailli : « Je reçois la nouvelle de la mort de notre enfant, le dernier espoir de notre nom. » Le duc de Castries, biographe des Mirabeau, qui cite cette lettre, commente : « Féodal impénitent, il ne connaissait comme véritable souci que de perpétuer sa race. »

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