
En ce début d’année 1840, les grands travaux du canal de Marseille transformaient la Provence, attirant à Coudoux, près de Ventabren (Bouches-du-Rhône), une main-d’œuvre venue d’Italie. L’air y était chargé de la poussière du chantier et, bientôt, de la fureur des hommes.
Le premier assaut : 27 janvier 1840
Les premières alarmes retentirent le 27 janvier 1840. Une rixe d’une violence extrême, menaçant de dégénérer en scènes déplorables, éclata soudainement. Elle opposait les ouvriers sardes attachés au canal aux habitants de Coudoux. Des coups de poing furent échangés, et la querelle fut si générale que presque toute la population locale y prit part.
L’irritation était portée au comble. Heureusement, des personnes sensées, exerçant leur influence, purent s’interposer et ramener le calme.
À l’époque, une amère observation s’imposait devant ce chaos : on regrettait que ces hommes, auxquels la France accordait généreusement du pain et du travail qu’ils ne trouvaient probablement pas chez eux, comprenaient si peu la position que l’hospitalité leur imposait, et cherchaient querelle à une population connue pour sa nature paisible.
L’affaire Dao-Caste
Mais avant que la tension n’atteigne son paroxysme, un acte encore plus sombre avait marqué les esprits.
Dans les jours qui précédèrent la grande émeute, une tentative de meurtre avait été commise sur un certain Dao-Caste, un ouvrier piémontais employé sur le canal. Un dimanche, une rixe avait éclaté dans un cabaret entre lui et son compatriote, un certain Gourillo, dit Carmagnole. En le quittant, Carmagnole avait lancé une menace claire à Dao-Caste : il l’écraserait bientôt dans son logement.
Dao-Caste, négligent, ne prêta que peu d’attention à cette parole. Rentré chez lui, il ressortit pour se mettre sur le seuil de sa porte. À peine quelques minutes s’étaient écoulées qu’il reçut deux coups de feu, tirés presque à bout portant. Il tomba, grièvement atteint. Pourtant, il eut la force, au milieu des accourus, de désigner formellement Carmagnole comme l’auteur de l’assassinat.
Les secours lui furent prodigués sur-le-champ et l’espoir de sa guérison était permis. Le juge de paix, bien entendu, se porta immédiatement sur les lieux pour dresser procès-verbal. Carmagnole, lui, fut arrêté sans délai par le brigadier de gendarmerie et se retrouva incarcéré dans les prisons d’Aix.
Le chaos général et l’appel aux troupes : 11 février 1840
Le point de non-retour fut atteint le 11 février 1840, lorsque de nouvelles scènes de désordre, d’une gravité sans précédent, ensanglantèrent Coudoux.
Cette fois, les ouvriers sardes s’étaient soulevés pour une affaire de salaires en retard avec leur chef de division. Ils se portèrent en masse, armés de pistolets et de poignards, vers la maison de l’employé. Ils tentèrent de pénétrer de force, enfonçant portes et volets. Un employé qui sortait fut saisi et terrassé ; il aurait été tué sans l’intervention rapide d’un voisin qui parvint à le mettre à l’abri.
L’anarchie fut finalement contenue par le maire de Ventabren, qui arriva sur les lieux, assisté de quatre gendarmes. Ils parvinrent à dissiper cette troupe de forcenés et plusieurs furent désarmés. La justice engagea immédiatement une enquête.
Face à la crise, le préfet sollicita sans attendre du lieutenant-général un détachement de trente hommes de troupe de ligne. Ces soldats furent immédiatement dirigés sur Ventabren. Ils devaient être logés provisoirement chez les habitants, en attendant qu’une maison soit louée aux frais de la ville de Marseille pour les établir dans les environs de Coudoux, seule solution pour ramener durablement l’ordre sur le chantier et dans la région.
- Sources : Le Mémorial d’Aix, 1er février 1840, p. 3 ; ibid., 15 février, p. 4.