Discours de Camille Pelletan (Lambesc, 1909)

 

Portrait de Camille Pelletan« C’EST UN DEUIL d’une cruauté rare que celui qui nous amène ici ; et le long défilé des cercueils que nous venons de suivre montre assez que le malheur s’est abattu sur ce pays avec une atrocité exceptionnelle. Est-il beaucoup de douleurs comparables à celle que nous voyons autour de nous ? Quelle effroyable désolation que celle de l’ami que j’ai à côté de moi, et qui accompagne à la fois tous ses enfants, sauf un seul, jusqu’à la tombe où ils le précèdent !
[pullquote]Ai-je besoin de dire combien je suis atteint jusqu’au fond du cœur, secoué jusqu’aux dernières fibres de mon être… ?[/pullquote]Voilà donc les férocités aveugles, les crimes inconscients des forces aveugles de la nature ! On ne peut plus se fier à l’écorce même du globe : les maisons chancelantes s’abattent sur la tête de leurs malheureux habitants ; et il ne reste de famille entières que quelques infortunés pour lesquels la fatalité fut, non pas clémente, mais impitoyable en les épargnant, puisqu’ils ne restent que pour pleurer ceux qui ont disparu, et connaître ce que la douleur humaine a de plus affreux.
Pour moi, que cette population a adopté depuis plus d’un quart de siècle, qui compte ici tant de vieux amis, qui ne veux plus y connaître d’ennemis et qui ne puis que me sentir ici de la famille, surtout aux heures du malheur et des désolations, ai-je besoin de dire combien je suis atteint jusqu’au fond du cœur, secoué jusqu’aux dernières fibres de mon être, par les coups implacables que la destinée vient de frapper sur ce pays auquel je suis indissolublement attaché par des liens si profonds ?
Oui, l’acharnement du malheur a été si atroce que vos douleurs, que nos douleurs, ont trouvé un lointain écho et qu’autour de ce cimetière, si loin que la pensée peut porter, la France entière s’associe à nos deuils. Ce serait un faible soulagement à nos larmes, s’il pouvait y avoir aucun soulagement pour des larmes si amères. »

  • Photo : Camille Pelletan, député de la deuxième circonscription d’Aix-en-Provence, par Eugène Pirou (1841-1909).

 

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