Le séisme de Manosque du 14 août 1708

L’histoire de notre chère Provence est une mosaïque de gloires et de tragédies, de périodes d’abondance et d’épreuves. Parmi ces moments inscrits dans la mémoire des pierres, le tremblement de terre du 14 août 1708 occupe une place singulière. Ce n’est pas seulement un fait géologique ; c’est un chapitre où les Manosquins furent confrontés à la puissance brute de la nature, laissant derrière elle non des victimes, mais des récits de résilience.

Un dimanche d’août brisé

Nous sommes en plein cœur de l’été provençal, ce dimanche de l’Assomption. La ville de Manosque, nichée au pied du Mont d’Or, s’apprête à vivre une journée sous le soleil d’août lorsque, soudain, la terre se met à trembler avec une violence inouïe. La date est clairement identifiée et confirmée par les archives consulaires et les travaux scientifiques modernes : le 14 août 1708.
Les sismologues d’aujourd’hui, en analysant les dégâts consignés dans les archives et les rapports (comme ceux des études de Quenet, Baumont, Scotti & Levret en 2004), estiment l’intensité épicentrale de ce séisme à VIII sur l’échelle MSK (similaire à l’EMS-98). L’IRSN, dans sa fiche sismotectonique, cite également cet événement majeur dans la vallée de la Moyenne-Durance. Une telle intensité est cohérente avec des destructions importantes, mais, fait notable rapporté par la Mairie, aucun décès lié au séisme ne fut signalé à Manosque.

L’urgence et la peur

Pour les habitants, l’instant fut d’une terreur absolue. Le bruit sourd des pierres qui s’écroulent et la poussière envahissant les ruelles ont transformé la ville en un lieu de panique. Les archives, citées par la Mairie de Manosque, nous offrent un tableau frappant de la désorganisation et de la peur : dès le 22 août, la ville était pratiquement « complètement désertée » par ses habitants.
Les récits d’époque, conservés par la mémoire locale, décrivent une fuite précipitée où la seule préoccupation était de se mettre à l’abri, loin des murs menaçants. On raconte, avec un détail teinté d’humanité et d’une certaine indiscrétion, la vision « des femmes […] surprises dans un déshabillé plus que négligé […] paraître en public à demi nues… ». Ce détail, s’il peut paraître anecdotique, illustre à quel point la secousse fut subite et violente, ne laissant pas aux Manosquins même le temps de se vêtir correctement avant de s’enfuir.
Dans ce chaos, l’Hôtel-Dieu, qui accueillait les malades, fut l’un des foyers de panique. Les religieuses qui en avaient la charge durent évacuer leurs pensionnaires, y compris les plus fragiles, « de crainte de n’estre abimés à toute heure sous les ruines ». C’est dans ce contexte dramatique que la légende locale a conservé l’anecdote de l’homme paralysé qui aurait, sous l’effet de la peur, miraculeusement recouvré l’usage de ses jambes et fui avec la foule. Que cette histoire soit le fruit d’une exagération ou d’une vérité miraculeuse, elle témoigne de la puissance émotionnelle de l’événement et de la quête de sens face à l’imprévisible.

Les cicatrices sur le patrimoine de pierre

Le séisme ne s’est pas contenté d’ébranler les hommes ; il a marqué la ville dans sa chair de pierre avec une ampleur considérable. Selon la municipalité, « plus d’une centaine de maisons » auraient été entièrement détruites, et toutes les autres endommagées. Ces chiffres confirment l’intensité de niveau VIII relevée par les études scientifiques.
Parmi les édifices publics, le château des Hospitaliers, sur la place du Terreau, fut fortement fragilisé. Les documents rapportent qu’il n’y avait « ni tours ni murailles ni voûte qui ne soit endommagée ». Les églises et l’Hôtel-Dieu furent également touchés, nécessitant des décennies de travaux et de reconstructions, influençant durablement le visage de Manosque au XVIIIe siècle. Les pierres issues des ruines furent souvent réutilisées, un acte de pragmatisme et de continuité propre à la Provence.

La réaction collective : de la peur à la reconnaissance

Malgré le choc et les dégâts, la communauté manifesta une réaction collective et spirituelle immédiate. Après l’évacuation des lieux et le constat d’absence de victimes, le besoin de remercier le ciel pour cette survie inespérée se fit sentir.
Seulement sept jours après le séisme, le 21 août, les consuls, le clergé et les habitants de Manosque s’unirent pour organiser une procession solennelle à la chapelle de Notre-Dame à Toutes-Aures. Cet acte n’était pas seulement une expression de piété, mais un moment de cohésion sociale cruciale, transformant la peur individuelle en gratitude collective. Il traduisait la volonté de la communauté de reprendre pied, de restaurer l’ordre social et spirituel malgré les menaces des répliques.
Ce séisme de 1708 est un rappel poignant de l’importance de la mémoire archivistique. En étudiant les rapports de dégâts, les lettres et les délibérations, nous ne faisons pas que quantifier l’intensité sismique ; nous écoutons les voix de nos ancêtres, surprises dans l’urgence, mais trouvant la force, au bout de quelques jours, de marcher ensemble vers l’avenir. Leurs récits de fuite et leur vœu de procession nous rappellent que l’histoire de la Provence est une histoire vivante, faite de pierres et, surtout, d’humanité résiliente.

Sources exhaustives utilisées

1. Sources historiques et locales (documents primaires et citations)

  • Archives municipales de Manosque et délibérations consulaires : contiennent les constats officiels de dégâts, les ordres de mission pour les experts, les dépenses de réparation, le vœu solennel de procession du 15 août, et les détails des événements.
  • Rapport de visite des maîtres maçons : Document analysé par les chercheurs, listant les dégâts sur plus de 700 bâtiments (base de l’estimation de plus d’une centaine de maisons détruites).
  • Archives notariales et de l’Hôpital (Hôtel-Dieu) : attestent de l’état du bâtiment, de son évacuation (citation : « de crainte de n’estre abimés à toute heure sous les ruines »), et des plans de reconstruction.
  • Correspondances de l’intendant de Provence : Lettres de Cardin Le Bret décrivant l’événement.
  • Récits contemporains : sources des anecdotes de l’homme paralysé et des scènes de la fuite (femmes « surprises dans un déshabillé plus que négligé »).

2. Études sismologiques et historiques modernes (sources secondaires de synthèse)

  • Article scientifique clé : Quenet, G., Baumont, C., Scotti, V., & Levret, A. (2004). The 14 August 1708 Manosque, France earthquake: New constraints on the damage area from in-depth historical studies. (Publication ayant permis de confirmer l’intensité et l’étendue des dommages).
  • Base de Données Sismologique : SISFRANCE (Réseau National de Surveillance Sismique – RéNaSS).
  • Fiche sismotectonique : IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), référençant le séisme du 14 août 1708 sur la Faille de la Moyenne Durance avec une intensité maximale de VIII (MSK ou EMS-98).
  • Monographie historique : Quenet, G. (2005). Les Tremblements de terre aux dix-septième et dix-huitième siècles. La naissance d’un risque.
  • Source institutionnelle : Page historique du Site Internet de la Mairie de Manosque, reprenant et citant les faits issus des archives municipales.

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