Des braconniers tueurs de gendarmes

La loi a toujours puni le crime de braconnage. Pourtant, l’histoire atteste que, au fil des siècles, sa pratique n’a jamais cessé. Ainsi, le jeu du gendarme et du braconnier s’est régulièrement perpétué, le premier arrêtant le second et le jetant en prison ou lui faisant payer une forte amende.

braconnier

Pourtant des faits divers issus des journaux locaux ou des registres d’état-civil montrent que de nombreux braconniers ne comptaient pas laisser la force publique les empêcher de commettre leurs forfaits. Le XIXe siècle permet de retrouver des événements tragiques qui ont endeuillé des villages entiers.
Dans le journal aixois Le Mémorial d’Aix, en date du 7 novembre 1852 (n° 45), le journaliste Aubin se livrait à une véritable lamentation quant aux mœurs de son temps, où l’on « ne respecte pas même la vie de son semblable ».
Laissant exprimer sa colère lorsque des braconniers, pour échapper à une amende de 30 ou 40 francs, n’hésitent pas à mettre en joue des gendarmes, voire à les abattre, « voilà de quoi faire réfléchir, dit Aubin, et c’est là un thermomètre, qu’on nous passe ce mot, bien peu satisfaisant de la moralité publique. » Faisant allusion à un crime récent perpétré sur le terroir d’Aix-en-Provence, il s’écrit : « Mais c’est reculer en pleine barbarie, et c’est faire autant, peut-être mieux, que les sauvages eux-mêmes ; non, jamais tant de cruauté ne se vit en pleine Kabylie… Et nous sommes en France, dans cette nation renommée par la douceur de ses mœurs et qui marche en tête de la civilisation ; mais c’est là une honte pour notre pays et c’est le signe de sa démoralisation, imprimé trop visiblement à son front. Oh ! il faut reconnaître partout que nous sommes encore les enfants de Voltaire et que les vieux principes de vertu et de morale s’en vont tous les jours de plus en plus, et qu’on ne respecte plus rien, plus rien, pas même la vie de son semblable. » Coup de colère et dégoût d’une société plus dépravée chaque jour…
Quels événements peuvent être évoqués pour illustrer les méfaits sordides de braconniers sans foi ni loi qui écument alors les campagnes provençales ? En voici quelques exemples.

Le gendarme Amiot (Vauvenargues, 12 septembre 1841)

Le registre d’état-civil de Vauvenargues signale l’assassinat de François Xavier Amiot, 34 ans, originaire du Doubs, gendarme à cheval de la 2e brigade d’Aix, fils de Pierre Joseph et d’Athanase Billot. On y apprend qu’il « est décédé aujourd’hui [12 septembre 1841] sur les neuf heures du matin par suite d’une arme à feu en faisant son service à la poursuite d’un chasseur à la propriété de M. Corse, dite les Adrèches. » Ce gendarme a reçu un coup de fusil en pleine poitrine et est tombé mort dans un taillis de Vauvenargues, au pied de la montagne Sainte-Victoire.

Les chasseurs de Saint-Antonin (Saint-Antonin-sur-Bayon, 1841)

La même année, c’est une bande entière d’une cinquantaine de chasseurs qui va causer des sueurs froides à deux gendarmes. Ses membres, réunis autour d’un feu où s’apprêtait leur repas du matin, dans les solitudes de Saint-Antonin, s’excitaient les uns les autres à la joie lorsque deux gendarmes parurent devant eux. Ces chasseurs étaient en infraction car ils avaient franchi les limites d’une propriété privée. Les gendarmes les sermonnent donc et les rappellent au respect de cette propriété et c’est alors que les choses dégénèrent : tous d’une voix, ces chasseurs s’écrient qu’ils avaient juré haine aux riches et qu’ils voulaient jouir à leur tour.
Les gendarmes jugent préférables de se retirer, sans avoir dressé de procès-verbal.

Autres cas

Peu de temps après, dans le Var, un jeune chasseur fait face au gendarme qui le poursuivait et le vise de son fusil puis appuie sur la détente. Par chance, le coup ne part pas.
Un autre jour, non loin de la forêt de la Sainte-Baume, un pauvre gendarme tombe assassiné par un chasseur.
De façon similaire, dans les Basses-Alpes, un garde forestier est abattu par les chasseurs qu’il venait verbaliser.

Le gendarme Pecot mort en service

Qui visite le cimetière Saint-Pierre d’Aix-en-Provence sera surpris de voir une tombe, non loin de celle du peintre Paul Cézanne, représentant un bloc de pierre surmonté d’un lion couché, avec l’inscription « Ici repose le gendarme Pierre Pecot, tué par un braconnier, 1852. La ville d’Aix reconnaissante à élevé ce monument à la gloire de la gendarmerie et lui a concédé ce terrain à perpétuité. » L’acte de décès du militaire ne donne pas beaucoup d’éléments, hormis quelques indications généalogiques qui nous apprennent que l’homme, gendarme à cheval, avait 29 ans, était originaire de Gétigné (44), fils d’Ambroise Frédéric Pecot et Marguerite Durant, boulangers, mais qu’il vivait à Aix, 14, rue du Louvre, et qu’il rencontra la mort au quartier de Valabre le 31 octobre 1852 à 11 heures du matin.

Monument funéraire du gendarme Pecot.  Cimetière Saint-Pierre d’Aix-en-Provence. © Jean Marie Desbois, 2010.
Monument funéraire du gendarme Pecot.
Cimetière Saint-Pierre d’Aix-en-Provence.
© Jean Marie Desbois, 2010.

Le journal Le Mémorial d’Aix relate le drame de façon laconique mais indique que l’événement avait provoqué deux assassinats. Le registre des décès de la ville d’Aix n’indique pourtant que celui du gendarme Pecot. On peut dès lors supposer que le deuxième gendarme n’a subi qu’une tentative d’assassinat. Seul Pecot y laissa la vie, ce qui explique que le monument funéraire offert par la ville ne soit dédié qu’à lui.

Si vous avez connaissance d’autres faits de ce genre, n’hésitez pas à les signaler en laissant un commentaire ci-dessous.

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